Jonathan Sacoor, la future star de l’athlétisme belge, se confie : "J’aurai moins de pression aux USA"
Entretien avec l’étoile montante de l’athlétisme belge qui, à 19 ans, voit 2019 comme un challenge
- Publié le 08-09-2018 à 07h19
- Mis à jour le 08-09-2018 à 09h32
Entretien avec l’étoile montante de l’athlétisme belge qui, à 19 ans, voit 2019 comme un challenge. En l’espace de six mois, et d’une progression chronométrique de plus d’une seconde (de 46.21 à 45.03) sur 400 m, il est devenu le plus grand espoir de l’athlétisme belge. Sacré champion du monde juniors de la discipline en juillet dernier, à l’âge de 18 ans, Jonathan Sacoor garde néanmoins la tête froide. Et c’est en toute simplicité qu’il nous a reçu dans la maison familiale, à Lot, sous le regard bienveillant de sa maman et de sa soeur, pour revenir sur une saison 2018 inoubliable et préfacer un avenir qui s’écrira en partie, pour lui, aux Etats-Unis.
Jonathan, comment avez-vous récupéré du Mémorial Van Damme ?
"Oh ! Ce fut assez difficile, je dois bien l’avouer : j’étais épuisé et j’ai souffert d’un gros mal de gorge juste après le meeting. Mais maintenant, ça va mieux."
Cette victoire sur 400 m à Bruxelles restera comme le dernier événement marquant au bout d’une saison de rêve.
"Oui, exactement. Gagner une course au Mémorial, le plus beau meeting en Belgique, celui qui m’a fait tellement rêver, c’était un sentiment extraordinaire. J’avais senti dès le tour d’honneur que la soirée allait être très spéciale. Et elle le fut ! Beaucoup présentent aujourd’hui cette course comme une victoire sur Kevin Borlée mais, à mes yeux, on a simplement couru ensemble et faire la dernière ligne quasiment côte à côte avec lui qui a été une de mes idoles, c’était un super moment. C’est cela que je vais retenir. C’était un rêve."
Teniez-vous à vous aligner avec le maillot de votre club, l’Olympic Essenbeek Hal ?
(Il sourit) "Plusieurs personnes m’ont dit : ‘ah! c’était sympa d’avoir couru avec le maillot rouge du club’ mais je dois être honnête, ce n’était pas spécialement un hommage, mais une question d’habitude. Le maillot de mon club a, pour l’instant, toujours une valeur sentimentale supérieure à celle de l’équipe nationale et je l’ai mis dans mon sac comme si j’allais disputer une simple course. Le seul truc embêtant, c’est qu’en arrivant au stade, on m’a dit : ‘désolé, pas de sponsor’ . Finalement, j’ai simplement remonté un peu mon dossard sur ma poitrine…"
Quelle analyse faites-vous de tout ce qui s’est passé pour vous cette saison ?
"Je pense que les bases avaient déjà été posées par mon ancien entraîneur, Jean-Marie Bras. Les fondations étaient en place en grande partie. Jacques Borlée m’a ensuite aidé à corriger mes défauts, jusque dans les détails. Lui et moi, on a une très bonne connection, c’est important, et je le considère d’ailleurs comme un coach, pas comme un simple entraîneur. Je me souviens qu’une semaine avant les Championnats du Monde juniors à Tampere, j’avais encore des difficultés avec mon départ, avec l’amplitude de mes premières foulées, avec la montée des genoux, avec la position des bras dans le virage, et j’étais trop crispé en fin de course. Jacques m’a dit de ne pas m’inquiéter et, finalement, j’ai produit la course parfaite en finale du 400 m. Je ne sais même pas comment les pièces du puzzle ont fini par être assemblées ! J’imagine que le stress des championnats se mue en grande concentration et là, on explose !"
À quel moment, dans la saison, avez-vous ressenti que vous étiez en train d’effectuer de gros progrès ?
"Je dirais lors du stage qu’on a fait en avril à Orlando, en Floride. Là-bas, j’ai senti que mon niveau s’améliorait comme jamais. Tous mes chronos à l’entraînement étaient très bons, je battais mes records, et Jacques m’a confirmé que les choses évoluaient bien. À la fin du stage, il m’a dit que j’avais les capacités pour devenir champion du monde juniors en juillet. Apparemment, il a même dit aux journalistes que je pouvais m’améliorer d’une seconde mais il ne me l’a pas dit à moi ! (rires) Je ne l’aurais pas cru de toute façon."
La qualité de cette préparation s’est confirmée lors du grand rendez-vous en Finlande.
"Oui ! Je suis arrivé en Finlande avec le 13e chrono des engagés parmi lesquels on recensait des adversaires courant en 44.80, donc je n’avais pas d’énormes espoirs. Mais j’ai vraiment grandi dans la compétition, tour après tour. Je fais d’abord une très bonne série, en étant l’athlète ayant utilisé le moins d’énergie pour se qualifier. Puis en demi-finale, Jacques m’a dit d’essayer de gagner la course pour montrer que j’étais ambitieux et que je voulais une médaille. Il ne fallait pas laisser les autres prendre trop confiance. Je signe alors un record de Belgique juniors en 45.72, ce qui signifiait que mes championnats étaient d’ores et déjà réussis."
Mais le podium devenait soudain accessible.
"Avant la finale, Jacques m’a dit que les deux Jamaïcains (NdlR : Sawyers et Taylor) , entre qui j’allais être placé au départ, allaient sans doute être très méfiants et qu’il y avait une grande chance qu’ils partent trop vite. C’est exactement ce qui s’est passé ! Après 300 m, j’accusais 10 mètres de retard sur Taylor, parti comme un dingue. Mais dans la ligne droite, sans réfléchir, je me suis relâché complètement et je l’ai repris à 50 mètres du but. Je n’ai fait qu’appliquer les consignes. Jacques Borlée me dit souvent : ‘Tu écoutes bien, surtout ne change pas !’ "
Vous n’êtes passé ce jour-là qu’à 2 centièmes du record d’Europe juniors de l’Allemand Thomas Schönlebe (45.01), qui détient aussi le meilleur chrono continental en seniors (44.33). Un petit regret ?
"Non, vraiment pas ! J’ai déjà effectué une progression tout à fait inattendue en trois courses, alors non. C’était certes la dernière année où il m’était possible de battre le record mais avec la saison que j’ai connue, je ne vais pas dire que je ne suis pas content. Ces deux centièmes n’auraient rien changé à une saison déjà parfaite !"
Avez-vous réalisé tout de suite l’impact de ce titre au plan international ?
"Non, pas vraiment, c’est venu plus tard. Après la finale, on m’a conseillé de ne pas trop regarder mon téléphone et de ne pas commencer à répondre à tout le monde. J’avais encore le 4x400 m qui m’attendait dès le lendemain et Jacques m’a dit d’aller dormir tôt, de rester calme. Finalement, j’ai disputé cinq courses en cinq jours, c’était très dur ! J’ai d’ailleurs connu un gros moment de décompression après cela, et j’ai dû m’en relever pour être prêt pour les championnats d’Europe de Berlin avec le relais."
Estimez-vous avoir beaucoup couru cette saison ?
"C’était beaucoup, c’est clair ! Indoor et outdoor confondus, en comptant l’individuel et les relais, j’ai disputé 18 courses cette année, dont 15 courses sur 400 m, contre 19 courses, mais à peine 8 courses sur 400 m, en 2017. Sur le tour de piste, on est donc quasiment passé du simple au double en un an. C’était nécessaire mais c’était très difficile et cela a généré beaucoup de stress. Celui inhérent aux championnats mais aussi en raison des attentes des gens qui sont de plus en plus importantes. L’année prochaine, je ne devrais pas faire plus de 16 courses sur 400 m."
Les compliments à votre égard se sont accumulés ces derniers temps. On parle de vous comme d’un futur crack de l’athlétisme mondial désormais.
(Il rit) "C’est vrai. Quand je lis ça, je me dis : ‘Wow ! C’est vraiment de moi qu’on parle, là ?’ Personnellement, cela ne me dérange pas que les gens parlent de moi en ces termes. Ce n’est pas grave du tout et cela me pousse à vouloir montrer ma valeur. Je le vois plutôt comme un challenge et cela ne me fait pas peur. Mais en athlétisme, il est important de trouver de la sérénité, de rester calme. On ne peut pas céder à la panique parce que ça tourne moins bien qu’on ne le voudrait."
Quelle est la grande leçon que vous avez tirée de cette saison ?
"Qu’il faut garder impérativement les pieds sur terre parce que la route peut tourner très vite. Pour l’instant, je suis sur un nuage et j’en profite. Mais en 2019, je ne peux pas faire n’importe quoi, je vais devoir bien choisir mes moments dans la saison."
Quelles seront vos priorités, précisément, l’an prochain ?
"Déjà, de janvier à juin, je vais partir aux États-Unis pour étudier et m’entraîner à l’Université du Tennessee à Knoxville. Après réflexion, j’ai choisi d’entamer des études de management sportif, que j’aurai la possibilité de poursuivre en Belgique ou même aux États-Unis si cela me plaît vraiment. Là-bas, je sais que j’aurai plus de temps pour me concentrer sur ma propre évolution et j’échapperai aussi à une certaine pression. Parce qu’ici, en Belgique, je fais encore fort attention à tout ce qu’on me dit. Par ailleurs, avec Jacques, on a décidé de mettre l’accent sur les Relais Mondiaux (en mai), qui sont qualificatifs pour les Jeux Olympiques de Tokyo, puis sur les Championnats du Monde de Doha, qui se dérouleront très tard, fin septembre. Entre les deux, on lèvera un peu le pied parce qu’on ne peut pas rester sous pression en permanence."
"Ce n’est quand même pas la prison..."
L’athlète de Beersel vient de rencontrer Ken Harnden, qui sera son entraîneur à Knoxville
Très courtisé après son titre mondial chez les juniors, Jonathan Sacoor a donc décidé d’opter pour les États-Unis et pour l’Université du Tennessee. Dès janvier prochain, il fera partie des Volunteers , le nom donné aux équipes sportives de cette unif de Knoxville.
"FSU (NdlR : Florida State University, par laquelle ont transité Kevin et Jonathan Borlée) me voulait aussi dans ses rangs mais un des aspects les plus importants à nos yeux était de pouvoir bénéficier d’une certaine souplesse au niveau du programme, ce qu’autorise la bonne entente entre Ken Harnden et Jacques Borlée", explique l’athlète de Beersel. "Franchement, la solution la plus facile et la moins risquée, c’était de travailler avec Ken. Ils se connaissent depuis plusieurs années et entretiennent une confiance mutuelle depuis que l’entraîneur zimbabwéen a pris en charge les jumeaux à l’époque."
Avez-vous déjà rencontré Ken Harnden ?
"Oui, il est venu en Belgique ce mardi pour rencontrer ma famille, expliquer comment on va fonctionner là-bas, définir nos objectifs, etc. Du 20 au 23 septembre, j’irai sur place pour découvrir mon futur environnement de sorte de que je n’aurai vraiment aucune inquiétude en débarquant là-bas. Ça va être une expérience de dingue ! Je vais apprendre énormément à tous les niveaux. Peut-être même que j’y retournerai l’année suivante. Quoi qu’il en soit, ce n’est pas une prison ! Quand je lis que Roger Moens supplie mon entourage de ne pas me laisser partir là-bas, je dois quand même rigoler. Il parle des États-Unis comme si c’était le bagne. Moi, je sais que je serai placé dans d’excellentes conditions et que je vais m’amuser et en profiter. Je suis impatient !"
La conséquence de votre statut d’étudiant, c’est que vous n’aurez pas d’équipementier...
"En effet, c’est le règlement. En tant qu’amateur, il m’est interdit de signer un contrat ou de gagner de l’argent. On verra donc ça plus tard..."