1 jour, 2 Diables: les Lukaku gagnants
Chaque jour jusqu’au 13 juin, nous vous proposons de découvrir un Diable sous un nouveau regard. Aujourd’hui, deux Diables pour le prix d'un avec les frères Lukaku.
- Publié le 03-06-2016 à 11h59
- Mis à jour le 03-06-2016 à 12h04
Chaque jour jusqu’au 13 juin, nous vous proposons de découvrir un Diable sous un nouveau regard. Aujourd’hui, deux Diables pour le prix d'un avec les frères Lukaku.
Il existe des endroits moins passionnés et des contextes moins enfiévrés que Sclessin un jour de test-match pour naître au football professionnel. Surtout en mauve.
24 mai 2009. Le Standard mène 1-0 quand Ariël Jacobs rappelle Victor Bernardez sur le banc pour lancer un gamin de seize ans et onze jours au corps d’adulte dans l’enfer rouche. Sept ans après, l’ancien entraîneur anderlechtois se souvient "ne pas avoir hésité" au moment d’effectuer ce changement.
Mais avant ce coup de coaching, le Diegemois avait d’abord incorporé l’attaquant dans son effectif. "Il jouait régulièrement en réserve et j’assistais à 99 % des matches de l’équipe B. Sur base de ce que je voyais lors de ces rencontres et même si c’est facile à dire par après, on devinait son potentiel", explique le technicien. "Après, qu’on le veuille ou non, passer dans le noyau A d’un club comme Anderlecht est une source de pression. Une action peut faire basculer un jugement. Il faut tenir compte de toutes ces données."
Mais l’impression de facilité et la puissance émanant de l’adolescent ont rapidement convaincu le technicien. "Romelu n’avait pas encore seize ans, mais il avait déjà une constitution physique qui se rapproche de celle qui est la sienne actuellement", reprend Ariël Jacobs. "Mais il fallait aller au-delà et ne pas le juger uniquement sur son physique mais sur d’autres paramètres qui font qu’avec sa constitution, il n’est pas qu’une armoire à glace mais bien un joueur de foot. C’est le lot de tous les jeunes qui sont au-dessus physiquement. Il faut savoir se projeter, savoir si, à maturité physique égale, le potentiel technico-tactique est suffisamment élevé. Ce qui était le cas. Et Romelu avait déjà cette qualité de marquer facilement. Ses performances ont facilité son intégration dans le vestiaire. Il ne s’est jamais fait remarquer, s’intégrant avec beaucoup de simplicité et le groupe l’a très bien accueilli. Quand un jeune intègre le noyau, souvent les plus chevronnés veulent le chambrer. Pas avec lui qui a été très naturel."
Avant donc ce 24 mai qui l’a fait basculer dans un autre monde alors que beaucoup auraient pu se brûler les ailes dans un Sclessin incandescent. Parce que le joueur était déjà d’une maturité étonnante. Parce que son entraîneur avait aussi trouvé les mots justes. "Je n’ai pas eu peur de la pression dans le sens où elle ne reposait pas sur ses épaules. Je voulais être sûr que les médias ou les supporters n’allaient pas lui reprocher quelque chose. Je ne voulais pas que ma décision de le lancer se retourne contre lui. C’est le discours que je lui ai tenu. Dans un match où l’on devait marquer après le 1-1 de l’aller, tout pouvait arriver. Mais le plus important dans cette histoire reste que c’est moi qui ai pris la décision de le faire entrer au jeu. Je lui ai dit : Si les choses tournent bien, c’est ton mérite; si cela foire, c’est de ma faute. De cette façon, je lui ai retiré la pression même si je dois dire que je n’ai pas eu l’impression qu’il était sous pression", se remémore l’ancien coach du Sporting.
Et Ariël Jacobs d’enchaîner : "Mais d’un autre côté, et je ne lui ai pas dit, quelle que soit la situation, s’il devait rater quelque chose, il y avait toujours l’excuse du contexte. Il avait tout à gagner. Il n’a pas touché trente-six ballons, mais a eu deux actions où tout le monde s’est dit que c’était prometteur à son âge, surtout que nous étions menés. S’il était capable de le faire là, alors…"
La belle histoire pouvait commencer.
"Il gagnait tous les quiz"
Romelu Lukaku n’est pas qu’un joueur professionnel, il est aussi un fin connaisseur de l’histoire et de l’actualité du jeu. "Je pense qu’il affiche toujours cette même avidité mais dès ses débuts, on sentait sa passion. Souvent, un jeune est un amateur de football jusqu’à ce qu’il signe son premier contrat et, dès lors, cela devient juste pour lui un travail. Pas avec Romelu pour qui il s’agit d’une passion", explique Ariël Jacobs avant de convoquer l’exemple des quiz qui égayaient les longues soirées d’hiver lors des stages. "Avec sa connaissance des stats et de l’histoire du football, il gagnait toujours avec son équipe."
Partir pour grandir ?
La dimension prise par Romelu Lukaku ne surprend pas son premier entraîneur en pro. "Parce qu’il est à Everton dans une bonne équipe et dans un club qui lui permet de s’épanouir davantage, mais la question est de savoir si le moment est venu de faire un pas en avant", souligne Ariël Jacobs. "À Everton, on lui permet d’avoir des passages à vide qui sont pardonnés parce qu’il est décisif et que le jeu est axé sur lui. Peut-il autant s’épanouir quand il n’est pas l’option prioritaire dans une équipe qui a plus de talent comme en sélection ? Son rendement différent chez les Diables s’explique aussi par le fait qu’il y a De Bruyne, Hazard, Mertens ou Carrasco qui veulent avoir le ballon avant qu’il n’arrive en zone décisive."
"Jordan a besoin de se sentir mis en valeur"
"Si j’avais percé à Anderlecht, j’aurais sans doute été plus tôt international. Car j’aurais eu plus de crédit."
On sent un certain fatalisme mais aussi une pointe de déception dans le discours de Jordan Lukaku, tenu la semaine dernière avec les Diables.
Lui, pur produit de Neerpede, aurait rêvé éclore dans son club formateur. Mais le destin en a décidé autrement.
Sa première saison en équipe fanion du Sporting fut assez commune pour un joueur de 17 ans : il compta six apparitions, sous Ariël Jacobs. Mais lors de l’été 2012, tout s’est compliqué avec l’arrivée de John van den Brom. Entre les deux hommes, le courant ne passait pas. Et Jordan dut se contenter en un an de seulement trois apparitions, pour un maigre total de trente minutes de jeu…
À 19 ans, il fut alors prêté à Ostende, où il finit par être transféré définitivement. "Marc Coucke venait d’arriver et Jordan a fait partie de la première vague de transferts, avec Berrier et Canesin", raconte son entraîneur de l’époque, Frederik Vanderbist, qui venait d’être promu en D1. "C’était le plus jeune des trois et aussi celui qui avait, de loin, le moins joué. C’était donc un vrai pari. Mais Marc Coucke aime les paris…"
Celui-là n’était pourtant pas gagné d’avance. "Jordan était passé d’Anderlecht dans un club où ce n’était pas vraiment le grand luxe… Lors de son premier match, face à Waasland-Beveren, il n’avait pas été bon du tout. Tout le monde s’est posé des questions. Mais pas moi. Je savais ce dont il était capable. Finalement, il n’a fallu qu’un mois pour qu’il trouve ses marques. Pour un jeune, ce n’est pas si long…"
Dans ce laps de temps, Vanderbiest a dû corriger certaines choses. "Le premier point à améliorer a été sa discipline. Ce n’était rien de grave, mais il avait des retards, ce qui lui a valu quelques amendes… Il a vite compris. Sur le terrain, on a beaucoup travaillé sur sa position défensive. Mais je ne voulais pas non plus me priver de ses qualités de débordement et de dribble. J’ai compris que je ne devais pas l’approcher comme les autres joueurs. Nous avons beaucoup parlé ensemble et je me suis efforcé de mettre l’accent sur le positif."
Ce qui le changeait considérablement de sa dernière saison à Anderlecht avec John van den Brom. "Je ne peux pas juger ce qui s’est passé avec Jordan à Neerpede. Être le frère de Romelu n’a pas dû faciliter sa tâche. Mais c’est clair que les ego sont importants là-bas : tout le monde pense qu’il peut jouer. À Ostende, Jordan a trouvé un esprit de famille. Il s’est senti mis en valeur. C’est ce qui lui a permis de grandir."
Au point de lancer pour de bon sa carrière en Pro League. Lors de la défunte saison, avec Yves Vanderhaeghe, Lukaku a encore franchi un nouveau cap, qui lui a permis de devenir international.
Aujourd’hui, Jordan semble prêt pour quitter Ostende et entamer une nouvelle aventure. De quoi donner des espoirs… ou encore plus de regrets à Anderlecht ? "Jordan n’était peut-être simplement pas prêt à l’époque pour réussir au Sporting. Quand on voit où il en est à 21 ans, on peut se dire que ses choix étaient les bons. Et maintenant, il n’aurait pas intérêt à retourner à Anderlecht. Car sa progression y serait limitée. Il n’y a pas tant de différences que cela entre Ostende et le Sporting… Pour moi, c’est clair : Jordan est fait pour l’Angleterre. Et cette fois, il est bel et bien prêt."
"Un vrai back moderne, que la Belgique cherche depuis très longtemps"
Durant sa formation, Jordan Lukaku a évolué à plusieurs postes. Même à celui de… défenseur central. Mais avant même de devenir pro, il s’était déjà installé à celle deback gauche.
"À son arrivée, j’ai pourtant songé à l’aligner un cran plus haut", reconnaît Fred Vanderbiest. "Il nous manquait quelqu’un à cette position et il avait aussi les qualités pour jouer là. J’en ai parlé avec Jordan, mais il m’a expliqué qu’il préférait venir de plus loin. Je l’ai écouté et j’ai bien fait ! Au fil des semaines et des mois, il a énormément évolué à cette place. Et sa marge de progression est encore énorme."
Le nouveau coach de l’Antwerp ne s’en cache pas : il est fan de Jordan. "C’est un back gauche très moderne : il a la vitesse, la force physique et aussi ce petit grain de folie. Cela fait très longtemps que la Belgique se cherche un vrai back gauche. Peut-être que les Diables l’ont trouvé, pour de nombreuses années à venir…"