Comment "Poil de carotte" est devenu Paul Scholes ? (PHOTOS)
Avant ses années belges et un Clasico qui s’annonce très spécial pour lui ce dimanche, Adrien Trebel a connu un parcours compliqué en France. Un parcours qui raconte l’homme et le joueur qu’il est devenu.
- Publié le 28-01-2017 à 12h03
- Mis à jour le 28-01-2017 à 12h32
Avant ses années belges et un Clasico qui s’annonce très spécial pour lui ce dimanche, Adrien Trebel a connu un parcours compliqué en France. Un parcours qui raconte l’homme et le joueur qu’il est devenu. "Bien sûr que je sais qu’Adrien vient de passer du Standard à Anderlecht. Tiens, à ce propos, vous savez quelle est la somme de transfert ? Je suis justement en train de chercher si on a droit à des indemnités de formation."
Au secrétariat du FC Chartres, club de CFA (le 4e niveau français), comme dans tous les autres anciens clubs français d’Adrien Trebel, le transfert le plus surprenant du mercato belge a aussi fait du bruit. "C’est comme si un gars passait de l’OM au PSG chez nous", sourit Martial Desbordes, le recruteur du FC Nantes qui avait repéré le talent du petit rouquin chez les jeunes de Chartres en 2004. "Par contre, j’ai vu qu’il y avait eu un déferlement de haine contre Adrien sur les réseaux sociaux. C’est vraiment dommage car Adrien ne mérite pas ça. C’est l’un des gars les plus chouettes que j’ai rencontrés dans ma carrière."
Une pensée loin d’être isolée. Entre ses débuts au Club Omnisports de Vernouillet au lendemain de la victoire française à la Coupe du Monde 1998 à son départ du FC Nantes en 2014 pour rejoindre le Standard, Adrien Trebel n’a pratiquement reçu que des louanges au fil des témoignages que nous avons recueillis. "Même si beaucoup de gens pourraient imaginer le contraire avec ce transfert, Adrien est quelqu’un avec des valeurs dans un monde du football où tout n’est pas toujours joli, joli", appuie Martial Desbordes.
1. CO Vernouillet (1998-2001): Moins marquant que Vieira
À six ans, le petit Adrien est surtout un garçon timide. Il adore déjà le football et tape dans le ballon dans les rues du quartier Sainte-Eve à Dreux, à l’ouest de Paris. La passion est là et, quelques mois plus tard, en 1998, l’un de ses grands frères l’inscrit au Club Omnisports de Vernouillet, la ville voisine. "Adrien ne sortait pas du lot", se souvient Simon Fontana, président-fondateur d’un club aujourd’hui disparu. "On avait beaucoup de gamins et c’était difficile de se démarquer à cet âge-là. À part Patrick Vieira qui venait aussi de Dreux, je ne me rappelle pas d’un petit qui avait tapé directement dans l’œil des entraîneurs. C’est quand il est passé professionnel à Nantes qu’on a remarqué qu’il avait joué chez nous. Ça ne nous empêche pas d’être très fiers d’Adrien. J’étais content quand j’ai appris qu’il avait signé à Anderlecht." (prononcez Anderlèchte)
Le drame de sa vie en 1999
S’il prend très vite goût aux joies du foot en club, sa deuxième année à Vernouillet est compliquée. C’est à cette époque qu’Adrien Trebel vit le moment le plus difficile de sa vie : le divorce de ses parents. Il avait 8 ans et a très mal vécu cette séparation. "Son papa est parti vivre à La Réunion et il a grandi avec sa maman", raconte Mounir Chakkar, entraîneur au club de Dreux Atlas qu’il rejoindra deux ans plus tard. "Cela a vraiment été un déchirement pour lui. Ses deux frères et sa sœur étaient plus âgés et ont rapidement quitté la maison familiale. Adrien a donc grandi seul avec sa maman. Une maman extraordinaire qui faisait tout pour lui. Son passage à Dreux Atlas lui a quand même fait un bien fou. Il vivait dans un joli pavillon d’un lotissement très calme et il a découvert un club multiculturel où tout n’était pas facile. C’était vingt guerriers dans le vestiaire et il fallait se faire sa place au caractère."
2. Dreux Atlas (2001-2003): Juste un joueur moyen
Après trois saisons à Vernouillet, Trebel est le meilleur joueur de son équipe, mais pas de la région, loin de là. "Honnêtement, c’était un joueur moyen", reprend Mounir Chakkar. "Il était venu chez nous car son voisin jouait à Atlas. Il m’avait demandé si Adrien pouvait venir avec nous. Au premier entraînement, j’ai remarqué qu’Adrien avait des qualités mais j’avais cinq ou six gars plus forts dans mon équipe. En constatant qu’il n’était pas le meilleur, Adrien s’est mis à énormément bosser. Là, j’ai commencé à me dire que cet étonnant bonhomme pouvait aller loin."
Le foot à la place de Noël
Techniquement, le petit (au propre comme au figuré car il devra attendre ses quinze ans avant de vraiment grandir) Adrien est moins fort que ses nouveaux équipiers. "Mais il a bossé comme un fou. Le 25 décembre, tous mes joueurs testaient leurs cadeaux de Noël. Adrien, lui, était sur le terrain à côté de chez lui pour progresser. Je lui faisais des séances spéciales. Même par -8, il ne se plaignait jamais. En dehors, je l’aidais aussi dans ses devoirs. Il voulait faire carrière et donc rejoindre un jour un centre de formation. Et là, il faut que les résultats scolaires suivent pour être conservé. Malheureusement, l’école, ce n’était pas vraiment ce qu’il aimait. J’ai plusieurs fois dû le priver du match du week-end à cause d’un mauvais bulletin. Et je peux vous dire qu’il râlait beaucoup quand ça arrivait (rires). Au final, il a fait les efforts nécessaires pour être un élève moyen et ne pas être embêté avec ça."
3. FC Chartres (2003-2004): A 11 contre 11, il explose
Adrien Trebel a maintenant onze ans. Avec quelques autres talents de Dreux Atlas, club radié du football français en 2008, il rejoint le FC Chartres, réputé pour sa formation. "Au vu de sa carrière chez les pros, il restera comme l’un des meilleurs joueurs passés par notre club", précise Dominique Pajon, employé de Chartres.
Il faut dire que la saison 2003-2004 fut particulièrement bonne pour celui qui joue encore à toutes les positions sur le terrain, d’arrière latéral gauche à attaquant. "C’est la catégorie où les jeunes commencent à jouer à onze contre onze", détaille Mounir Chakkar. "Il a pris une autre dimension mais il n’a jamais arrêté de bosser. J’allais le conduire aux deux entraînements hebdomadaires et au match du week-end mais on continuait à se faire des séances supplémentaires à Dreux. Le lundi, on axait toujours notre travail sur la technique par exemple. Il n’a jamais rien lâché."
Le choix entre Lens et Nantes
Le résultat est là : au bout de quelques mois à Chartes, le RC Lens et le FC Nantes, deux des meilleurs clubs formateurs de France, l’invitent. Après la visite des deux complexes, Adrien et sa maman font leur choix : ce sera Nantes dès l’été 2004.
4. FC Nantes chez les jeunes (2004-2011): "Ma petite tête de cochon"
Dans l’actuel club de Sergio Conceição et de Guillaume Gillet, deux hommes sont déjà sous le charme du petit Adrien : Vincent Bracigliano, big boss du centre de formation, et Martial Desbordes, recruteur pour, entre autres, la région du Centre. "On avait adoré ce petit rouquin clairement en retard de croissance à Chartres. Il était plus petit que les autres mais c’était déjà un vrai joueur de football. Il avait une magnifique technique mais aussi une autre qualité, bien plus rare à cet âge-là : il aimait courir. Cela peut paraître bête mais on ne voit pas ça souvent. Et quand on est entré en contact avec lui, on a découvert un petit gars avec plein de caractère et dingue du ballon rond. Il savait tout sur toutes les équipes. Une vraie bible ! Bref, on voulait vraiment l’avoir à Nantes."
Dans une famille d’accueil à… Mauves-sur-Loire
Les débuts nantais de Trebel ne sont pas simples pour autant. "L’éloignement avec sa maman n’était pas simple pour lui", se souvient Samuel Fenillat, son coach pendant trois ans chez les jeunes (et devenu aujourd’hui le directeur du centre de formation du club). "Il lui téléphonait tous les soirs et il y avait parfois des larmes. Il avait douze ans, c’était encore très jeune pour vivre en internat."
Les Chargé viennent heureusement à la rescousse du petit Adrien. "Notre fille venait de quitter le domicile familial et nous étions candidats pour être une famille d’accueil du FC Nantes", raconte Jean-Yves Chargé, habitant de la commune de… Mauves-sur-Loire. "Comme s’il était destiné à jouer à Anderlecht, rigole-t-il. Adrien est arrivé en 2004 chez nous et il n’est reparti qu’en 2012 quand il a pris un petit appartement à Nantes. Il a été tellement important dans notre vie qu’il restera le seul gamin que nous aurons accueilli. Un tel lien s’est créé qu’il était impossible affectivement de prendre quelqu’un d’autre après lui."
"J’ai dû l’obliger à acheter une Porsche"
Sur le terrain, Adrien impose vite son talent. Par intermittence seulement. "Il était très souvent blessé", précise Samuel Fenillat. "Avec Jordan Veretout (NdlR : prêté à Saint-Etienne par Aston Villa depuis janvier), il était le meilleur de sa génération mais on s’est longtemps demandé s’il pouvait faire carrière. Il s’engageait très fort dans les duels mais il n’avait pas le physique pour répondre aux impacts. Son corps en payait les conséquences. Il a fallu attendre les U19 pour qu’il puisse jouer toute une saison sans pépin. Il a alors explosé et s’est vite retrouvé en équipe première."
L’adolescence de Trebel n’est donc pas simple avec ce corps qui souffre et cet avenir incertain. "On allait chercher Adrien le vendredi soir et on le ramenait à l’internat le dimanche soir", reprend Jean-Yves Chargé. "Même s’il y avait le match du week-end, on en profitait pour lui changer les idées et le sortir du football. On lui a fait découvrir d’autres choses, comme le sport automobile par exemple. Je suis pilote amateur et j’ai souvent pris Adrien avec moi sur les courses. Il a commencé à aimer les voitures avec moi mais il n’a jamais flambé à ce niveau-là. Jusqu’il y a deux ans, Adrien roulait dans une Mini ou dans une Smart. Je roulais dans le championnat Porsche et j’ai dû l’obliger à acheter une Porsche (rires). Cela résume bien son caractère : c’est un gars normal qui a bien les pieds sur terre. Il a très bien été éduqué par sa maman."
"Un mental au-dessus de la moyenne"
Une éducation stricte qui n’a cependant jamais bridé un caractère bien trempé. "Ah ça, c’est sûr", rigole Samuel Fenillat. "Je l’appelais ma petite tête de cochon . Adrien est super chouette gars, un mec avec des valeurs. Mais il a aussi un sacré caractère. Il pouvait râler très fort. J’ai dû le virer de l’entraînement plusieurs fois parce qu’il n’avait pas apprécié une remarque."
"C’est aussi pour cela qu’il est devenu si bon", enchaîne Martial Desbordes. "Il a un mental au-dessus de la moyenne, bien au-dessus même. Il a du caractère mais il s’en sert à bon escient, c’est un vrai leader."
Un leader qui aime chambrer mais qui savait aussi encaisser avec humour. "Adrien a toujours eu des remarques sur sa couleur de cheveux mais il en rigolait à chaque fois", se souvient Mounir Chakkar. "Au début, tout le monde l’appelait Poil de carotte. Au fil du temps, on l’a plus surnommé Paul Scholes qui faisait les beaux jours de Manchester United. Même s’il était un grand fan de Xavi et Iniesta, il appréciait le compliment. Passer de Poil de carotte à Paul Scholes, ça démontrait qu’il impressionnait aussi par son niveau de jeu."
5. FC Nantes chez les pros (2011-2014): Vite chez les U20 français
Dès ses débuts en équipe première à Nantes (le 12 février 2011 contre Vannes en Ligue 2), la Brigade Loire, le kop le plus puissant du stade de la Beaujoire, tombe aussi sous le charme. "Il est rouquin, il est rouquin et on l’aime bien", chantent les supporters.
La fédération française le remarque également. Il est appelé en juin 2011 chez les U20 pour le prestigieux Festival Espoirs de Toulon. "On est allé jusqu’en finale, seulement battu aux tirs au but par la Colombie", se remémore Pierre Mankowski, le sélectionneur de l’époque. "Adrien avait commencé le tournoi comme remplaçant mais il était titulaire en finale. Cela prouvait une qualité qu’on avait décelée en lui : une grosse volonté. Il ne baisse jamais les bras et bosse toujours pour être plus fort."
Un week-end au Real Madrid
"J’aurais tant aimé qu’il reste à Nantes", soupire Samuel Fenillat. "Il aurait fallu qu’il soit plus patient mais il avait pris sa décision en fin d’année 2013. Il ne jouait pas assez et voulait partir à la fin de son contrat, en juin 2014. J’ai tenté une dernière discussion pour le convaincre de rester mais Adrien n’a pas changé d’avis. Je n’ai pas pu trouver les bons mots. Mais bon, ce n’est pas simple avec lui, il est têtu. J’ai entendu que c’était un peu pareil au Standard. Il n’a pas changé." (sourire)
"Et il ne changera jamais", conclut Jean-Yves Chargé. "Adrien est juste un gars bien, fidèle à ses convictions. Je vous raconte une anecdote : il y a quelques années, j’ai connu un moment difficile dans ma vie. Adrien m’a alors organisé une surprise pour me changer les idées. Il m’a offert deux places pour un week-end à Madrid et on est allé voir un match du Real ensemble. C’était à son tour de me changer les idées. Ça ne va pas que dans un sens avec Adrien."