Le hockey ne supporte plus son image de grand gaspilleur d’eau
L’ancien Red Lion Thomas Briels a testé le seul terrain sec d’Europe. Le bilan est négatif. Pourtant, la FIH impose la mort des terrains mouillés dès 2026. La Coupe du monde de Wavre devra lancer cette nouvelle ère.
- Publié le 29-06-2023 à 09h47
Au terme d’un Congrès en novembre 2018, la Fédération Internationale de Hockey (FIH) a annoncé la mort des terrains mouillés. Les 20 000 litres d’eau utilisés pour un seul match ne s’inscrivent pas dans le mouvement écologique. “Nous ne pouvons plus continuer à être perçus comme une discipline gaspillant de l’eau”, a confié Thierry Weil, le CEO de la FIH.
Il y a six ans, il a averti les fournisseurs de matériel (terrains, balles et chaussures) qu’ils devaient s’adapter aux conditions du futur. Le défi est de taille : supprimer l’eau sans toucher à la haute qualité du jeu. “Nous devons y arriver, car nous ne pouvons pas gaspiller autant d’eau sur le terrain si les gens qui vivent à côté de celui-ci n’ont pas d’eau pour boire”, insiste Thierry Weil. En 2023, le futur, c’est aujourd’hui.
Un terrain mouillé, c’est quoi ?
À l’origine, le hockey se pratiquait sur un gazon naturel. Lors des Jeux olympiques de Montréal en 1976, la FIH voulait un terrain synthétique non-mouillé. Un hasard a changé l’histoire du stick. Durant les JO, il a plu ce qui a accéléré la vitesse de la balle. Les joueurs ont adoré.
À cause du coût exorbitant, les fournisseurs de tapis sont partis sur des terrains sablés, puis semi-sablés avant de proposer des semi-mouillés et enfin des mouillés au début des années 2000. La vitesse de la balle et la précision des trajectoires ont tout de suite fait l’unanimité. Jusqu’à aujourd’hui…
Quel est le plus grand fournisseur de terrains synthétiques en Europe ?
L’actuel entraîneur du Watducks est aussi administrateur et actionnaire minoritaire de Domosportgrass. Jean Willems vit un double conte de fées. En 2002, sa boîte générait un chiffre d’affaires de 2 millions d’euros grâce à ses 5 employés. Deux décennies plus tard, 60 travailleurs ont porté le chiffre d’affaires à 180 millions pour un total de 8 millions de m² produits par an. “Nous travaillons essentiellement sur des terrains de foot, mais nous sommes actifs aussi dans le hockey, le rugby, le tennis ou encore le padel”, raconte celui qui gère toute la partie commerciale.
Aujourd’hui, Domosportgrass se hisse sur la troisième marche du podium mondial.
Du gazon naturel au synthétique, qu’est-ce que cela change au final ?
Jean Willems est particulièrement bien placé pour évoquer les tapis. Ancien Red Lion, il a porté haut les couleurs nationales. Sa carrière de joueur a été mémorable. Sa reconversion aussi. Comme entraîneur ou producteur de terrain, il a une vue sur toute la chaîne : de la production à la consommation. “À sa manière, le hockey sur un gazon naturel était spectaculaire, mais autrement. La technique de shot était différente. Les règles aussi. L’arrivée du synthétique a changé la technique avec la naissance des sleeps, des shots en revers bas et des dribbles levés sans omettre le flat. Tout s’est accéléré.”
L’eau de l’arrosage n’est-elle pas récupérée à plus de 90 % ?
Le règlement spécifie qu’un terrain mouillé doit être arrosé jusqu’à ce que toute la surface soit recouverte de deux millimètres d’eau. On estime qu’il faut 12 000 litres d’eau pour un arrosage complet. En fonction des températures, le terrain peut être arrosé avant la rencontre et durant la mi-temps. Un match, c’est plus de 20 000 litres propulsés.
“Le gaspillage est limité car l’eau est récupérée”, explique Thomas Briels, porte-parole d’un sentiment collectif. “Malheureusement, l’eau s’évapore à 75 %, concède Jean Willems. On ne récupère que très peu d’eau. Chez Domosportgrass, nous avons travaillé sur un terrain mouillé qui réduit de 60 % de volume d’eau. La fibre agit comme une éponge qui garde l’eau plus longtemps. Nous avons aussi un système d’eau par le sol c’est-à-dire sous le terrain.”
Mais, le coût de ces technologies a refroidi de nombreux clubs qui souffrent depuis la pandémie de Covid. En Belgique, seul le Dragons a mis la main au portefeuille. “Tout le monde veut être écolo, mais quand il faut payer…”, confirme Jean Willems.
Le terrain sec, réalité ou utopie ?
La FIH a demandé à tous les organisateurs de grands tournois de proposer un terrain sec dès 2026. La Coupe du monde à Wavre devra ouvrir cette nouvelle voie. Jean Willems n’y croit pas du tout. “J’ai testé un petit terrain sec il y a plus de deux mois. Il avait draché. Je trouvais que ce terrain n’était pas bon du tout. Le système est simple. La fibre est tissée différemment. Moi, j’y vois beaucoup d’inconvénients. La balle est trop… rapide. Le sliding n’est plus possible. Il est impensable de demander à un joueur de jouer à fond sur un terrain où il ne se sent pas en sécurité. Plus personne n’osera plonger ou même mettre sa main au sol. Pour moi, ce terrain n’est pas la solution. Je ne vois pas de marge de manœuvre pour améliorer ce produit.”
Pourtant, la FIH a été claire. Les Jeux olympiques et la Coupe du monde dès 2026 se joueront sur des terrains secs. Les autres tournois pourront encore se jouer sur un terrain mouillé. “La situation sera compliquée car les joueurs évolueront sur deux terrains très différents. Domosportgrass produira des terrains secs si on nous en fait la demande. Nous n’avons pas encore reçu une commande. La différence est trop grande.”
Thomas Briels a testé le seul terrain sec d’Europe
Il y a deux semaines, le champion olympique de Tokyo Thomas Briels a accompagné le High Performer Manager Adam Commens pour un voyage particulier. Il devait tester l’unique terrain sec d’Europe, à Weesp, en bordure d’Amsterdam. “Pour un terrain sec, je ne le trouvais pas si mal, commence-t-il. La balle et le stick n’accrochent pas sur le tapis. La balle reste rapide. Mais, quand tu marches, tu accroches fort. Il faut revoir les chaussures. Ce terrain peut être dangereux pour les chevilles et les genoux. Sur les changements de trajectoires, tu as trop de grip.”
Légende aux Pays-Bas, Jeroen Hertzberger, aussi, a joué sur ce nouveau terrain révolutionnaire. “Il est très doux, un peu trop mou. Il faut trouver une solution pour permettre les glissades. Le jeu ne devrait pas faire de compromis sur les sensations. Au hockey de haut niveau, cela se traduit par des passes décisives, des dribbles créatifs et des glissades. Je crois que la technologie se développera dans le bon sens. Quant à savoir si ce sera prêt pour la Coupe du monde en 2026, j’émets des doutes. Le plus important est que le physique des joueurs soit protégé.”
Dans le cahier de la FIH, les JO de Paris seront le dernier grand tournoi à se disputer sur un terrain mouillé. L’affaire n’est pas encore close.