Thierry Boutsen raconte “son” Ayrton Senna : “Il aurait fini président du Brésil”
À l’occasion du 30e anniversaire de la disparition de “Magic”, le Belge, qui était son grand ami, se souvient.
- Publié le 01-05-2024 à 10h44
- Mis à jour le 01-05-2024 à 10h45
Parmi les pilotes de F1, il était de loin son meilleur ami. Thierry Boutsen a entretenu un rapport très spécial avec Ayrton Senna, à un tel point que le Brésilien désirait que le Belge soit son équipier chez Ferrari ! En toute simplicité, le triple vainqueur en Grands Prix se confie sur qui était le triple champion du monde côté jardin. Un moment poignant.
Thierry, on raconte qu’Ayrton dégageait une énergie atypique quand on le croisait dans le paddock. Est-ce vrai ?
”De fait, sur les circuits, Ayrton était spécial. Il avait une concentration extrême, il était intouchable et évitait soigneusement de se distraire avec les personnes inutiles. Il était dans sa bulle, mais c’est ce qui lui permettait d’être aussi fort. Nous nous entendions bien, lui et moi, mais dès que nous arrivions sur le circuit, il n’était plus question pour lui d’amitié.”
Et comment était-il dans le privé ?
”C’était un homme super, très gentil et tout à fait normal. Il ressentait le besoin de déconnecter du monde de la F1 en dehors des Grands Prix. Avec son aura, Ayrton impose un respect immense. D’ailleurs, encore aujourd’hui, il est considéré comme le plus grand pilote de tous les temps aux côtés de Fangio. Mais en privé, il était diamétralement différent du personnage qu’il était sur les circuits. Nous avons passé des moments formidables ensemble. Nous sommes partis en vacances. C’était génial, il m’a même appris le ski nautique car il était un expert en la matière.”
Il ne devait pas être dénué d’humour non plus…
”Un jour, nous faisions des essais à Magny-Cours. Nous étions dans le même hôtel. Je suis parti 10 minutes avant lui… et j’ai attaché des sapins en pots à sa voiture de location ! Quand il a démarré, tout s’est effondré ! Il cherchait dans tous les stands pour savoir qui lui avait fait le coup. Nous lui avons également saboté sa chaise lors d’un briefing à Spa-Francorchamps et des années plus tard, il m’a entarté avec mon gâteau d’anniversaire !”
Encore aujourd'hui, Ayrton est considéré comme le plus grand pilote de tous les temps aux côtés de Fangio.
Dans un dossier Michel Vaillant, il y a un dessin de vous deux pilotant des Ferrari F1 !
”À un moment, Ayrton hésitait à quitter McLaren pour Ferrari. Et effectivement, s’il signait à Maranello, il souhaitait m’imposer comme deuxième pilote. Finalement, cela ne s’est jamais fait et il est resté chez McLaren avant de rejoindre Williams.”
Quand l’avez-vous vu pour la dernière fois ?
”D’abord, en essais privés au Paul Ricard. Ensuite, je suis venu le samedi de ce fameux Grand Prix de Saint-Marin. Mais les accidents de Rubens Barrichello puis de Roland Ratzenberger m’ont choqué. Dans ma carrière, quinze de mes amis pilotes sont décédés. Je ne pouvais pas supporter ce show macabre plus longtemps et je suis rentré chez moi… où j’ai assisté devant mon écran à la mort d’Ayrton.”
Au moment de l’accident, avez-vous pensé que c’était fini pour lui ?
”Quand un accident aussi violent survient et que le pilote a perdu connaissance, il est clair qu’on ne se fait guère d’illusions quant aux chances de survie. Mais comme on dit, l’espoir fait vivre et tant que ce n’est pas officiel, on espère toujours un miracle.”
D’autant qu’avec l’accident de Ratzenberger, la course aurait dû être annulée…
”Je ne comprends toujours pas pourquoi elle a été maintenue. Mais quand le sport et le business s’emmêlent… Que dire de plus ?”
S’il avait survécu, aurait-il pu finir champion du monde face à Schumacher en fin d’année ?
”Je ne pense pas car il n’aimait pas sa Williams. Il arrivait certes à la mettre en pole position et à mener la course, mais la voiture n’était pas assez homogène pour briller sur tous les circuits. C’était le grand défaut des Williams de l’époque qui étaient trop inconstantes.”
Ayrton avait marqué son accord pour devenir le parrain de mon deuxième fils Cédric.
Au Brésil, le nom de Senna continue de susciter le respect…
”C’était un homme extraordinaire qui suscitait un énorme respect et qui apportait du baume au cœur des Brésiliens dont le pays était en plein marasme à l’époque. Il était très impliqué pour son peuple et je suis sûr qu’il se serait lancé en politique après sa carrière de pilote. S’il s’était présenté aux élections présidentielles, il aurait été élu avec une confortable avance !”
Êtes-vous toujours en contact avec sa famille ?
”Pas du tout. De son vivant, je côtoyais parfois ses parents mais c’est tout. Je n’ai jamais été impliqué dans les différents projets en son nom portés par sa famille.”
Avez-vous encore aujourd’hui des objets ou des cadeaux donnés/offerts par Ayrton ?
”Il m’avait donné un casque. Alors que je m’apprêtais à être père pour la deuxième fois avec Cédric, il a marqué son accord pour être son parrain. Cédric est né le 24 mai 1994. Aujourd’hui, c’est lui qui a le casque.”