Dans les coulisses de la faillite de Mouscron: comment les dirigeants ont tué l’Excel
Le REM s’est éteint une seconde fois en treize ans. Plongée dans les coulisses d’un club où les dirigeants ont brillé par leur incompétence et leur naïveté.
- Publié le 17-06-2022 à 08h12
- Mis à jour le 17-06-2022 à 12h12
Patrick Declerck devait être le président qui devait rendre à Mouscron un visage plus humain. "Ce n'est pas le football en soi qui m'intéresse mais la promotion de ma ville", se plaisait-il à rappeler dans nos colonnes il y a deux ans.
Il était censé incarner un visage jovial "à la Detremmerie'' sans les arcanes ambitieux de celui qui avait construit de A à Z et anéantit par la folie des grandeurs le matricule 224. "À la différence du temps de feu l'Excelsior, le club est bien mieux géré maintenant. La différence réside dans la gestion. Chaque facture est payée directement. Il ne faut pas jouer au riche quand on n'a pas le sou'', certifiait-il alors que l'Excel impressionnait la Belgique entière sous la direction de Bernd Storck en 2019.
Pourtant, Patrick Declerck restera dans l'histoire comme le président qui a fait couler les Hurlus une seconde fois en treize ans. Si le dirigeant n'est pas l'unique responsable de ce naufrage, il aura eu la mauvaise idée de croire naïvement en Gérard Lopez et de placer une confiance aveugle et mystérieuse en Paul Allaerts. Retour sur une saison apocalyptique où le club aurait pu être sauvé une demi-douzaine de fois avec un peu de pragmatisme et de compétence au sein du conseil d'administration.
Les clés à Scifo, un premier clou dans le cercueil
Il sonnait un doux vent d’espoir il y a presque un an jour pour jour. Le Rem était tombé en D1B et il avait fallu cet électrochoc pour en revenir aux fondamentaux. Le duo Declerck-Allaerts donnait à Mbo Mpenza la chance qu’il attendait depuis trop longtemps. L’ancien Anderlechtois revêtait le costume de directeur sportif. Emile revenait comme entraîneur adjoint. Le public du Canonnier rajeunissait de vingt ans sans savoir qu’il attraperait à nouveau vite des cheveux gris.
L’histoire était peut-être trop belle. Pour son premier choix, le plus important, dans ce nouveau rôle, Mbo mise sur Enzo Scifo. Une décision incompréhensible tant, dans le milieu du football, tout le monde se souvenait de sa dernière expérience catastrophique chez les Diablotins.
On ne reste pas cinq ans loin du banc quand ses méthodes sont convaincantes. Les espoirs belges n’hésitaient pas à exprimer en off leur incompréhension face aux choix de leur coach. Un quinquennat plus tard, rien n’a changé. Un immense joueur ne se reconvertit pas forcément en grand entraîneur.
Auteur d'un début de saison catastrophique, le Belgo-Italien est lâché par José Jeunechamps, son T2. "Je ne me vois pas arriver à un match sans connaître mon adversaire. Nos façons de voir le métier ne sont pas les mêmes", lâche celui qui remplacera Scifo quelques semaines plus tard.
En off, les joueurs n'en croient pas leurs yeux. Leur coach leur propose en guise de séance vidéo tactique des résumés... Eleven de trois minutes sur leur futur adversaire. L'ex-star des Diables rouges résiste à son bilan de deux unités sur 21 mais pas à une altercation avec un supporter mouscronnois lors d'un banal match amical perdu face à Mandel United le 14 octobre. "Dégage, pouilleux'', lui assène-t-il avant d'être retenu par ses propres joueurs afin d'éviter l'affrontement physique.
Le licenciement est trop tardif. Les partenaires financiers de Gérard Lopez, qui avaient pour ambition de remonter directement, ont retiré leurs billes. Les salaires de novembre sont versés tardivement. Cela deviendra récurrent jusqu’à la fin de la saison.
Des pistes de reprises en permanence refusées
Ces arriérés inquiètent les joueurs mais leur superbe entente réalise des miracles. Bien souvent sans être payés, les partenaires de Christophe Lepoint remontent la pente à tel point que la perspective des barrages ne représente plus une utopie mi-février. Dans les bureaux de la direction, on continue de manière benêt à jouer la carte Lopez malgré les problèmes financiers de plus en plus importants.
La piste Anton Zingarevich, un milliardaire américano-russe propriétaire du Botev Plodiv, club de D1 en Bulgarie, se détache en décembre. Le conseil d’administration est relancé à trois reprises. Il ne donnera jamais suite. Cette option s’est éteinte de facto avec la guerre en Ukraine mais le procédé des dirigeants restera identique par la suite.
Derrière les caméras, Patrick Declerck s'agace auprès de l'effectif et de leurs revendications à la presse envers Gérard Lopez de peur de froisser l'homme d'affaires hispano-luxembourgeois. ''Je suis sûr qu'il ne nous laissera pas tomber. Depuis quatre mois, il sort son argent personnel pour assumer les salaires. Il est allé bien au-delà de ses engagements", déclare-t-il dans le journal français Sud Ouest.
Les jours passent et la faillite se rapproche. Début avril, des investisseurs turcs claquent la porte après des négociations intensives. Ironie du sort: quelques jours plus tôt, Westerlo vient fêter en grande pompe son titre de champion de Belgique. En tribune VIP, Oktay Ercan, le président de Westerlo, se félicite de la reprise du club par ses compatriotes qu’il connaît. Hélas, ces derniers deviennent fatigués des atermoiements de Lopez. Le propriétaire accepte d’abord de vendre toutes ses parts avant de se raviser et de vouloir garder 20 % de l’Excel en échange d’une participation minime inférieure à moins de 5 % dans Bordeaux et Boavista, ses deux autres clubs.
Plus que 3 000 petits euros sur le compte en banque
Des contacts sont noués avec Chantal Stanley en vue d’un rapprochement avec Newcastle mais l’agent historique de David Ginola coupe vite les ponts vu le manque de sérieux de ses interlocuteurs.
Des repreneurs de Dubaï montrent patte blanche et apportent une garantie bancaire de trois millions d’euros pour montrer leur solvabilité. Les dirigeants ne souhaitent pas ouvrir les comptes aux prétendants. La raison ? Une prétendue lettre de confidentialité qui tombe, méthode par ailleurs illégale, s’ils versent la somme directe de cinq millions sur le compte de l’avocat du club.
Les comptes du club, eux, sont à sec. La direction tente le tout pour le tout et fait appel devant le C-Sar (Centre belge d’arbitrage dans le secteur sportif) pour obtenir une licence, comme chaque année refusée en première instance. La procédure coûte 18 000 euros. Après versement, il ne reste plus que… 3 000 petits euros sur le compte courant du matricule 216.
Quelques jours avant leur audition, ils tentent un ultime double coup de poker. Un communiqué du club, toujours visible sur le site internet, certifie que ''les salaires du mois de mars et avril ont été payés''. À l'heure actuelle, les joueurs attendent toujours leur argent.
Trois jours avant le passage devant le C-Sar, Benjamin Seillier relance la piste Charlie Methven, co-propriétaire de Sunderland. Le directeur financier, devenu directeur général à la suite du départ de Paul Allaerts aux côtés de Lopez dans la gouvernance de ses trois clubs, avait préféré ignorer cette option quand elle s’était présentée une première fois six mois auparavant. Les négociations se déroulent par visioconférence. Elles sont (trop) tardives. L’Excel passe à 16 h devant la C-Sar le 5 mai. Deux heures auparavant, Seillier acte la proposition où Charlie Methven est prêt à prendre 55% du club. Un associé, François Mellioch, l’accompagne dans l’investissement contre 15%. Ils sont prêt à mettre quatre millions d’euros directement pour continuer dans le monde professionnel et le duo s’engage à apurer la dette d’1,5 million envers les fournisseurs en deux ans. Dans ce plan, Gérard Lopez aurait gardé de manière temporaire 24% (les six restants appartenant aux actionnaires historiques). Une solution trouvée dans l’urgence pour passer l’écueil de la licence.
Sans ironie, Paul Allaerts, qui ne détient plus de rôle officiel à Mouscron, a continué à être mis en copie de chaque mail lors des discussions avec des repreneurs potentiels sur l’adresse personnelle qu’il utilisait quand il officiait rue du Stade. En cinq ans, il n’aura cessé de faire utiliser son réseau pour des avantages comme des factures d’audits inutiles. Son salaire démentiel à plus de 35.000 euros par mois et sa vision sportive inexistante auront endetté petit à petit les pensionnaires du Canonnier.
Fort logiquement, le C-Sar rejette le dossier mouscronnois car incomplet. Les joueurs apprendront par message la décision. Les employés du club recevront toutefois leur salaire du mois de mai sauf le jardinier, le seul à avoir travaillé de manière effective durant le mois car les dirigeants invoquent la rétribution de la ville qu’il touche, une indemnité qui se chiffre seulement à près de 1 000 euros.
La vénalité des actionnaires locaux ont tué le Futuro
Dans ce grand gâchis, 600 footballeurs en herbe se retrouvent sur le carreau. Un Futuro dont on cherche à sauver les quelques fondations qu’ils restent et qui aurait pu être mis à l’abri financièrement il y a alors sept ans.
Les actionnaires locaux, à la base de la renaissance de l’Excel, avaient perçu individuellement une plus-value de 150 000 euros lors de la vente du club à Pini Zahavi pour une mise initiale de 1 500 euros. Ils s’étaient engagés à les verser auprès de l’école de foot mais ont préféré les investir dans leur patrimoine personnel. Parmi eux, des gens aux métiers respectables, comme avocat ou femme politique, plus prompts à donner des leçons qu’à les appliquer. Leur vénalité a tué le Futuro. Les promesses n’engagent malheureusement que ceux qui les reçoivent. Comme un dégoût et un sentiment de tromperie.