Le 50-50 d'Emilio Ferrera: "J'admire les coaches qui savent faire jouer leur équipe comme ils le veulent"
Passé par l'école des entraîneurs de Barcelone et grand admirateur de Marcelo Bielsa, Emilio Ferrera avait forcément des choses à faire partager. Entre foot vrai en D3, le gros travail de WIlmots chez les Diables et les difficultés du métier d'entraîneur, le coach d'OHL se livre. Entretien.
- Publié le 22-01-2016 à 11h33
Passé par l'école des entraîneurs de Barcelone et grand admirateur de Marcelo Bielsa, Emilio Ferrera avait forcément des choses à faire partager. Le coach d'OHL s'est livré à l'équipe web de La Dernière Heure dans le troisième volet de notre 50-50.
Les remises en question, le coaching en D3, à Dender, les difficultés du métier, entre la gestion de l'équipe et des relations aux médias, la révolution Bielsa, Emilio Ferrera, quarante-huit ans, les évoque à quelques heures du déplacement d'Ouh-Heverlee-Louvain sur le terrain de Zulte-Waregem. Un club où évolue un certain Franky Dury, un coach qui a une chance rare dans le métier: le temps ! Soit précisément ce que nécessite la méthodologie d'un coach comme Ferrera... Entretien.
1 | Si vous deviez dresser un portrait de la D1 ?
"Il y a des équipes avec des caractéristiques très différentes, ce qui la rend très intéressante, à défaut d'être attrayante. Il y a une équipe qui se détache par son collectif, c'est Gand. D'autres équipes qui alternent le bon et le moins bon, comme Bruges et Anderlecht. Dans le subtop, on sent qu'il y a des équipes qui en font partie mais qui ne sont pas loin de lutter contre la relégation, comme Malines, qui envisageait encore les playoffs 1 il y a quelques semaines. C'est assez intéressant car les forces en présence ne sont pas trop éloignées."
2 | Est-elle moins attrayante que les années précédentes ?
"C'est difficile de comparer les époques. Il ne faut pas tomber dans les clichés, dire que la valeur de notre compétition est en baisse. A l'heure qu'il est, jouer une équipe belge reste très difficile. Quel que soit l'adversaire en Coupe d'Europe, l'écart avec les équipes européennes est devenu beaucoup plus petit qu'on ne le pense et beaucoup plus petit que par le passé. Quand je dis qu'elle est peut-être moins attrayante, c'est par rapport aux ambitions qu'ont parfois les équipes de réellement gagner le match."
3 | C'est le modèle de la compétition qui fait ça ?
"Je me demande si ce modèle n'est pas une bonne chose. Il y a toujours un intérêt. On joue soit pour les PO1, soit pour éviter la relégation. Tout le monde a encore des matches importants à jouer. Dans le passé, si on était septième ou huitième, c'était fini. Ici, ça a le mérite de garder les équipes concernées par le championnat."
4 | Le championnat serait donc plus fermé ?
"Non, je ne pense pas. Le football évolue au fil des périodes, on marque des buts quand on fait des erreurs. On ne peut les éliminer dans un sport comme le football."
5 | A quel grand championnat pourrait-on comparer la Pro League ?
"Je ne sais pas. Personnellement, je ne suis pas trop fan de ce qui se fait en France au niveau tactique. Il y a beaucoup d'engagement, de duels, de présence et d'impact physique. Il n'y a quasiment que ça. Et quand on joue sur la scène européenne, ça vous rattrape. On l'a vu avec Lyon qui est passé complètement à côté de son sujet en Europe. Il y a le PSG qui est au-dessus de ça, mais il dispose d'autres ressources financières. Donc, on ne peut pas dire que le foot français se résume à ce club. L'Espagne reste fidèle à elle-même, avec beaucoup de possession de balle, mais vous pouvez le faire quand vous vous appelez le Barça. Pour les autres, c'est plus difficile. On a vu Valence, en Coupe d'Europe. Il n'y a pas vraiment de mutation qui s'est faite. Et c'est dangereux, car quand cela n'arrive pas, on risque de régresser."
6 | Le Barça a pourtant bien géré l'après-Guardiola…
"Oui, mais le club devra surtout gérer l'après-Messi. Luis Enrique est arrivé là-bas après une saison moyenne à la Roma et au Celta Vigo. Le Barça devra se poser des questions quand Messi ne sera plus là. Chaque entraîneur qui aura Messi sous ses ordres n'aura pas de souci à se faire."
7 | Comme Guardiola, l'une de vos références est Marcelo Bielsa…
"C'est une référence pour tous les entraîneurs, je pense. Les personnes qui aiment coacher sont automatiquement influencées par lui. Entraîner, ça veut dire le travail sur le terrain, la méthodologie qu'il utilise. Malheureusement, notre métier ne se limite pas à ça. Il y a aussi l'aspect relationnel avec les médias, avec les dirigeants. Ce management là est aussi important. Il y a des entraîneurs qui sont influencés par le management humain, le management médiatique, comme un Mourinho, qui utilise les médias remarquablement bien. Moi, je ne suis pas trop influencé par ça, je préfère les gens qui ont des messages, des méthodes particulières. C'est peut-être mon côté enseignant qui me joue des tours (sourire)."
8 | Quelle est votre méthodologie ?
"On aurait besoin de plus de temps pour l'expliquer. Mais j'aime qu'un certain transfert se fasse automatiquement et systématiquement entre ce qu'on fait à l'entraînement et ce qu'on fait le jour du match. Pour arriver à ça, cela paraît simple, mais c'est très compliqué. Il existe 10.000 situations offensives et défensives. Si on veut toutes les décortiquer, il faut toutes les travailler, d'où la complexité de ce métier. Il faut donc les répéter à l'entraînement, les faire appliquer aux joueurs. Mais ceux-ci doivent comprendre que si on le fait, c'est pour les reproduire en match. C'est difficile à réaliser au quotidien. Chaque joueur a des besoins spécifiques, une position différente. Pour mettre en place une méthodologie qui convienne à tout le monde, où tout le monde a ses repères, ce n'est pas facile."
9 | Vous parlez de l'influence des médias. Aujourd'hui, le recrutement est plus basé sur les relations aux médias que sur la méthodologie proposée par le coach ?
"Oui, bien sûr. L'image que nous avons, ce sont les médias qui nous la donnent. Forcément, les dirigeants lisent les journaux. C'est à travers cela qu'on catalogue quelqu'un."
10 | On vous a parfois catalogué comme trop tactique…
"Oh, je pense qu'on a tous nos caractéristiques, chacun place ses priorités là où elles lui semblent importantes. Moi, c'est l'aspect du jeu que je trouve important. Mon souci majeur, c'est que je reçois des joueurs qui mettent leur vie professionnelle entre mes mains. Mon inquiétude primordiale, c'est que chaque joueur du noyau, du premier au vingt-sixième, se bonifie. C'est le plus important. Donc, j'y passe beaucoup de temps. Cela me semble moins important de passer du temps avec des journalistes pour qu'ils disent du bien de moi, pour que je sois éventuellement recruté dans un autre club. Ma priorité, c'est de passer beaucoup de temps à améliorer les joueurs. On peut le faire de différentes manières, pas forcément individuellement. Mais collectivement, au niveau de la position, de la tactique, du niveau physique, en leur faisant découvrir d'autres choses, d'autres méthodes, d'autres priorités dans le travail. C'est important de se bonifier. On dispose de plus de paramètres aujourd'hui. On est aidé par tout ce qui est média. Tous les matches sont retransmis à la télé, avec différentes caméras. On bénéficie aussi de matériel scientifique. C'est essentiel de consacrer beaucoup de temps à cela."
11 | Vous passez du temps à analyser ces données ?
"Oui, bien sûr. Non seulement, cela permet de rendre les joueurs meilleurs, mais cela permet également d'éviter qu'ils se blessent, qu'ils mettent à mal leur outil de travail."
12 | Y a-t-il une évolution dans la culture tactique des joueurs en Belgique ?
"Cela dépend de l'éducation tactique des joueurs. Chez certains, c'est très basique. D'autres sont plus développés. Quand on est entraîneur, on ne passe malheureusement pas beaucoup de temps à savoir 'Que penses-tu de ceci, ou cela', car ce sont des moments par lesquels je suis moi-même passé avant eux. Je me suis posé beaucoup de questions. Je préfère qu'ils profitent de mon expérience. J'ai encaissé beaucoup de buts dans ma carrière et j'en ai tiré les conclusions. Cela représente des heures et des heures à décortiquer tout cela. Et les joueurs ne perdent pas de temps à cela."
13 | Quand un joueur dit que vous étiez le plus fort en matière tactique, est-ce un beau "trophée" ?
"Je ne suis jamais tombé en extase devant des entraîneurs qui ont des gros palmarès. Je suis admiratif des coaches qui parviennent à faire jouer leur équipe comme ils le veulent, quels que soient les joueurs qu'ils ont à disposition. Bielsa est capable de faire jouer Marseille, le Chili ou l'Athletic Bilbao de la même façon. C'est exceptionnel. C'est d'autant plus difficile à réaliser que ce sont des équipes qui ne sont pas du top. Si Barcelone est champion cinq fois et qu'il l'est encore, cela ne m'impressionne pas. C'est comme quand on voit le PSG, qui a déjà gagné trois, quatre trophées, en gagner encore avec Ancelotti, par exemple. C'est, je pense, le coach le plus titré. OK, on retiendra de lui son management, à la fois humain et dans de grandes équipes. Mais ça n'attire pas mon attention."
14 | Y a-t-un un entraîneur qui est en train de faire changer le football?
"Marcelo Bielsa, de toute façon. Je crois qu'il y a eu des périodes sur les trente dernières années, comme avec Arrigo Sacchi, Johan Cruijff. En Belgique, Hein Vanhaezebrouck est largement au-dessus de tout le monde. Ce qu'il a fait à Courtrai, il le fait à Gand. C'est une belle réussite. Au niveau palmarès, ce n'est pas encore très fourni, mais je suis beaucoup plus admiratif de ça, que de coaches qui ont été deux, trois fois champions, mais dont on retient peu de choses dans le jeu."
15 | Est-ce grâce à ce genre de coaches qu'on fait aujourd'hui confiance aux Belges ?
"Il était temps. On vit aussi une période qui est très bénéfique pour nous, car sur ces vingt dernières années, soit quand j'ai commencé ma carrière, on voit que l'entraîneur belge s'est nourri de ce qu'il a vu ailleurs. On allait voir aux Pays-Bas, en Espagne et on attirait les coaches néerlandais. C'est très enrichissant, car comme on est allé chercher des informations partout, on a digéré tout ça, on a retiré le bon, le moins bon avant de le mettre à notre sauce. Ils n'ont pas fait ça dans les autres pays. Ils ont travaillé sans voir ce qui se faisait ailleurs, en pensant que ce qu'ils faisaient était parfait. Il n'y avait que des coaches italiens en Italie, que des Espagnols en Espagne, etc. Aujourd'hui, ils payent un peu ce manque d'ouverture de ces vingt dernières années."
16 | Peut-on encore dire qu'il existe une culture britannique, espagnole ou italienne du foot ?
"Non, car avec la mondialisation, tout se ressemble. On ne peut plus dire que le foot italien est catalogué comme très défensif. Dans un pays comme l'Angleterre, ils sont très ouverts à tout ça, mais ils ne parviennent pas à décoller. Ils n'ont plus passé les quarts de finale de la Ligue des Champions depuis je ne sais combien d'années. Comme quoi, l'argent ne solutionne pas toujours tous les problèmes sportifs."
17 | Vous avez coaché en Grèce. Qu'en retenez-vous ?
"Je n'ai pas eu la chance d'être demandé partout et tout le temps. Il faut vivre de son métier là où on vous appelle. C'était à un moment de ma carrière, après mon passage au Club de Bruges, que j'ai eu cette opportunité. La Grèce est un pays de foot. J'ai passé trois, quatre années très enrichissantes. Je suis très content d'y avoir travaillé. A mon époque, c'était un football financièrement assez puissant, avec le Panathinaïkos, l'Olympiacos. Avec la crise qui frappe, c'est plus difficile, mais cela reste une nation intéressante. Ici, on a connu des joueurs grecs. Et encore maintenant Karelis qui vient d'arriver à Genk. Il y a Ninis et Marinos à Charleroi. Il y avait Galitsios à Lokeren. C'est une bonne nation de foot."
18 | Pourquoi avoir accepté le défi saoudien ensuite ?
"Je ne voulais plus repartir à l'étranger. C'était en principe pour diriger l'équipe nationale avec Michel Preud'homme, ce qui est moins contraignant qu'un club. Puis c'est tombé à l'eau et ce club s'est présenté. Je me voyais mal dire non pour la simple raison que c'était un club. Mais c'est une expérience agréable, car on découvre un autre continent, une autre culture. On a découvert une autre façon de voir le foot. On jouait dans une équipe où il n'y avait quasiment pas de public. On découvre aussi un peuple que l'on ne connaît pas bien. C'était une expérience agréable."
19 | Après vous allez à Dender, en D3. Pour quoi faire ?
"Je ne juge pas mon bonheur en fonction de la division ou du club où j'entraîne. C'est simple: j'ai été assez désagréablement surpris de la façon dont ça s'est terminé avec Genk. Ca a été un coup dur. Je n'avais plus trop envie de retravailler dans un monde du football qui ne partage pas les mêmes valeurs footballistiques que moi. J'ai eu un coup de blues et je suis plutôt resté avec mes enfants (NdlR: ils sont âgés de sept et douze ans). Ils jouent à Dender. Or, le club était en difficulté. Il était dernier de D3 et risquait de descendre en Promotion. Cela avait de l'impact sur les jeunes car si l'équipe A descend, c'est aussi le cas des jeunes. Cela avait donc une incidence sur mes enfants, qui se sentent très bien là-bas. Ils y jouent depuis des années, j'habite à quelques mètres du stade. Je les ai donc aidés et j'ai passé une période très agréable."
20 | Qu'avez-vous appris ?
"Beaucoup ! Car j'avais l'impression de revenir à l'essence même du foot, avec des joueurs qui étaient ouverts,"purs". Parfois, le football professionnel peut laisser des traces, comme il a laissé des traces sur moi."
21 | C'était comme une bouffée d'air frais ?
"Après une expérience difficile comme celle vécue à Genk, on est content de découvrir des joueurs authentiques."
22 | Cette éviction de Genk aurait-elle pu se produire il y a 20 ans ? Ou est-ce une conséquence du "foot-business" ?
"Je ne sais pas si on peut appeler ça du foot-business. Gérer un club de football, c'est difficile. Parfois, les dirigeants peuvent être aveuglés par certaines choses. L'expérience a en tout cas été douloureuse. Je suis entré dans un club dont je connaissais les problèmes. Quand on voit les résultats que j'ai eus, en tenant compte du fait qu'à ce moment-là le club ne savait plus gagner un match, quand on voit ce qu'on est parvenu à faire avec les mêmes joueurs, je trouve que c'était pas mal… Et quand après une journée, on vous licencie, ça manque de sens."
23 | C'était un peu une décision "sauve-qui-peut", parce que ça n'allait pas ?
"Ce n'est pas vraiment ça. On avait joué un match, à Malines, avec un joueur exclu pendant une heure. On est battus 3-1 par l'une des révélations de la saison, qui a battu cette année là presque toutes les équipes du top. Nous, on a été battu, mais à dix. Mais bon…"
24 | Wilmots a dit de vous: "Il est trop pro, cela déplaît à certains"
"C'est gentil de sa part, tout d'abord (sourire). Je ne pense pas être plus pro qu'un autre. J'ai ma façon d'interpréter mon métier, comme tout le monde. Chacun fait à sa façon. Moi, je le fais à ma façon. Mais je ne la considère pas comme meilleure ou plus pro qu'une autre. C'est celle qui me plaît."
25 | N'y a-t-il pas un paradoxe entre votre méthode et les "missions de sauvetage" qui vous ont été confiées ?
"Oui, tout à fait. Mais une fois que vous avez redressé la barre, on ne prend plus le temps pour passer à autre chose. C'est malheureusement ce qu'il se passe en ce qui me concerne. J'aimerais pouvoir être reconnu quand ça ne marche pas également. Car être reconnu dans l'échec, c'est important aussi. Un entraîneur ne réussit pas partout. Regardez Mourinho, il a échoué aussi. La confiance dont bénéficie Franky Dury à Zulte, c'est fantastique. Il y a un ou deux ans, ils ont eu une saison difficile. Cela vous donne plus d'atouts vis-à-vis des joueurs, du monde extérieur. On ne vous remet pas en cause. Quand Dury perd cinq fois, on ne va pas le remettre en cause. Si je perds cinq fois, on va le faire. Pourquoi ? Je ne sais pas."
26 | Regrettez-vous de ne pas avoir pu bénéficier de cette chance ?
"Zulte est un club qui a grandi et est une référence aujourd'hui. Ca serait pour moi l'idéal d'avoir un club qui souhaite jouer dans la durée. J'espère pouvoir le faire à Louvain."
27 | Avez-vous toujours l'ambition de coacher à l'étranger ?
"Moins. Je l'ai fait, j'ai ouvert des portes aux autres entraîneurs dans les pays où j'étais. J'ai joué mon rôle d'ambassadeur. A un petit niveau. Je suis allé en Grèce, puis Hugo Broos et Stéphane Demol sont venus. Aujourd'hui, ce qui nous ouvre des portes à l'étranger, c'est le travail de Marc Wilmots au niveau international. On est beaucoup plus demandé maintenant que par le passé. C'est beaucoup plus facile maintenant."
28 | Cela vous aurait tenté d'être sélectionneur ?
"Oh oui. Comme tout le monde. Mais loin de moi l'idée de vouloir prendre sa place, car il fait ça très bien (sourire)."
29 | Quel bilan peut-on tirer de son mandat ?
"Je suis admiratif devant ce qu'il a fait. A la fois admiratif et étonné, car on veut toujours lui trouver des remplaçants, alors qu'un parcours comme celui qu'il a réalisé, c'est un quasi sans-faute."
30 | Et quand on souhaite quelqu'un qui possède une vision tactique plus élaborée ?
"Je ne vois pas ce qu'on peut faire de plus tactiquement quand on entraîne une sélection. Ce n'est pas une équipe, c'est une sélection. Vous les avez trois jours sous vos ordres pour préparer un match. Ou quinze jours, trois semaines pour une grande compétition. Je ne vois pas ce qu'on peut élaborer de plus tactiquement. Ce n'est pas un magicien. Il fait du management humain et il le fait remarquablement bien. J'ai entendu parler de ses entraînements sur phases arrêtées, qu'il ne les travaillait pas. Mais vous croyez que parce que vous avez fait une séance de phases arrêtées vous les avez travaillées ? Encore une fois, ce sont des gens qui parlent sans aucune connaissance du métier d'entraîneur. Les phases arrêtées, il faut je ne sais combien de séances pour que ça marche. Et encore, tout le bruit que l'on fait autour de ces phases, sur les automatismes… Si vous avez un bon frappeur, cela fait 90% de la phase. Le reste, c'est de la littérature. Si vous avez un bon frappeur, on dira de vous que vous êtes un bon "préparateur de phases arrêtées."
31 | Vous avez été consultant pour la RTBF durant la Coupe du monde 2002, cela vous a-t-il servi ?
"Je trouve qu'à l'époque, on avait innové. En 2002, on avait fait des choses que peu de gens faisaient à l'époque. Mais il n'y a pas eu beaucoup d'évolution depuis. Peut-être y a-t-il quelque chose à faire ? Je suis quelqu'un qui aime que les choses évoluent, qui n'aime pas qu'elles restent figées. Il faut venir avec de nouvelles choses, de nouvelles idées, de nouvelles approches. Je n'aime pas l'immobilisme."
32 | Y a-t-il un joueur qui vous a beaucoup marqué ?
"Il y en a beaucoup... Je dirais Gert Verheyen, en Belgique. Je ne l'ai pas côtoyé longtemps, mais il transpirait l'esprit de compétition. Les choses ne se passaient pas forcément toujours bien dans un match, on pensait que c'était l'individualiste qui allait sauver le match et non c'était lui, avec beaucoup de modestie et une grande humilité."
33 | Robert Waseige dit de lui qu'il n'a jamais été reconnu à sa juste valeur.
"Tout comme Olivier Deschacht. On rigole parfois de ce genre de joueur, mais un gars comme lui, je le prends direct. Un vrai compétiteur. Verheyen était professionnel, exemplaire, un soldat dans le bon sens du terme. Avec cette touche qui veut gagner. Ca se voyait à chaque match."
34 | Y a-t-il un club qui vous fait rêver, pour lequel vous pourriez tout plaquer ?
"Il y en a tellement qui peuvent faire rêver. Mais je ne vois pas. Vous savez, je suis né à Schaerbeek, j'ai fait toutes mes classes au Crossing, qui n'existe plus. Puis à Anderlecht. J'ai des origines andalouses, donc peut-être le Bétis Séville ? Mais il y a beaucoup de clubs dont je serais content d'être l'entraîneur, comme je suis ravi et fier d'être le coach d'OHL aujourd'hui."
35 | A Bruges, cela ne s'est pas super bien passé…
"Le fait que l'on dise cela, c'est une interprétation. En fonction du personnage qu'ils doivent juger, certains vont dresser un bilan positif ou négatif. Quand je suis arrivé à Bruges, le club sortait d'un 3/18. On a joué cinq matches, pour en gagner quatre et faire un nul. On s'est qualifié pour l'Europa League et on a manqué la Ligue des Champions d'un point. Pour une équipe qui venait de faire 3/18... Comme toutes les équipes, Bruges a toujours connu un creux. Le mien s'est conclu par un licenciement."
36 | Y a-t-il un déficit d'image ?
"Je ne sais pas, mais c'est quand même interpellant."
37 | Les médias ont-ils eu une influence là-dessus ?
"Disons qu'ils ont une influence sur certains dirigeants. On a parfois dit 'Ah oui, mais il a dirigé X clubs'. Oui, mais j'entraîne depuis 1994. Ca serait fantastique si je n'avais connu que trois clubs. Mais quel entraîneur a connu une poignée de clubs en vingt ans ? Ca n'existe pas. Aussi, l'essence du journalisme, c'est de relater des faits, pas de les interpréter. A l'origine, c'était ça le métier: relayer des informations à ceux qui ne l'avaient pas."
38 | Pour vous il y a eu trop d'interprétation(s) ?
"Il y a eu beaucoup de ça. Alors que si on regarde où j'ai débuté, à Beveren, il faut se demander pourquoi je suis parti. Au RWDM, le club était dernier, je les ai sauvés. Prenez le nombre de clubs, voyez les objectifs qui ont été atteints ou pas, prenez ces faits, pas l'interprétation. Parfois, on présente ça de manière péjorative. J'en suis à mon Xième club ? Et alors ? On pourrait dire 'Ah, il est très demandé'. On pourrait dire 'Dans 80% des clubs où il est passé, il a rempli les objectifs qui lui étaient assignés'."
39 | Cela vient d'où cette tendance à l'interprétation, d'après vous ?
"Il faudrait se poser la question. Je n'ai jamais cherché à savoir. Chacun interprète son métier comme il veut. Si certains sont contents de ne pas être objectifs avec tout le monde..."
40 | Quand vous êtes nommé coach de l'année en Grèce, vous avez ressenti quoi ?
"Je ne suis pas trop fan des distinctions individuelles. C'est un sport collectif. Je n'ai pas eu plus de mérite que le back droit de l'équipe ou que l'entraîneur des gardiens ou que le centre-avant. C'est un tout. Vous imaginez, si le ballon fait poteau rentrant ou l'inverse ? Si ça rentre c'est grâce à l'entraîneur, si ça sort c'est aussi de sa faute. Vous voyez ? Les prix individuels dans un sport collectif, c'est un peu bizarre. Sauf pour des gens hors-catégorie, comme Messi !"
41 | Dans le foot actuel, l'humilité n'est-elle pas un défaut, finalement ?
"Non, je ne crois pas, je n'ai pas plus d'humilité qu'un autre. Quand je vous parle de tout ce que j'ai réussi ou pas, c'est un manque d'humilité, car je le dis moi-même. Les autres ne le font pas, donc je dois le faire moi-même. Je ne pense pas qu'il faut plus d'ego dans le foot moderne…"
42 | Un Vanhaezebrouck en est la preuve, non ?
"Il a des résultats fantastiques. Il mérite tout ce qui lui arrive, ce n'est pas une question d'ego. Ce n'est pas le fruit du hasard. Dans notre métier, on combat chaque jour le hasard. Dans le football, le hasard est le pire des ennemis. Pour l'entraîneur, c'est le pire, car c'est toute la somme de nos ignorances. Quand quelque chose ne fonctionne pas, on rejette ça sur le hasard."
43 | Peut-on imaginer une révolution tactique en foot ?
"Oui, Bielsa est un révolutionnaire. Quand on fait une analyse complète de son travail, on voit qu'il a apporté beaucoup, une autre vision. Mais comme c'est malheureusement souvent le cas, les gens qui apportent quelque chose de nouveau sont fortement critiqués. En France, on l'a descendu dans les médias. Il n'avait pas gagné assez de titres ? Le stade était rempli, il a fait rêver le public, les joueurs qu'il entraînait. Ses joueurs n'ont pas forcément gagné de titre, mais sont partis dans des clubs de prestige."
44 | Un coaching à la Diego Simeone, dans la grinta, qu'en pensez-vous ?
"C'est bien et je m'étonne que ça dure. Ils ont su garder leurs joueurs et ça perdure dans le temps. Or, c'est un football assez dévastateur physiquement. Il tient le coup, ça fait plusieurs années maintenant. C'est interpellant. Et il était arrivé dans un club qui n'était pas au mieux."
45 | C'est juste une question de charisme ?
"Oui, comme joueur, il était déjà comme ça. Après, je n'irais pas voir l'Atlético Madrid toutes les semaines. Quand vous êtes entraîneur, il faut trouver un système où vous allez avoir du plaisir, car vous allez devoir vous taper trente-huit matches de championnat. Imaginez que vous devez vous emmerder trente-huit matches… Imaginez la souffrance. Autant proposer un jeu qu'on aime regarder."
46 | Un coach comme Guadiola est-il un révolutionnaire ?
"Il a d'abord été influencé par Johan Cruijff. Mais, il a apporté deux choses. La première, et Mourinho l'avait fait un peu aussi, mais c'était moins beau, car il avait de moins bons joueurs, c'était le pressing après la perte du ballon, même avec des joueurs très techniques. Il est passé d'une possession de balle de 65%-35% sous Cruijff à un rapport de 75%-25%. Il a révolutionné le foot dans ce sens-là. La seconde chose qu'il a faite et que je trouve géniale, c'est d'avoir replacé Lionel Messi centre-avant. D'avoir joué sans vrai neuf. Il a laissé partir Zlatan Ibrahimovic pour laisser de la liberté à Messi, qui était en retrait, donc hors du marquage et avait plus d'espaces."
47 | Que penser de la nouvelle position de Messi, un peu en retrait ?
"Leur football a évolué. Ils avaient peut-être besoin d'avoir une "référence-but" autre que Messi. Vous savez, dans une équipe, on a besoin de joueurs qui savent marquer de différentes façons. Un qui marque grâce à un exploit individuel, un autre en terminant une action collective, un autre via les flancs. Barcelone réunit ça. Certains ne savent marquer qu'en une touche, de la tête, du pied, ils ne savent pas le faire en contrôlant, en dribblant ou en shootant. Le Barça possède ces attaquants qui savent marquer de tous les côtés. C'est ce qui fait sa force."
48 | La nomination de Zidane au Real, ça vous inspire quoi ?
"Il va proposer un management humain qui sera important et qui sera sûrement bon. Mais au niveau tactique, je ne pense pas qu'on verra des choses révolutionnaires. Ce qui ne signifie pas que ça sera mauvais. Il faut un peu attendre…"
49 | Le championnat le plus intéressant footballistiquement, pour vous, c'est lequel ?
"Celui où évolue Bielsa. Les autres ne m'intéressent pas. Ah si, Vanhaezebrouck aussi est intéressant."
50 | Vous pensez qu'il peut aller en Espagne ?
"Mais largement. Pourquoi pas ? Pourquoi des Portugais peuvent aller coacher dans les plus grands clubs ? Parce que Mourinho avait gagné la Coupe d'Europe avec Porto, mais les moyens de Porto ne sont pas ceux de Gand ou Courtrai. Alors pourquoi pas ?"