Navas et Karius, deux gardiens qui reviennent de loin: comment se sont-ils imposés?
Acteurs majeurs du parcours du Real et de Liverpool, Keylor Navas et Loris Karius ont en commun un parcours émaillé de critiques. Mais ils se sont hissés jusqu’en finale, un match que Simon Mignolet observera du banc…
- Publié le 24-05-2018 à 16h25
Acteurs majeurs du parcours du Real et de Liverpool, Keylor Navas et Loris Karius ont en commun un parcours émaillé de critiques. Mais ils se sont hissés jusqu’en finale, un match que Simon Mignolet observera du banc…
Navas, l'homme de foi
Keylor Navas a puisé dans la religion la force de résister aux épreuves imposées depuis son arrivée au Real. À force, Keylor Navas préfère s’en amuser. Le 1er mai dernier, dans les catacombes de Santiago Bernabeu, le Costaricain a devancé les questions des suiveurs du Real Madrid. "Vous avez vu, le Real Madrid a déjà un nouveau gardien, je me suis coupé les cheveux et je suis un autre homme", a-t-il lancé en souriant. Effet garanti.
La scène résume assez fidèlement la vie madrilène du gardien qui, ce soir-là, avait été époustouflant. Voilà quatre ans que Navas a rejoint la Maison blanche. Et voilà quatre ans qu’il combat cette défiance environnante. Parce qu’il ne possède pas cette aura médiatique galactique ? Possible. Sans doute même.
À l’été 2014, le Costaricain quitte Levante dans les habits du portier ayant réussi le plus d’arrêts en Liga, tout en étant auréolé du prix de meilleur gardien du Mondial où il a explosé avec les Ticos.
Rapidement, il éteint la concurrence de Kiko Casilla pour assurer la succession du monument Iker Casillas. Sans pour autant pouvoir mettre fin aux spéculations entourant son poste. David De Gea, Thibaut Courtois, Gianluigi Donnarumma ou plus récemment Kepa et Gianluigi Buffon : tous ont été à un moment ou un autre expédié à Madrid par la presse espagnole.
Le premier nommé a été le plus proche de rejoindre le Real, il aurait même dû le faire à l’été 2015 sans un contretemps administratif à quelques minutes de la clôture du mercato. Navas aurait dû faire le chemin inverse et n’a rien oublié de cet épisode qu’il a qualifié sur la Cadena Cope comme "l’un des pires jours de ma carrière".
"J’ai pleuré quand le mercato s’est terminé. J’étais avec ma femme. Je suis humain, tout a explosé", a-t-il confié. "J’attendais avec nos valises à l’aéroport. J’étais presque dans l’avion. Le contrat est arrivé mais c’était trop tard. Je suis rentré à la maison, j’ai pleuré." Puis le gardien a prié. Comme il l’a fait un an plus tard.
Quand, à l’automne 2016, il peine à retrouver cette explosivité qui fait sa force après trois mois d’absence pour une blessure au talon d’Achille, le Real lui conseille de solliciter un psychologue, lui refuse et se réfugie dans la prière. Encore.
Comprendre Navas revient à se plonger dans une bulle où famille et foi ne font qu’un. Le gardien s’est construit sur ses deux piliers. "Ma foi est la chose la plus importante de ma vie", a expliqué dans El Pais ce catholique évangélique l’an passé. "Elle a changé ma vie, elle a rempli un vide. Dieu m’apporte beaucoup", a souligné celui qui a rencontré sa femme, André Salas, une ancienne mannequin, dans une église de San José. Ses références bibliques lors de ses interviews sont nombreuses : "Je suis très calme, je sais que je vais devoir partir un jour mais seul Dieu sait quand."
Entre l’étude approfondie des écritures qu’il mène deux fois par semaine, le gardien s’avance aussi comme un bourreau de travail. Du genre à effectuer un exercice 25 fois quand la consigne le limite à 20.
Accro à la vidéo au point de s’infuser de nombreux montages, Navas s’est découvert cette vocation de devenir gardien un jour d’épiphanie, quand, à 6 ans, il voit le portier de l’équipe nationale Lester Morgan réaliser un arrêt exceptionnel sous ses yeux. Son destin est tracé et l’a donc emmené jusqu’au Real où le crédit dont il jouit à l’extérieur du club est inversement proportionnel à celui dont il bénéficie à l’intérieur du vestiaire où il est très proche de Marcelo, Modric et Benzema et possède un petit surnom, Mae, dans une expression qui pourrait se traduire par frère ou oncle.
Sans posséder l’image la plus clinquante, Navas apparaît avec Cristiano Ronaldo comme le seul autre Madrilène qui a inspiré un film. Projeté à Cannes, le biopic Hombre de Fe retrace sa trajectoire. Ce qui lui a fait dire sur la Croisette : "J’espère que cela va inspirer des enfants et leur donner la force de réaliser leur rêve." À condition d’avoir la foi.
Karius, le patient anglais
Loris Karius a mis du temps à apprivoiser les spécificités du football made in England.
Petit quizz pour commencer : quel gardien est parvenu à garder le plus souvent sa cage inviolée cette saison en Ligue des Champions ? David De Gea ? Non. Gianluigi Buffon ? Toujours pas. Le grand gagnant se nomme… Lorius Karius !
Alors que Liverpool a établi durant cette campagne un nouveau record de buts inscrits (40 !), l’Allemand a rendu 6 clean sheets en 13 sorties contre 5 pour le Romain Alisson et le Barcelonais Marc-André ter Stegen.
La statistique symbolise assez fidèlement la trajectoire du portier, qui a commencé la saison dans l’attente, devant se contenter uniquement de la Ligue des Champions, et la termine dans la peau d’un titulaire devenu enfin indiscutable depuis le 14 janvier dernier et sa présence sur le terrain contre Manchester City. Comme un clin d’œil à son destin fait de patience.
Car Liverpool n’a pas été le premier club anglais du natif de Biberach dans le sud-ouest de l’Allemagne. En 2009, à tout juste 16 ans, Karius quitte Stuttgart pour rejoindre… Manchester City.
À l’époque, le club allemand ne peut refuser une offre qualifiée d’exorbitante. Lui débarque dans un club en pleine mutation. Avec une clause très claire dans son contrat : s’il évoluera avec les jeunes, il obtient la garantie de jouer en équipe première. Une fausse bonne idée au final.
"J’ai joué en U18 et en réserve et je m’entraînais chaque jour avec l’équipe première, avec Joe Hart, quelqu’un de super qui m’a beaucoup aidé. C’est un exemple et je ne regrette rien. Mais je voulais jouer régulièrement dans une équipe première et c’était assez difficile pour un jeune, surtout un gardien, de le faire à City, donc je me suis dit que je devais faire un petit pas en arrière pour aller dans un plus petit club. C’est ce que j’ai fait", a-t-il expliqué au printemps dans The Times.
D’abord sous forme de prêt, son retour en Allemagne, à Mayence, se transforme en transfert définitif sans que l’état-major des Citizens n’y fasse obstacle : ceux qui le côtoient s’interrogent sur son talent et sa motivation. Et tous le jugent inférieur à ses prédécesseurs Wayne Hennessey, Kasper Schmeichel ou Keiren Westwood, qui sont passés par City avant lui.
"Moi, ce que je voulais, c’était jouer", a encore justifié Karius. "J’avais une bonne chance de le faire à Mayence avec un jeune coach qui croyait en moi et me voyait comme le titulaire du poste dans un futur proche. J’avais 18 ans et je voulais progresser. C’était peut-être un petit pas en arrière mais j’ai joué 100 matches en Allemagne et je suis revenu dans un grand club."
Avec l’étiquette de deuxième meilleur gardien de Bundesliga derrière Manuel Neuer. Ce qui ne l’a pas empêché de s’armer encore de patience.
Une fracture de la main en préparation en juillet 2016 contrarie son envol et Jürgen Klopp le lance après la 6e journée en septembre. Pour seulement dix rencontres de Premier League avant que Simon Mignolet ne reprenne sa place et termine la saison. "C’est comme cela parfois. Les années précédentes, tout allait dans mon sens, je n’étais jamais blessé, j’ai joué trois ans comme cela, toujours bien, sans rien de négatif. Cela fait partie du métier de pro, il peut y avoir une période où les choses sont moins parfaites", a philosophé récemment l’Allemand, qui s’est noué d’amitié avec Justin Bieber depuis des vacances passées en commun à Miami.
"C’était une expérience nouvelle mais je peux maintenant dire que j’ai beaucoup appris, notamment psychologiquement. Cela m’a fait grandir. Parfois, cela ne va pas aussi bien que vous voulez et, en tant que gardien, il faut être patient et juste attendre. Si je n’y avais pas cru, peut-être que j’aurais dit qu’il fallait trouver une solution l’été dernier. Mais ça n’a pas été le cas, j’y croyais à 100 %. C’est pour cela que tout a toujours été clair pour moi dans mon combat pour retrouver ma place. J’ai bien fait d’attendre; je suis heureux d’avoir été patient."
Et l’international allemand en récolte désormais les fruits.
Mignolet, la doublure contrariée
Simon Mignolet a mal vécu son dégradement mais ne laisse rien transparaître.
"Peu importe ce qui arrive, la seule chose que vous pouvez faire est de continuer à travailler dur, à rester positif et croire en vous. Merci à tous pour votre soutien continu."
Simon Mignolet n’est pas du genre à ruer dans les brancards. Plus à se montrer philosophe, comme l’a prouvé ce message posté sur son compte Twitter le mois dernier. Sa rétrogradation en tant que doublure effective depuis que Loris Karius a été titularisé contre Manchester City le 14 janvier dernier a été brutale. Lui avait senti le coup venir. A demandé des explications sans jamais obtenir de réponse claire. Puis s’est réfugié dans le travail. Sans faire de vagues.
"En interne, tout va bien, mais évidemment qu’il n’est pas content. Comment pourrait-il l’être ?", a reconnu Jurgen Klopp. "Mais il accepte la situation et s’entraîne à un très haut niveau. Ils se tirent la bourre avec Karius. Simon a été titulaire pendant longtemps, qu’il soit numéro deux ne change pas sa très bonne attitude à l’entraînement."
Et pour James Milner, les bonnes prestations de Karius s’expliquent aussi par la qualité de sa doublure "qui a l’immense mérite de le pousser".
Aligné sur la scène européenne uniquement lors des barrages contre Hoffenheim, Mignolet va s’asseoir sur le banc ce samedi. Avant de s’en aller. Cette élimination en Cup le 27 janvier contre West Bromwich a de très fortes chances d’être son 202e et dernier match sous les couleurs de Liverpool. Depuis, le Diable a changé d’agents et son avenir pourrait s’écrire en Allemagne.