Cadence et course à pied: faut-il absolument viser les 180 pas par minute?
Cent quatre-vingts pas par minute. Voilà le chiffre qui, petit à petit, est devenu une référence, synonyme de cadence idéale pour le coureur de fond. Un chiffre magique basé avant tout sur l’observation des champions. Mais la cadence peut-elle se résumer à un seul chiffre ? Pourquoi faut-il s’y intéresser ? Comment la modifier ? On vous dit tout (ou presque) dans cet article.
- Publié le 25-03-2021 à 12h50
Commençons par un peu de terminologie. Dans la littérature scientifique, on parle souvent de fréquence de pas. On l’exprime en Hertz (nombre de pas par seconde). Ici, on parlera de cadence. C’est pareil ! Sauf qu’on l’exprime en nombre de pas par minute (ppm en abrégé).
La vitesse de course dépend uniquement de cette cadence et de la longueur des pas. À vitesse égale, augmenter la cadence implique de diminuer la longueur des pas et inversement. Simple relation mathématique !
Pour aller plus vite, deux solutions s’offrent à nous : allonger la foulée et/ou augmenter la cadence. Anciennement, on insistait surtout sur l’allongement de la foulée… Aujourd’hui, la tendance semble s’inverser.
Tous à 180 ?
D’après la plupart des manuels d’entraînement, la cadence optimale oscillerait autour de 180 ppm. C’est effectivement ce que l’on observe chez la plupart des coureurs élites (parfois plus encore). C’est toutefois nettement plus que ce que l’on voit chez la plupart des coureurs moins entraînés. Alors, on augmente tous la cadence à 180 ppm ? Répondons directement ! Non, la cadence ne peut pas se résumer à un seul chiffre. Mais oui, nous serions nombreux à bénéficier d’une augmentation de la cadence.
Maintenant, place à l’argumentation.
1 Les coureurs rapides adoptent naturellement une cadence plus élevée que les coureurs plus lents. Logique, me direz-vous, puisqu’ils vont plus vite. Ce n’est pas si évident. Certes, la cadence augmente avec la vitesse de course, mais dans des proportions nettement moins importantes. L’augmentation de la vitesse est majoritairement induite par une augmentation de la longueur des foulées. Idéalement, la cadence devrait d’ailleurs être indépendante de la vitesse. Pas besoin de courir vite pour arriver à une cadence de 180 ppm. En courant sur place, tous les coureurs sont capables d’atteindre cette cadence.
2 Nous courons presque tous à une cadence inférieure à notre optimum énergétique. Autrement dit, à vitesse égale, on aurait tout intérêt à augmenter la cadence pour diminuer le coût énergétique. Une explication ? Deux même ! Lorsqu’on court "en cadence", l’amplitude de la foulée est réduite et le genou se fléchit moins durant la phase d’appui. Ceci amène à limiter l’amplitude des oscillations verticales du centre de masse. Votre course est plus "rasante".
Autre avantage : les appuis sur le sol s’effectuent à l’aplomb du corps et pas devant lui. On est donc naturellement porté vers l’avant avec des temps de contact au sol plus réduits. Tout cela participe à une course plus dynamique et efficace.
3 Les coureurs confirmés adoptent spontanément une cadence plus proche de leur optimum énergétique. Cela pourrait constituer un mécanisme d’adaptation destiné à améliorer l’économie de course et éventuellement… à réduire le risque de blessures (voir par ailleurs). Ah oui, et au fait, la cadence optimale n’est pas la même pour tous. En fonction des individus, elle se situerait entre 170 et 190 ppm !
Comment déterminer la cadence optimale ?
Vous l’avez compris. La cadence optimale est déterminée uniquement selon une vision énergétique (ce qui est peut-être une erreur). Il s’agit donc de la cadence qui, à vitesse égale, engendre la plus faible dépense énergétique. Mais comment peut-on déterminer cet optimum ? Ce n’est pas si simple !
Jusqu’ici, la plupart du temps, cela s’était déroulé de la manière suivante. On court sur un tapis roulant pendant une vingtaine de minutes à une vitesse confortable. On prend alors note de la cadence spontanée du coureur. Ensuite, on corse le jeu ! Toutes les trois minutes, une cadence différente est imposée à l’aide d’un métronome. Généralement, 7 rythmes différents sont proposés aléatoirement : par exemple, 5, 10 et 15 % en dessous et au-dessus de la cadence spontanée. Pendant que le coureur s’applique à suivre le rythme dicté par le métronome, on évalue la consommation en oxygène (VO2) afin d’estimer le niveau de dépense énergétique.
À l’issue de cette deuxième phase, les variables sont corrélées aux sept cadences de course à l’aide d’une simple équation du second degré. Cela permet de tracer une jolie courbe en U dont le minimum correspond à la cadence optimale.
Ce qui est intéressant, c’est qu’on peut obtenir une relation relativement similaire avec la fréquence cardiaque (FC). Cela rend l’évaluation plus simple et surtout plus accessible. En résumé, il suffit alors de courir à vitesse constante muni d’une ceinture cardio-fréquencemètre et en s’imposant différentes cadences. La cadence pour laquelle on observe la FC la plus basse peut ainsi être définie comme votre optimum. Récemment, cela a même été réalisé sur terrain. Le principe est identique, mais la difficulté réside dans le maintien d’une vitesse constante !
En pratique…
Si vous n’avez pas la chance de pouvoir déterminer votre cadence optimale, vous pouvez tout de même évaluer votre cadence spontanée. C’est beaucoup plus simple. Vous pouvez le faire en optant pour un comptage "à l’ancienne" ou en vous servant de la technologie.
La première option est bête comme chou : comptez le nombre de fois que votre pied droit (ou gauche) touche le sol en une minute, multipliez par deux et vous avez votre cadence.
La deuxième est tout aussi simple mais nécessite l’utilisation d’une montre connectée ou d’un smartphone. Dans ce cas, il y a de nombreuses applications qui calculent automatiquement la cadence (en utilisant généralement les accéléromètres ou gyroscopes incorporés dans la montre ou le smartphone). C’est assez fiable. Faites-le à différentes vitesses de course : footing, endurance, seuil, VMA… Vous remarquerez qu’à mesure que votre vitesse augmente, votre cadence aussi. Mais rappelez-vous, c’est loin d’être proportionnel. La cadence augmente nettement moins que la vitesse.
Votre cadence spontanée à vitesse confortable est inférieure à 165 ppm ? Vous avez probablement tout intérêt à l’augmenter. Un des moyens les plus efficaces pour courir à une cadence spécifique est de courir en s’aidant d’un métronome. Il existe différentes applications pour smartphone qui donnent le tempo. Certaines montres le font également. Si vous avez l’oreille musicale, vous pouvez aussi vous caler sur des mélodies dont le tempo ("beat" par minute) correspond à votre objectif cadence. C’est plus agréable que le son d’un "bip" et des playlists ciblées existent.
Attention à la chaussure
Plus surprenant, le type de chaussures de running pourrait aussi altérer votre cadence. Ainsi, les coureurs habitués à cavaler en chaussures minimalistes démontrent une cadence généralement supérieure à leurs homologues chaussés plus traditionnellement. Spontanément, ils se rapprochent aussi beaucoup plus de leur cadence optimale. Ceci s’explique par le changement de style qu’induit l’adoption de chaussures minimalistes.
Du fait de l’absence d’amorti au niveau du talon, les coureurs favorisent l’attaque du sol plus fréquemment par le milieu, voire l’avant du pied. Dans ces conditions, les grands pas deviennent impossibles à réaliser et on raccourcit spontanément sa foulée au profit de la cadence. Attention tout de même, un changement trop radical du type de chaussures est un risque majeur de blessures. Soyez prudents !
Mais finalement, quelle que soit la stratégie pour laquelle vous optez, il vous faudra intégrer progressivement votre nouvel objectif de cadence. Courez d’abord quelques séances de 20 à 30 minutes à votre cadence spontanée + 5 à 10 %. Après quelques séances et si tout se passe bien, augmentez-la à nouveau de 5 ppm. Et ainsi de suite jusqu’à atteindre votre objectif. Lorsque vous aurez pris l’habitude de courir naturellement à une cadence plus élevée, vérifiez de temps à autre que votre cadence actuelle est toujours en phase avec votre objectif. Si ce n’est pas le cas, cela signifie que vous n’avez pas correctement intégré cette "nouvelle" cadence.
Soyez patients ! Rome ne s’est pas faite en un jour. Réalisez à nouveau quelques sorties à cadence fixe.
Cadence et prévention des blessures
Pour courir vite, la question ne se pose finalement pas : il faut une cadence élevée. Mais y aurait-il un intérêt à modifier la cadence autre qu’énergétique pour un coureur loisir plutôt adepte des séances à allure footing ? C’est possible !
Aux vitesses “lentes”, augmenter la cadence revient à réaliser de plus petites foulées. Et les petites foulées présentent des avantages annexes. Par exemple, elles réduisent les contraintes sur l’articulation fémoropatellaire (articulation du genou qui fait la jonction entre le fémur et la rotule). Or, un stress trop important sur cette articulation peut être à l’origine d’une des pathologies les plus fréquentes chez le coureur : le syndrome fémoropatellaire.
Les petits pas rabotent aussi les pics de pressions sur les différentes articulations de la jambe et du bassin en phase de réception. De ce fait, on court moins le risque de se blesser.
Avec des petites foulées, on serait donc gagnant sur tous les tableaux ? Presque. Car bien souvent, une augmentation de la cadence s’accompagne d’un basculement vers l’avant (l’attaque du sol se réalise davantage pied à plat voire avant-pied) et celui-ci peut induire une augmentation du stress sur le tendon d’Achille – un maillon faible pour beaucoup de coureurs – en cas de modification de la pose du pied.
Encore une fois, soyez donc prudents ! Une modification de la cadence induit des changements biomécaniques. Il est important de faire ces changements progressivement pour laisser le temps à votre organisme de s’habituer à ces nouvelles contraintes.
Les spécificités du trail
La particularité d’un trail réside notamment dans son relief souvent fortement accidenté. En montée, en plus de se propulser vers l’avant, il faut “élever” son corps. Cela requiert beaucoup d’énergie. La puissance musculaire devient énorme et il va donc falloir limiter celle-ci. Par exemple, en augmentant le temps consacré à la propulsion et en diminuant la longueur des pas. Vous avez alors tout intérêt à augmenter votre cadence (comme on l’observe chez les traileurs chevronnés) pour éviter une diminution trop importante de votre vitesse.
En descente, c’est plutôt l’inverse. Pour réduire la dépense d’énergie, il faudrait diminuer sa cadence. Toutefois, certains estiment que descendre à une cadence élevée pourrait induire moins de dommages musculaires (induits par les contractions excentriques). En bref, diminuer la cadence en descente si la distance est courte pourrait être la bonne stratégie à adopter. Mais si l’effort se prolonge et que la fatigue apparaît, il vaudrait peut-être mieux l’augmenter de manière à diminuer le risque de courbatures les jours suivants ! En pratique, on observe souvent peu de modifications de la cadence en descente ou, il est vrai parfois, une faible diminution de celle-ci.
Le rythme des champions: focus sur les Mondiaux d'Osaka 2007
Des chercheurs japonais se sont amusés à analyser à la loupe la finale des championnats du monde du 10.000 m de 2007. Ceux-ci se déroulaient à Osaka (Japon). Durant toute la course, les 3 futurs médaillés ont couru à des cadences très élevées, au-delà de 180 ppm : approximativement 195 pour Martin Irungu Mathathi, 190 pour Sileshi Sihine et 185 pour Kenenisa Bekele.
Impressionnant ? Oui, mais pour courir à ces vitesses ahurissantes (+/- 22 km/h), les coureurs n’ont pas d’autres choix. Comme nous vous l’expliquions au début de l’article, la vitesse dépend uniquement du nombre de pas effectués par minute et de la longueur de ceux-ci. Pour aller vite, il faut donc tourner les jambes. Il n’est franchement pas rare d’observer des coureurs adopter une cadence si élevée.
Par contre, ce qui s’est passé dans le dernier tour est bluffant ! À l’entame de celui-ci, les 3 athlètes sont encore groupés. Le Kényan Mathathi mène devant les Éthiopiens Sihine et Bekele qui accuse un très léger retard. Le Kényan finira pourtant 3e, incapable de suivre le rythme imposé par Sihine et plus encore par Bekele dans le final. L’analyse des chercheurs japonais nous révèle que la cadence a été déterminante dans ce dernier tour. Alors que celle de Mathathi diminue légèrement, celle des 2 Éthiopiens augmente : un peu pour Sihine, davantage pour Bekele qui va jusqu’à atteindre une cadence de… 215 ppm. Est-ce la clé de son succès ? Il remporte en tout cas à l’époque un troisième titre mondial consécutif sur 10.000 m. Bekele en remportera encore un 4e en 2009.