Sébastien Siani, un Camerounais au coeur de lion: "Le foot africain grandit chaque année"
À 28 ans, le milieu de terrain d’Ostende vit sa première Can en tant que Lion Indomptable. Une compèt qu’un Cameroun dans le dur a difficilement abordée. Rencontre avec un gars qui n’a plus de temps à perdre mais garde un regard lucide et posé sur sa situation.
- Publié le 21-01-2017 à 13h59
- Mis à jour le 21-01-2017 à 14h00
À 28 ans, le milieu de terrain d’Ostende vit sa première Can en tant que Lion Indomptable . Une compèt qu’un Cameroun dans le dur a difficilement abordée. Du Cameroun, on garde cette image romantique de Roger Milla, vieux lion quasi quadra qui danse après avoir marqué contre la Roumanie de Gheorghe Hagi, ses débardeurs et ses griffes rouges sur les flancs. Rarement une nation africaine n’a bénéficié d’autant de visibilité en Europe, grâce notamment à Samuel Eto’o, leader mégalo, mais génial. Mais le Cameroun fait aujourd’hui moins peur, le fauve s’est vu dompter de plus en plus souvent, comme s’il avait moins les crocs. Le match nul acquis en ouverture face au Burkina Faso et la difficile victoire contre la Guinée-Bissau (avec un but de Siani à la clé !) accentuent encore cette impression.
C’est au milieu d’un noyau cornaqué par Hugo Broos que Sébastien Siani a pour mission de réparer l’affront de 2015, quand le pays avait sombré en phase de groupes après avoir loupé les éditions 2012 et 2013.
Rencontre avec un gars qui n’a plus de temps à perdre mais garde un regard lucide et posé sur sa situation.
Vous êtes un jeune international. Ça fait quoi de porter un maillot aussi emblématique ?
"C’est une fierté, c’est le rêve de tout Camerounais. Ça prouve que je fais partie des meilleurs de mon pays. J’ai connu cela sur le tard, mais peu importe le timing. Je veux juste représenter le pays. Mais je savoure d’autant plus que je ne suis plus tout jeune. C’est le plus grand bonus dont je pouvais rêver dans ma carrière."
On connaît bien votre coach, Hugo Broos. Comment cela se passe-t-il avec lui ?
"En Belgique, on le connaît, mais pas vraiment en Afrique, même s’il a coaché en Algérie. Au Cameroun, on préfère toujours les grands noms, des gens qu’on voit à la télé. Mais il est arrivé tout doucement, il fait son chemin, même si ce n’est pas facile. Il y a toujours des détracteurs, mais il fait bien son travail. Il mise beaucoup sur la discipline et la rigueur. Cette Coupe d’Afrique peut l’aider à faire taire cela en cas de bon parcours. Mais il lui faut du temps pour mettre son projet en place. J’espère qu’on le lui laissera."
Le fait qu’il connaisse le foot belge vous a aidé à vous faire une place au sein de l’équipe ?
"J’y étais déjà avant qu’il n’arrive. Mais oui, quand il a été nommé, c’était un avantage pour moi, car il connaît le championnat. Le rapport est un peu plus simple, car il peut me suivre plus facilement. Les entraîneurs précédents le faisaient aussi, mais il y avait moins d’intérêt. On suivait plus la France, la Turquie. Mais cela a changé. Il base beaucoup plus ses choix sur le jeu : si tu joues bien, tu joues. Chacun a sa chance."
Vous avez dit que le vestiaire camerounais manquait parfois de modestie.
"Dans une équipe, il en faut. OK, il y a de l’orgueil. Mais si on agit pour le bien de l’équipe, il faut savoir le mettre de côté. Si on se dit qu’on peut faire ce qu’on veut parce qu’on est là depuis cinq ou dix ans, cela devient dangereux. Je suis un des plus âgés, je peux me permettre de dire à quelqu’un qu’il ne joue pas que pour lui, mais pour un groupe, pour les 22 millions de Camerounais. On porte une entité, un drapeau, c’est plus fort que tout. Mais je garde quand même ma place, car je viens d’arriver. Je ne vais pas outrepasser le capitaine. Je fais attention."
Au niveau de la gestion de l’ego, qu’a apporté Hugo Broos ?
"Il a essayé de faire travailler tout le monde les uns pour les autres. C’est bien, car notre équipe nationale est un peu dans le dur. On essaye de se rattraper. Ce n’est pas parfait, mais on est sur le bon chemin."
Le Cameroun est dans le creux de la vague. Comment vous sentez-vous par rapport à ça ?
"On ne parvient plus à atteindre un vrai bon niveau. Surtout dans les compétitions internationales. À nous de relever ce challenge . A contrario , il y a le Gabon, qui devient grand. C’est comme l’Islande en Europe. Les petites nations montent en puissance. Il y a des pays de moins de 2 ou 3 millions d’habitants qui commencent à devenir très forts. Cela montre que le foot est un phénomène universel. On se professionnalise partout. Et tant mieux, car cela augmente le niveau. Le foot africain grandit chaque année."
Comment se remet-on du départ d’un Samuel Eto’o ?
"Quand on dit qu’il faut intégrer une équipe pour remplacer quelqu’un, je réponds qu’il faut écrire sa propre histoire, voire faire mieux. On ne remplace pas les icônes. Jamais. Sinon, chaque année, on devrait changer le nom des rues."
Qui a repris le rôle de patron du vestiaire ?
"Eto’o était un patron, donc, c’est un peu difficile. Le capitaine (NdlR : Benjamin Moukandjo) le fait, les anciens aussi. Mais c’est vrai qu’avec un joueur doté d’un tel charisme et d’une telle expérience, les gens ne peuvent que suivre. Il avait tellement de vécu que c’était difficile de ne pas l’écouter."
Quel est le point fort de la sélection du Cameroun ?
"Le collectif. On a des joueurs talentueux, mais on doit jouer en équipe pour avancer. Physiquement, on est bons, mais on va devoir mélanger tout cela pour former un vrai bloc. On ne peut gagner la Can seul. C’est trop physique."
Qui sont les favoris pour la Can ?
"Être favori, cela ne veut rien dire du tout sur une telle compétition. Mais s’il faut en citer un seul, on peut dire le Gabon, qui est le pays organisateur de l’épreuve. Cela fait d’eux des candidats au titre. Ils ont mon coéquipier Didier La Panthère Ovono (rires), Aubameyang, qui est le meilleur joueur africain à mon sens, c’est une grosse équipe . " (NdlR : ils s’affronteront dimanche en phase de poules)
"Le rôle de porteur d’eau me plaît"
Arrivé en Belgique en qualité d’attaquant, c’est bien un cran plus bas sur le terrain qu’il est devenu incontournable, au point de gagner ses galons deLion Indompta ble
Début 2013, un ancien espoir d’Anderlecht débarque à Ostende. À la côte, le sympathique Sébastien Siani trouve enfin la stabilité après un parcours sinueux en Belgique (Anderlecht, Zulte, Union Saint-Gilloise, Saint-Trond, Brussels). Sur la pelouse, il a également eu la bougeotte, lui qui était arrivé au Sporting en tant… qu’attaquant.
"C’est drôle, car quand Anderlecht est venu me voir au Cameroun, il ne venait pas pour moi, mais pour un autre joueur", se souvient-il. "Je n’avais donc pas trop envie de jouer. Je me suis dit Allez je me mets attaquant . Puis j’ai fait un bon match, j’ai marqué et je suis parti en tant qu’avant. J’ai joué presque sept ans à ce poste en Belgique. Et en arrivant à Ostende, le coach m’a fait reculer dans le jeu et j’y suis resté."
Une idée de génie signée Fred Vanderbiest, alors en poste au KVO. Lui-même ancien numéro 6, il façonne un joueur qu’il voulait absolument arracher à feu le Brussels. "J’ai dû me faire violence", concède Sébastien Siani. "Me dire qu’il fallait m’adapter pour gagner ma place. J’ai appris de l’ancien coach et de l’actuel. Ils m’ont enseigné les ficelles du métier, comment, me placer. En fait, j’y prends plus de plaisir. On est vraiment au cœur du jeu, car tout passe par le milieu. C’est le carrefour du jeu. Je m’y sens vraiment épanoui, car je fais le jeu pour aider les autres. J’aime le fait de les servir. Ce rôle de porteur d’eau me plaît."
Une déclaration presque logique dans la bouche d’un grand fan d’Andrès Iniesta, un joueur "qui aurait remporté cinq Ballons d’Or d’affilée, s’il n’avait pas évolué en même temps que Messi et Ronaldo."
Aujourd’hui, l’Ostendais se sent à la maison et bien dans son foot, lui qui met en avant les valeurs de travail et de sacrifice. "J’ai appris qu’il faut savoir défendre pour gagner", dit-il. "Le Portugal a gagné l’ Euro en gagnant seulement un seul match dans les nonante minutes. Cela veut dire qu’il faut avant tout être en place tactiquement."
Un vrai défensif en somme !
Mais Siani-le-Sage, c’est aussi un gars qui sait d’où il vient, des environs Douala, où il a baigné dans un univers peu friqué. "Petit, j’étais toujours dans les plantations", se souvient-il. "J’y travaillais après l’école pour récolter des choses qu’on vendait ensuite sur le marché. Cette éducation paysanne me vient de mes grands-parents."
Et lui vaudra un surnom : L’Agriculteur !
À l’académie de Douala, il sera rebaptisé Verón, du nom de l’ancien médian de la Lazio Rome et Manchester United. Qu’il se rassure, Sébastien Siani a l’air moins féroce que l’Argentin…
"On peut comprendre certains forfaits"
Malgré l’engouement que suscite la Can le Cameroun doit faire face à une vague de forfaits qui le met en difficulté.
Elle a beau avoir lieu tous les deux ans, la Coupe d’Afrique est le rendez-vous-phare pour 1,2 milliard de personnes. C’est simple, la Can plonge seize pays dans une autre dimension : celle du foot. C’est dire si y faire un résultat est indispensable.
"On voit toujours une Afrique pauvre, ses mauvais côtés", regrette Sébastien Siani. "Mais il y a beaucoup de joie de vivre. Et le foot en fait partie. C’est comme une religion. Les gens attendent que les trois couleurs soient hissées haut. C’est une ambiance, une fête. Il fait beau, chaud. Les gens sont tout le temps dehors et motivés. C’est plus que du foot. Je ne dis pas qu’il n’y a pas de passion en Europe, mais cela dépasse ce cadre en Afrique. C’est coloré, comme nos drapeaux." (rires)
Pourtant, pas moins de huit joueurs camerounais ont fait défection, dont Joël Matip, le défenseur central de Liverpool. Sébastien Siani ne les blâme pas."Il faut être bien dans sa peau pour défendre les couleurs de son pays. On ne peut pas abandonner celui qui nous nourrit. La Can, ça dure un mois et puis, il faut rentrer. Il y a des situations que l’on peut comprendre. Quand le club d’un joueur ne veut pas le lâcher, que faire ? La fédération et les joueurs doivent discuter calmement, sans aller au clash . Si votre pays vous appelle pour aller à la guerre mais que votre famille n’est pas d’accord. Alors vous faites quoi ?"
Il prend le cas d’André Onana, titulaire à l’Ajax, mais second gardien du Cameroun. "C’est déjà difficile pour un gardien étranger de se faire une place entre les perches d’un club pareil. C’est un honneur. Pourquoi aller à la Can alors qu’il risque de ne pas jouer et en plus de perdre sa place ?"
Le nœud du problème reste le même à chaque édition : le calendrier, qui coupe la saison des Africains en deux. "Ne me demandez pas pourquoi on joue la Can en janvier, cela n’a pas commencé cette année", rétorque l’Ostendais. "Si les clubs veulent la boycotter, on peut le comprendre, ils nous payent. Mais eux doivent comprendre aussi, car il y a un pays à défendre. Si on jouait ça en été, peut-être que les dirigeants européens râleraient aussi, car on serait plus fatigués à cause d’une compétition qui ne concerne pas l’Europe. C’est un peu confus pour tout le monde…"