Aleksandar Ilic, champion avec Bruges et Anderlecht, ex-patron d’une biscuiterie, est T1 en Arabie : “En Iran, j’ai été témoin d’une explosion”
Aleksandar Ilic, qui a gagné ses sept Toppers entre le Club Bruges, est actuellement coach d’une équipe de D2 en Arabie saoudite.
- Publié le 06-04-2024 à 14h27
Les joueurs à savoir gagné tous les Toppers auxquels ils ont participé sont rares. Aleksandar Ilic (54 ans) est l’un d’eux. “Je savais que je n’avais jamais perdu avec le Club Bruges contre Anderlecht et vice versa mais j’ignorais que j’avais gagné tous ces matchs”, nous explique-t-il depuis Unaizah, une ville à 400 kilomètres au nord de Riyad, la capitale de l’Arabie saoudite. Ilic y est coach d’Al-Arabi SC, troisième en D2 qui est sur le point de monter vers la D1 de Cristiano Ronaldo. Le Serbe fait partie des rares joueurs ( avec notamment Rensenbrink, Degryse, Staelens, Ekakia, Vargas et Mats Rits) à avoir quitté le Club Bruges pour Anderlecht.
Après ses aventures au Club (un titre et une Coupe entre 1997 et 2000) et à Anderlecht (un titre et deux campagnes de Ligue des champions entre 2000 et 2003), il s’est d’abord lancé dans le monde des affaires avant de devenir entraîneur.
”Encore fâché pour la rouge contre Mbo Mpenza”
Dès son arrivée en Belgique, Ilic a remporté le titre. “Dans une formidable équipe avec Fadiga, Van der Elst, Staelens, Verheyen; avec le meilleur entraîneur de tous : Éric Gerets. On avait dix-huit points d’avance.” Bruges gagnait même ses matchs à dix contre onze, comme à Sclessin. Ilic avait été exclu à 0-1, Bruges avait gagné 0-3. Ilic s’énerve encore quand il raconte la scène. “La première faute – un tirage de maillot – avait été commise par Mbo Mpenza. L’arbitre (Romain) n’avait pénalisé que ma faute. J’ai d’ailleurs été blanchi par le comité disciplinaire, ce qui m’a permis de jouer et gagner contre Anderlecht.” Et ce but de la qualification à la 116e contre Stuttgart (3-2) en Coupe UEFA ? “J’étais défenseur central mais Gerets me permettait de monter en attaque. Deux semaines plus tard, j’ai aussi inscrit le 3-2, à la 90e contre Charleroi. Les supporters m’adoraient et c’était réciproque.”
”Les fans de Bruges ont été manipulés pour me siffler”
En janvier 2000, l’amour des fans devient de la haine, quand les journaux annoncent qu’Ilic a signé à Anderlecht. “J’avais discuté avec Bruges pour un nouveau contrat. Vu les services rendus, j’estimais que je méritais que mon contrat soit revu légèrement à la hausse. La direction a refusé. Et, ensuite, une campagne anti-Ilic a été lancée. Les supporters ont été manipulés pour se retourner contre moi.” Ilic a été versé dans le noyau B, soi-disant parce qu’il avait simulé une blessure. 24 ans plus tard, il est encore fâché. “J’étais vraiment blessé ! Ce n’est que par après qu’on a compris pourquoi : on devait jouer avec des chaussures Adidas, et elles serraient trop. À Anderlecht, Adidas m’a fait des chaussures à mesure. J’ai traîné cette blessure pendant un an et demi.” Dans le noyau B de Bruges, Ilic avait reçu comme consigne de ne plus avoir de contact avec les joueurs du noyau A. “On m’a manqué de respect. C’est le passé, je le sais, mais j’ai quitté le Club sans le moindre merci. Tout comme Staelens, j’ai été sifflé lors de mon retour avec Anderlecht. Cela m’a fait mal, parce que j’avais connu de très beaux moments au Club.”
”Ma maison parentale a été bombardée”
Ilic est arrivé à Bruges pendant la guerre en ex-Yougoslavie. “Ce n’était pas évident, pour moi. J’étais très émotif. Je vais raconter une chose que j’ai cachée à l’époque : on m’a appelé pour dire que ma maison parentale à Nis a été bombardée. Heureusement, aucun membre de ma famille n’a été tué. Mais ce n’était pas évident de me concentrer sur le foot. Cette expérience m’a toutefois endurci. En 2019, j’ai coaché Al Shorta, l’Anderlecht d’Irak. Pendant un de mes premiers entraînements, j’ai vu une base militaire exploser. On m’a aussitôt assuré que ce n’était pas un attentat mais un accident dans un entrepôt de munitions. J’aurais pu m’enfuir mais je suis resté. Je suis même revenu à Al Shorta après la crise Covid.”
”J’ai le maillot de Figo et Ravanelli”
Ilic a rejoint Anderlecht à la demande d’Aimé Anthuenis. “Comme Sir Alex Ferguson à Manchester United, Aimé avait l’art de composer un noyau avec des joueurs de plus petites équipes, comme Koller. Mais le problème, c’est qu’à Anderlecht, j’ai souvent dû jouer comme arrière gauche alors que j’étais un défenseur central.” Ilic a quand même joué des matchs de haut niveau. En Ligue des champions, il a affronté quatre fois le Real Madrid. “On les a battus une fois : 2-0, à domicile. Mes adversaires directs étaient Figo, Raul et Morientes. Ma fille devenait folle quand elle rentrait dans mon appartement à Bruxelles. J’avais les maillots de Figo, de Yorke de Manchester United, de Ravanelli de la Lazio. Ce 1-0 contre la Lazio était peut-être le meilleur match de ma carrière. Staelens et De Boeck étaient suspendus et les gens ne croyaient pas que le duo Doll – Ilic serait fort assez. Moi, je me foutais de jouer contre Crespo, Salas, Mihajlovic ou Simeone. Je croyais en mes capacités.”
”Chapeau à Deschacht, mais je n’étais pas un arrière gauche”
Ilic n’a pourtant pas toujours été heureux à Anderlecht. Pour nous, journalistes, il était un cadeau du ciel quand il était fâché. Après son remplacement à la 39e à 0-3 contre Leeds, il nous lançait : “Le coach (Anthuenis) veut briser ma carrière. J’ai envie d’arrêter le football.” Et quand il apprenait qu’il ne serait pas titulaire à Stabaek, il déclarait. “Je ferais mieux de ne pas prendre l’avion et de suivre le match à la télé depuis mon fauteuil.” Ilic, aujourd’hui : “J’avais l’impression que ce n’était pas la vérité du terrain qui comptait. Gerets, lui, était honnête. Il prenait des décisions correctes et vous disait ses vérités en face. J’essaie d’être honnête comme lui en tant que coach.” Après trois saisons, il a quitté Anderlecht pour Vitesse. Selon les médias parce qu’il avait perdu le combat avec Deschacht. “Bravo à Oli. Mais je le répète, je n’étais pas un arrière gauche. Je me suis battu comme un lion. Mais quand on ne vous donne pas votre chance, il faut abandonner.”
”Je suis Belge et ai failli être Diable rouge”
Il ne garde pourtant pas que des mauvais souvenirs de la Belgique. “Vous savez que j’ai failli être Diable rouge ? J’ai la nationalité belge. Leekens a poussé. Mais, finalement, je n’ai jamais été qualifié pour les Diables. J’ai encore mon appartement à Bruxelles (il a terminé sa carrière au FC Brussels en 2005). Ma fille habite Londres mais passe de temps en temps dans notre appart. Un autre beau souvenir est le match contre mon frère Ivan, qui jouait à l’Antwerp (3-2 pour Bruges, en février 1998). Avant le match, je lui ai demandé de ne pas me prendre au marquage sur phases arrêtées. Le coach l’a quand même mis sur moi. Ma reprise de la tête a été sauvée à même la ligne.” Et, puis, il y a eu sa première rencontre avec Vincent Kompany. “Il avait dix-sept ans. J’étais une star, à ses yeux. Je lui ai dit : 'Toi, tu vas devenir un très grand.' Il m’a répondu : 'Tu es sûr ?' J’ai répondu : 'Sûr et certain.' Je ne l’ai plus jamais croisé mais je suis curieux de savoir s’il s’en souvient.”
”Cette fabrique de biscuits n’était pas mon truc”
Après son départ du FC Brussels, Ilic est devenu patron d’une fabrique de biscuits en Serbie. “Je pensais que ça me ferait du bien de quitter le football, pour ressentir moins de pression. Mais j’étais trop passionné par le foot. Cette fabrique, ce n’était pas mon truc.” Il a fait ses débuts comme coach en Grèce, puis il a fait monter son club formateur – le Radnicki Nis – en D1. “Ils avaient passé treize ans en D2”. Et, ensuite, en 2010, il a entamé son aventure dans le désert. D’abord, à Al Ahli en tant que T2, puis comme T1. “J’ai gagné la prestigieuse Kings Cup, remise par le roi.” Al Ahli est actuellement coaché par Steven Gerrard et a des joueurs comme le Français Moussa Dembélé et Wijnaldum. “Le football a énormément évolué en Arabie saoudite. Les stades, les accommodations, les terrains : c’est le top du top. Et la différence avec d’autres pays voisins comme le Qatar, c’est qu’il y a beaucoup de public dans les stades. C’est bien d’être troisième actuellement mais la montée en Premier League est loin d’être acquise. Il nous reste sept matchs. Si on monte, j’ai des chances de rester comme coach. Je bosse comme un fou, ici.”
”Coach en Belgique ? Mon agent est décédé”
Al Arabi SC, avec lequel il vient de battre le leader – Al-Qadsiah FC, est le huitième employeur d’Ilic comme coach. Dans quatre clubs – Nis, Al Ahli, Al Raed et Al Shorta en Iraq –, il a été coach à deux reprises. “Je crois donc avoir fait du bon boulot… J’ai aussi été coach fédéral du Liban. Mais j’y suis parti en octobre 2023; de un, parce que je ressentais un manque de professionnalisme – j’avais demandé des terrains d’herbe naturelle et je n’en ai pas reçu – et de deux parce que la guerre entre Israël et le Hamas commençait à provoquer trop de tensions au Liban.” Ilic n’a jamais été sur le point de signer dans un club belge. “Je ne dirais pas non. Mais il faut un agent qui fait votre pub. J’avais un très bon agent ici mais il est décédé il y a quelques mois. Je suis encore votre championnat. Ce qui m’étonne le plus, c’est que le Club Bruges et Anderlecht ne sont plus les seuls ténors.”