Cecchinato: ange ou démon ?
- Publié le 07-06-2018 à 22h45
Après avoir battu Carreno Busta, Goffin et Djokovic, l’Italien s’attaque à Thiem pour tenter le plus improbable exploit Le jeudi 24 mai, vers 19 h 30, les plus grands experts du tennis décortiquaient dans tous les sens le tirage du tableau messieurs. Tous s’accordaient à parler d’enfer en évoquant la pléiade de stars du bas : Zverev, Thiem, Dimitrov, Goffin, Djokovic, Pouille, Kyrgios, Tsitsipas, Wawrinka… Les candidats à la place de finaliste ne manquaient pas.
Les plus fines plumes du monde ne s’attendaient pas un invité surprise : Marco Cecchinato. Dominic Thiem, qui a calé dans le dernier carré ces deux dernières années, n’avait pas prévu d’affronter le 72e joueur mondial en demi. Ce Marco Cecchinato a été sous-estimé par ses trois derniers adversaires qui n’ont pas trouvé la clef pour le battre. Pourtant, Carreno, Goffin et Djokovic ne sont pas des néophytes à Roland.
Premier italien depuis Corrado Barazzutti en 1978 à se hisser en demi-finales de Roland-Garros, le Sicilien a pris l’habitude de se coucher par terre après ses balles de matches victorieuses. Après avoir battu Pablo Carreno Busta, il s’estimait déjà au paradis des sportifs. Où doit-il être aujourd’hui après avoir écarté deux autres candidats potentiels au titre ? Il réside là, le danger italien. Marco Cecchinato joue sans le moindre complexe. Il est dans le rôle du parfait inconnu qui n’a rien à perdre et qui peut tout se permettre.
"La dernière fois qu’on s’est joués, je l’ai battu." Il évoque un Future à Modène il y a cinq ans.
Personne ne le jugera sur une balle trop longue ou sur une amortie qui s’écrase dans le filet. "Marco n’a pas paru impressionné de se retrouver sur un grand court, ni par l’enjeu du match", lâchait Novak Djokovic, furieux contre lui-même d’avoir perdu contre un joueur lambda à RG.
À chaque tour , l’Italien prend de plus en plus goût à son rôle. Il est loin, le Marco qui n’était que 72e à l’ATP et qui n’avait pas gagné le moindre match en Grand Chelem. Il vient de s’en offrir cinq de rang.
Il n’est ni le plus puissant, ni le plus véloce, ni le plus grand techniquement. Mais il est là. Il est toujours là. La chance n’explique pas tout. Au premier tour, il a effacé un handicap de deux sets contre Copil. Au deuxième tour, il a affronté le lucky loser Trungelliti qui était l’autre belle histoire de ce Roland. Il a enchaîné avec Carreno qui l’avait pris un peu à la légère. Ensuite, l’Italien a profité d’un jour sans énergie de Goffin avant de tomber sur un Djokovic envahi par ses doutes.
Si la chance a frappé à sa porte, l’homme avec un 13 tatoué sur son poignet a eu le bon goût de la saisir sans se poser de questions. En avril, il avait déjà eu un rendez-vous avec Dame Fortune à Budapest. Il avait été repêché de justesse comme lucky loser avant de s’imposer en finale !
De la Sicile jusqu’à Paris, en passant par tous les pays qui retransmettent le Major, le miracle Marco a été salué avec allégresse.
Il est admiré pour son revers à une main et son jeu de terrien. Ses retours sont diablement efficaces, tout comme sa couverture de terrain. En réussite, il ose tout et joue avec les lignes comme avec les nerfs de ses adversaires.
Les amateurs se prennent de sympathie pour le petit qui s’invite chez les grands. Les journalistes fouillent le fond des tiroirs. L’Italien traîne une casserole très lourde à tirer.
En octobre 2015, il affrontait le Polonais Kamil Majchrzak à un Challenger marocain. Joueur du Top 100, l’Italien perdait en deux sets une rencontre qui était largement à sa portée. Une enquête a révélé qu’il avait parié sur sa propre défaite, ce qui laissait supposer qu’il avait vendu son match. En fouillant un peu, la Fédération italienne a trouvé trace d’un autre match suspect. Cecchinato aurait donné des informations confidentielles sur l’état de forme de deux joueurs à Roland-Garros en 2015.
Le 19 juillet 2016 , il a pris une suspension de dix-huit mois et 40.000 euros d’amende. Un vice de procédure vole à son secours. Il est tiré d’affaire six mois plus tard. "Je ne veux pas aborder cette question", chante-t-il dans toutes les langues depuis la main interview room où il est devenu un phénomène médiatique. "Laissez-moi profiter de ces instants…"
Aujourd’hui, il profitera pleinement du match de sa carrière contre Dominic Thiem. S’il venait à l’emporter, il se hisserait au niveau des plus grandes surprises à la manière d’un Verkerk ou d’un Kuerten. L’un a été un feu de paille, l’autre y a vécu le début d’une grande carrière. Où filera Marco Cecchinato ? Aux oubliettes ou au Panthéon de la gloire ?