Jean-Marc Fortin se livre: "Le Dakar, ce n’est pas le Club Med"
Jean-Marc Fortin à la tête de l’armada Toyota avec 23 véhicules et 100 personnes.
- Publié le 27-12-2017 à 08h54
- Mis à jour le 27-12-2017 à 08h55
Jean-Marc Fortin à la tête de l’armada Toyota avec 23 véhicules et 100 personnes. À 49 ans, Jean-Marc Fortin (à droite sur la photo), ancien champion d’Europe des rallyes aux côtés de Bruno Thiry (2003), se prépare à disputer son douzième Dakar. Après sept éditions en tant qu’équipier depuis 2005, le Hutois dirigera la manœuvre pour la cinquième fois en tant que directeur sportif du team All Speed Overdrive représentant cette année les couleurs officielles de Toyota.
Un sacré défi pour celui que l’on surnomme gentiment Boule, à la tête d’un convoi digne de Bouglione avec 23 véhicules et 100 personnes de seize nationalités différentes.
Jean-Marc, ce n’est pas trop stressant d’emmener tout ce monde sur les pistes d’Amérique du Sud ?
"Cela ne m’empêche pas encore de dormir, non. Mon premier sentiment quand j’ai remonté tout ce convoi partant pour prendre le bateau est de la fierté. J’en avais des frissons. Et puis évidemment, c’est une énorme responsabilité. Vous savez, le Dakar ce n’est pas le Club Med. Vous traversez certaines villes hostiles. Il est difficile de finir sans un incident, un accident, quelques bobos. Tu y penses une ou deux fois sur la semaine. Maintenant, du côté sportif, c’est un vrai kif . Je remercie dieu après ma carrière de copilote de m’avoir permis de goûter à cela. Se battre face à Peugeot et Mini, c’est top."
Le Dakar, c’est un peu Le Mans du raid, l’épreuve qui tire tout le championnat ?
"C’est vrai, c’est l’événement de l’année. Pendant deux mois, on parle plus de nous. Il faut capitaliser là-dessus. Médiatiquement, le raid a du mal à exister en dehors du Dakar . C’est un peu sa maladie. Mais en tant que team, on a trouvé une bonne vitesse de croisière et on a du boulot partout."
Le Dakar est-il toujours le même en Amérique ?
"Pas du tout. On a perdu pas mal côté aventure. Mais on y a gagné sur les plans sportif et sécurité. L’hôpital le plus proche n’est plus à 5 heures de vol. Je n’avais pas l’esprit aventurier à la base, mais aujourd’hui je suis un peu nostalgique. Je pense néanmoins que mon expérience du WRC m’a aidé à franchir plus rapidement le cap. Certains préparateurs ont encore la mentalité africaine en faisant de la préparation Karcher. On met de l’essence et on attend que cela casse. On ne procède pas de la sorte chez Overdrive. On anticipe pas mal , on change les pièces par précaution après un kilométrage défini."
Pourquoi n’y a-t-il quasi plus de Belges au départ ?
"En grande partie à cause de l’absence de télévision. Quand la RTBF et VTM étaient présents grâce à Koen Wauters, il y avait un réel engouement en Belgique. Il y avait plus de visibilité et il était plus facile de trouver des partenaires. Je crois aussi que le décalage horaire défavorable fait du mal aux télévisions. Mais regardez RTL7. Ils sont là, jouent le jeu et cela explique pourquoi il y a beaucoup de Néerlandais."
Votre boulot est-il conciliable avec une vie de famille ?
"Difficilement, je vous l’accorde. D’ailleurs, c’est peut-être aussi pour cela que je n’ai pas d’enfant. J’ai une copine mais c’est dur. Elle ne m’accompagne pas sur les courses et je suis très souvent parti. Il n’y a pas de temps mort, d’intersaison en rallye-raid. Un mois après le Dakar , je serai déjà dans la neige en Russie. Mais je n’ai pas de regret. J’adore ce que je fais."
"Un raid plus attractif en 2019"
Jean-Marc nous annonce quelques changements pour le futur du rallye-raid.
Devenu membre de la commission rallye-raid de la FIA, Jean-Marc Fortin suit de près une discipline qui devrait encore évoluer dans les années à venir.
"Onze manches pour la Coupe du Monde, c’est clairement trop. Dès la saison 2018, deux courses vont disparaître", révèle notre interlocuteur. "Vous devez savoir que les Qataris ne peuvent plus entrer à Abou Dhabi ou à Dubai. Ce qui empêcherait désormais Nasser de défendre son titre. La FIA n’aime pas trop que l’on mêle sport et politique et donc va annuler les deux manches se disputant dans ces pays. En 2019, il va y avoir la création d’un véritable Championnat du Monde des rallyes-raids avec un maximum de sept à huit épreuves."
Mais la refonte concernera aussi le règlement technique.
"On veut se diriger vers des 4x4 (et non plus des buggies) plus attractifs au niveau du look, avec des plus grandes roues, quelque chose de plus agressif, comme en WRC cette année. Il y a beaucoup de jeunes débarquant en WRC et toute une génération sera bientôt heureuse de pouvoir basculer en raid."
Mais le départ annoncé de Peugeot après son dernier Dakar ne risque-t-il pas de porter préjudice à la discipline comme les retraits d’Audi et de Porsche en WEC ?
"Non, car ici ce n’est pas que Toyota va se retrouver seul. Le plateau du raid a toujours été composé d’usines mais aussi de privés. Et l’écart entre les deux n’est pas énorme. Un bon privé peut toujours réussir à se distinguer."
Du côté du team Toyota Overdrive, on ne pleure en tout cas pas le retrait du Lion : "Les Japonais vont intensifier leur présence et nous sommes actuellement en négociations avec un sponsor du constructeur français, une grande marque de boisson énergétique, souhaitant poursuivre son implication dans la discipline."
"Je crois que c’est le dernier de Stéphane Peterhansel"
Le Hutois ne voit pas Sébastien Loeb poursuivre son engagement en raid
Pour Jean-Marc Fortin, au cœur du marché des transferts, ce Dakar pourrait bien être le dernier pour les trois pilotes Peugeot, Stéphane Péterhansel, Sébastien Loeb et Carlos Sainz.
"J’ai le sentiment que Peter pourrait bien annoncer après l’arrivée qu’il arrête en même temps que Peugeot. Qu’il signe une quatorzième victoire ou pas. C’est mon ressenti. Concernant Sébastien Loeb, il reste lié à Peugeot et ne roulera donc clairement pas pour nous. Ils vont mettre le paquet en 2018 pour lui en rallycross et il aimerait bien revenir sur quelques rallyes WRC. Quant à Carlos Sainz, il a déjà gagné le Dakar et aime bien suivre son fils en Formule 1. Je ne l’imagine donc pas non plus chercher un autre volant."
Du côté d’Overdrive, on devrait donc, sauf surprise, garder le même brelan de pilotes de pointe.
"Plus de chances de succès cette année"
Avec le soutien de l’usine et un parcours plus taillé pour Nasser Al Attiyah
Deux fois deuxième, en 2013 et 2015 avec le Sud-Africain Giniel de Villiers faisant toujours partie de l’aventure, Jean-Marc Fortin n’a encore jamais réussi à faire monter ses troupes sur la plus haute marche du podium du Dakar.
C’est sans doute le seul fleuron manquant encore à un copieux palmarès en rallye-raid avec une nouvelle victoire dans la Coupe du Monde de son Qatari Nasser Al Attiyah.
"C’est sûr que c’est plus que jamais l’objectif et qu’on a cette année plus de chances d’y arriver même si Peugeot reste favori", confie le Hutois.
Mais pourquoi donc estime-t-il que Toyota est cette fois mieux armé que par le passé?
"Tout d’abord parce que, pour la première fois, l’usine soutient notre projet. On garde la même structure avec l’équipe sud-africaine All Speed pour le design et Overdrive se charge de l’exploitation et du développement. On peut donc être désormais considéré comme un team officiel même si notre budget Dakar ne dépasse pas les 5 à 6 millions contre 20 à Peugeot qui a multiplié les séances d’essais. Nous, notre préparation, ce sont les courses de l’année. Sur certaines, comme au Maroc, on a bien marqué le coup face aux Peugeot de Loeb et Sainz. Dans certaines spéciales, on leur a mis des gifles. La voiture a bien évolué par rapport à l’an dernier. Elle a 6.000 ou 7.000 km dans les roues. On est prêt pour le grand défi avec nos trois équipages officiels Al Attiyah, De Villers et Ten Brinke, mais aussi sept équipages privés avec notamment un Chinois qui sera copiloté par Stéphane Prévot. On y croit. On va tout faire pour gagner."
Puis il y a aussi le parcours, plus favorable cette année aux véritables renards du désert.
"Exact. On va démarrer par cinq jours dans les dunes, ce qui est assez atypique. Il risque d’y avoir rapidement des gros écarts" , fait remarquer Jean-Marc Fortin. "En 2013, on avait vite perdu une ou deux Peugeot. Nos pilotes sont dans le rythme de la Coupe du Monde. Ils ont beaucoup d’expérience du sable. Ce sont des vrais raiders . Les pilotes de WRC comme Mikko Hirvonen ne seront pas à leur avantage. Le problème de gars comme Loeb ou Sainz est qu’ils conservent l’esprit de combat du WRC. Ils ne veulent pas perdre une seconde. Quand il y a un sommet à l’aveugle, ils le prennent à fond. En se disant : ‘on verra bien après’ . Mais cela ne passe pas comme cela durant quinze jours en raid. Il faut plus anticiper, attaquer quand il le faut mais savoir aussi perdre des secondes, lever le pied quand le terrain est trop cassant ou piégeux. En WRC, tu contrôles tout. Tu connais la route, tu écoutes tes notes. Au Dakar , c’est plus dangereux. Tout est plus aléatoire. Tu dois faire confiance aux notes d’un autre. Tu ne peux clairement pas rouler comme en rallye sinon il t’arrive toujours une bricole comme c’est souvent le cas pour Sébastien Loeb."