Corruption organisée dans le tennis: des joueurs reçoivent des menaces de mort
Après une défaite, Joran Vliegen reçoit des menaces de mort comme de nombreux joueurs. Au Challenger de Mons, l’organisateur devait virer deux à trois criminels chaque année.
- Publié le 06-06-2018 à 11h59
- Mis à jour le 06-06-2018 à 15h41
Après une défaite, Joran Vliegen reçoit des menaces de mort comme de nombreux joueurs. Au Challenger de Mons, l’organisateur devait virer deux à trois criminels chaque année. "Va mourir !" " Arrête de jouer !" : tels sont les exemples de messages que Joran Vliegen, qui a joué le quart de finale de Coupe Davis en avril, reçoit très régulièrement après une défaite.
"Quand je perds, je reçois beaucoup de messages sur mon Insta ou Facebook", confie le binôme de Sander Gille. "Je n’ai jamais été approché directement pour faire exprès de perdre ou je n’ai jamais vu de liasses de dollars sur une table de club. Chaque semaine, je reçois des menaces du genre ‘Va mourir’ ou ‘Qu’est ce que tu fais encore sur un terrain ?’ Donc, je ne suis pas surpris par cette affaire."
Comme le reste du monde, la Belgique n’est pas à l’abri des paris illégaux qui nuisent à l’image des sociétés officielles de paris. "Nous travaillons avec la Commission des jeux de hasard à l’échelle européenne pour enrayer ce phénomène", souligne, quant à lui, Alexis Murphy, CEO de Betfirst. "Les joueurs plus faibles sont les premières victimes. Les opérateurs de paris sportifs sont également touchés, car ces criminels nuisent à l’image des paris sportifs et nous font perdre directement de l’argent. Nous avons des traders qui identifient les paris suspicieux et qui relaient l’information à la Commission. La transparence du système ne peut nous être que profitable", conclut-il, en rappelant que le tennis est un marché important pour Betfirst.
Le tennis en Belgique est une institution bien établie. De nombreux tournois sont organisés. Comme l’ATP 250 d’Anvers ne figure pas parmi les cibles privilégiées par ces tricheurs, le Challenger de Mons était en première ligne de ces attaques virtuelles.
La Belgique a d’ailleurs bâti une partie de sa réputation dans le monde du tennis en organisant de main de maître durant douze ans ce tournoi Challenger à Mons, doté de 125.000 dollars. À deux reprises, l’événement hennuyer a reçu le titre de meilleur Challenger au monde.
Cette compétition attirait les regards des fans belges, mais aussi de quelques parieurs peu scrupuleux. De 2005 à 2016, l’organisateur Gaëtan Jacquemin a assisté aux premières loges aux mesures prises par l’ATP pour lutter contre les paris illégaux. "J’ai remarqué que les mesures émanant de l’ATP étaient de plus en plus strictes", commence celui qui se souvient de la dernière édition. "Nous avions un responsable payé par l’ATP qui était accrédité durant tout le tournoi pour repérer tout comportement suspect en tribune. Il identifiait les gens plus facilement car il les connaissait."
L’ATP lui fournissait aussi un cahier des charges de plus en plus développé au chapitre des paris sportifs. Il recevait une liste de mesures à mettre en place et d’individus interdits de match. "J’avais une liste de 200 à 300 noms de gens qui étaient interdits de terrain."
La liste était cependant inutile, car aucun contrôle d’identité n’était effectué à l’entrée du complexe.
Chaque année, il devait personnellement écarter deux ou trois personnes considérées comme ayant un comportement suspect. "En général, c’est le juge de chaise qui identifiait ces individus. Il appelait le superviseur. Moi, je photocopiais leur carte d’identité, ce qui provoquait toujours un mini-scandale."
Concrètement, ces tricheurs venaient sur place et transmettaient les informations via Internet à des sociétés clandestines de paris. Il existe toujours un décalage entre le point et le livescoring. "On ne pourra jamais éviter ce délai. L’arbitre ne peut valider le point que lorsqu’il est fini. Imaginons un joueur qui boise. Il y aura quelques secondes avant que sa balle ne touche le sol."
Pour éviter cette fraude, Gaëtan Jacquemin avait suivi les recommandations de l’ATP en filtrant les sites de paris dans la Lotto Mons Expo. "Ainsi, le wifi officiel du tournoi n’était plus utilisé pour transmettre des informations. Ces gens contournaient cette barrière en utilisant… leur propre 4G."
Ensuite, les ordinateurs et les GSM ont été interdits en tribune avec l’espoir de tuer ce trafic du pari point par point. "Mais les gens utilisent leur GSM pour prendre des photos. Comment peut-on éviter la triche ? Certains utilisent des oreillettes. Il faut donc lire sur les lèvres de tous les spectateurs."
En 2016, chaque personne qui travaillait pour le tournoi devait signer une charte où elle s’engageait à ne pas parier ni dévoiler d’informations sur l’état de forme des joueurs. "Nous savions par exemple que tel ou tel joueur était blessé ou probablement forfait. Personne ne pouvait parier sur une défaite ou un forfait", poursuit Gaëtan Jacquemin avant de conclure : "La technologie aura toujours une longueur d’avance sur la loi, mais il faut protéger les plus faibles."
Pourquoi les futures et challengers
1. Ils ne sont pas filmés
Les tournois Futures et Challengers ne sont pas retransmis à la télévision. Ils ne sont même pas filmés. Il est donc possible de passer discrètement dans les tribunes.
L’argent ne coule pas à flots
Seul le Top 100 vit confortablement sur un plan financier. Les autres joueurs perdent souvent de l’argent à cause de leur manque de résultat et des frais imposés par le circuit (avion, hôtel, nourriture et entraîneur). Ils sont donc susceptibles de répondre favorablement à un gain d’argent facile, même illégal.
Les médias y sont plus discrets
Les journalistes commentent très copieusement les circuits ATP et WTA. Les Challengers et Futures passent inaperçus dans les médias.
Ils accueillent des joueurs plus solitaires
Les joueurs repris dans les Futures et Challengers voyagent plus facilement seuls ou avec juste un entraîneur, ce qui les rend plus facilement abordables avant ou après leurs matches.
André Stein: "J'ai été témoin d'arrestations"
Le président de l’AFT est catégorique : "Si un Belge est pris, il est viré à vie"
À l’AFT comme chez Tennis Vlaanderen, on ne badine pas avec la loi. André Stein est présent à Roland-Garros jusqu’à demain, où il présidera le premier forum de la francophonie du tennis.
Le président de l’AFT n’y va pas par quatre chemins au sujet de ce fléau des matches truqués qui gangrène le tennis. "Je suis content qu’on lutte contre ce fléau qui n’est pas nouveau. Nous collaborons avec la police judiciaire et nous dénonçons tous les actes suspects en Belgique. J’ai été le témoin de plusieurs arrestations dans des clubs en Belgique. Ces paris truqués sont un piège pour les jeunes joueurs, qui sont plus fragiles. Notre discours a toujours été ferme. Nous faisons peur aux Belges. Si l’un d’eux est pris, il est viré à vie de l’AFT. Aucun n’a encore été pris dans ces histoires. Si l’un des nôtres est approché, il doit le dénoncer chez nous."
Arthur De Greef: "On ne m'a jamais rien proposé"
Arthur De Greef vit entre les circuits ATP et Challenger. Comme ses homologues, il est passé par les Futures. "Je n’ai jamais rien vu. On ne m’a jamais rien proposé, confie celui qui jouera en Slovaquie dans deux semaines. J’ai entendu que des paris existaient en tennis. À l’ATP, quelques joueurs ont été suspectés ces trois dernières années. L’ATP s’organise et se donne les moyens de combattre ce fléau."
Quant à Steve Darcis, il abonde dans le même sens. "Je n’ai jamais été approché et n’ai jamais rien vu, mais nous, les joueurs, nous savons que cela existe."