Urska Zigart, compagne de Pogacar, est notre invitée du samedi: “Quand je bats Tadej au sprint à l’entraînement, il montre les dents !”
Pro chez Jayco AlUla et actuellement engagée sur le Giro féminin, Urska Zigart supportera son compagnon à distance pour le Grand Départ de ce Tour de France 2023.
- Publié le 01-07-2023 à 11h16
Le destin souligne décidément parfois certaines évidences. “On ne pouvait se rencontrer que sur le vélo”, sourit Urska Zigart (26 ans).
Cycliste professionnelle au sein de la formation Jayco AlUla avec laquelle elle est engagée depuis ce vendredi sur le Tour d’Italie féminin (prologue initial de 4,4km annulé en raison des pluies intenses), la triple championne de Slovénie de contre-la-montre est aussi la compagne d’un certain Tadej Pogacar (24 ans). Avant que le phénomène de chez UAE Team Emirates n’accroche deux Tours de France à son palmarès, c’est en effet à l’occasion d’un stage commun de l’équipe nationale slovène en Croatie (2017) que le couple désormais installé à Monaco est né. “On a commencé par échanger quelques mots à l’arrière du peloton avant de rapidement constater que le courant passait plutôt bien”, sourit la fiancée de Pogui.
Quelques minutes après avoir déposé son compagnon à l’aéroport en milieu de semaine sur le chemin la menant en Italie, la pétillante grimpeuse a pris le temps de se confier.
Félicitations tout d’abord, Urska ! Vous êtes en effet devenue championne de Slovénie de chrono la semaine dernière, le même jour que Tadej chez les hommes. Comment avez-vous vécu cette journée particulière pour votre couple ?
”Gagner un titre national tous les deux au même endroit et à quelques heures d’intervalles à peine, c’était génial et très particulier. Cela nous était déjà arrivé sur la même épreuve en 2020, mais j’espère que nous aurons l’occasion de vivre ce genre de moments plus souvent dans le futur. Ce serait un bon signe pour nos carrières respectives (rires)… Nous sommes d’ailleurs passés tout près d’être tous les deux double champion de Slovénie. Tadej a en effet également remporté la course en ligne alors que j’ai, de mon côté, dû me contenter de la médaille d’argent. Comme nous n’étions que 13 élites au départ, nous formions un peloton commun avec les juniores, et je me suis fait piéger sur le plan tactique… “
Gagner Liège ou la Flèche le même jour que Tadej, ce serait génial!
Votre prochain succès commun pourrait, qui sait, survenir en Belgique. Sur la Flèche wallonne ou Liège-Bastogne-Liège, par exemple, qui proposent également une déclinaison féminine le même jour que la course hommes…
”Vous faites bien de ne pas mentionner le Tour des Flandres, car je ne suis vraiment pas une amatrice de pavés. Moins j’en vois, mieux je me porte (rires) ! Mais choisir entre vos deux classiques ardennaises, c’est très difficile. Je ne sais pas trop à quel point je pourrai être compétitive sur ce type de course d’un jour, mais ce serait évidemment génial de s’imposer sur l’une d’elles le même jour avec Tadej !”
"Avec le décès de Gino Mäder, il est encore plus difficile de vivre les courses à distance."
Comment vivez-vous ces journées lors desquelles vous êtes tous les deux engagés sur votre propre course ?
”Même si on songe évidemment l’un à l’autre, on se doit de d’abord se focaliser chacun sur notre épreuve, c’est notre job. Et je dois dire que cette situation est plus facile à vivre que lorsque je regarde les exploits de Tadej à la télévision par exemple. Quand nous avons tous les deux un dossard accroché au maillot le même jour, notre esprit n’a pas le temps de vagabonder. Avec la tragédie que nous avons vécue il y a peu sur le Tour de Suisse (NdlR : décès de Gino Mäder après une chute dans la descente de l’Albulapass), il est encore plus difficile de vivre les choses à distance, devant son écran en assistant à des événements sur lesquels on n’a aucune prise. Je suis ainsi heureuse d’être engagée sur le Giro Donne jusqu’au 9 juillet et de ne pas me ronger les ongles devant les images des deux premières étapes du Tour toujours extrêmement nerveuses et souvent marquées par des chutes.”
Le décès de Gino Mäder vous a-t-il fait voir votre quotidien de couple cycliste d’une autre manière ?
”J’ai eu la douleur de perdre ma maman il y a un an dans des circonstances évidemment très différentes, mais ces événements m’ont permis de réaliser que quelle que soit la tragédie qu’on est amenée à vivre et la douleur qui nous habite dans ces instants, le reste du monde continue de tourner. On n’en ressort évidemment pas intacte, mais il faut s’armer de résilience afin de poursuivre son chemin. Une valeur que je considère encore plus essentielle est l’attention et le soin qu’on porte les uns aux autres. Appliquée au cyclisme, elle signifie que la sécurité doit devenir un point sur lequel on ne transige à aucun instant. Mais si on réfléchit sans arrêt aux risques inhérents à la pratique du vélo en compétition, mieux vaut alors rester à la maison. Cela vaut d’ailleurs pour la vie de manière générale.”
Quelles seront vos ambitions sur ce Giro féminin ?
”J’espère pouvoir conserver la bonne forme qui était la mienne lors des Championnats nationaux et sur le Tour de Suisse (7e du général final). Mais je me concentrerai principalement sur un boulot d’équipière pour l’Espagnole Ane Santesteban qui constitue notre meilleure carte pour le général. Si une opportunité se présente sur les étapes les plus montagneuses, je pourrais peut-être passer à l’attaque. Cette année, je ne suis pas prévue dans la sélection de mon équipe pour le Tour de France féminin. Je reste toutefois disponible si on a besoin de moi. J’ai pu constater l’année dernière lors de la première édition à quel point cette épreuve était particulière et jouissait d’une énorme caisse de résonance.”
Avez-vous prévu d’aller supporter Tadej sur les routes du Tour, une fois votre Giro conclu ?
”Oui, je pense aller principalement sur les étapes alpestres. Et puis pourquoi pas monter à Paris pour une belle fête (rires)…”
Tadej et moi sommes le même type de cyclistes."
Échangez-vous parfois des conseils avec Tadej ou le cyclisme est-il un sujet que vous tentez d’éviter une fois à la maison ?
”Cela n’occupe jamais l’intégralité de nos conversations car nous avons, fort heureusement, d’autres centres d’intérêts (sourire). Le grand avantage d’être tous les deux cyclistes pros est que nous connaissons chacun les exigences et les moments par lesquels nous fait passer ce métier. Même si je ne mesure sans doute pas ce que cela fait de s’aligner au départ du Tour de France avec l’étiquette de favori ou d’occuper la place de n°1 mondial (éclats de rire). Ce que je veux dire, c’est que nous connaissons les hauts et les bas du quotidien de sportif de haut niveau et savons donc à quel point il peut être précieux de bénéficier du soutien de son partenaire dans certaines circonstances. Mais à côté de cela, on parle aussi des courses qu’il y a à faire pour remplir le frigo et des factures que nous devons encore payer.”
Vous partagez régulièrement des photos de vos entraînements communs sur les réseaux sociaux. Roulez-vous ensemble chaque jour lorsque vous êtes ensemble à Monaco ?
”Oui, pratiquement. Nos calendriers respectifs nous éloignent régulièrement l’un de l’autre et nous tentons donc de maximiser le temps que nous avons à deux. Nous essayons le plus souvent de rester ensemble lors de ces entraînements, même si cela oblige parfois Tadej à faire demi-tour au sommet d’une côte pour redescendre ensuite à ma hauteur. Nous avons la chance d’être le même style de cycliste et d’apprécier le même genre de terrain. Il ne doit donc jamais m’attendre trop longtemps.”
Tadej vous pousse-t-il chaque jour à repousser vos limites ?
”Non, j’ai vite compris qu’il était important de ne pas me brûler en voulant le suivre constamment. Je respecte donc les zones d’effort dans lesquelles mon entraîneur me demande de travailler. Mais il arrive qu’on se lance des petits défis en se faisant le sprint par exemple. Comme il est plus fort que moi dans les ascensions et qu’il possède une meilleure pointe de vitesse, je dois être ingénieuse pour le surprendre.”
"Il n'a jamais perdu le moral après sa blessure."
Comment réagit Tadej lorsque vous le battez dans l’un de ses petits jeux ?
”Il montre les crocs avant de lancer le suivant, mais il s’assure toujours que cela n’arrive pas trop souvent (rires). Et puis les routes ouvertes ne sont pas toujours le meilleur environnement pour des choses que nous ne nous autorisons pas trop souvent.”
Tadej semble toujours animé du même enthousiasme et d’une forme de bonne humeur. Était-ce également vrai lors de sa période de revalidation après sa chute sur Liège-Bastogne-Liège ?
”Il n’a jamais perdu le moral et est toujours resté calme. Une de ses qualités, c’est qu’il ne s’énerve pas pour des choses sur lesquelles il n’a de toute façon pas de prise. Il a profité de cette période pour rendre visite à sa famille et ses amis en Slovénie lorsque j’étais engagée sur la Vuelta début mai par exemple. Il s’est appliqué à suivre son programme à la lettre mais en restant serein.”
Comment avez-vous appris la chute de Tadej sur la dernière Doyenne lors de laquelle vous étiez également engagée en course ?
”En sortant de la douche, j’ai vu que j’avais deux appels en absence. Alors que je m’apprêtais à prendre le chemin de l’aéroport, j’ai appelé notre manager qui m’a expliqué la situation et que Tadej était emmené à l’hôpital. J’ai alors évidemment changé mes plans pour être à ses côtés et mettre le cap sur Genk où il allait être opéré. Avec la vie qui est la nôtre, il faut savoir faire montre de flexibilité. Tadej était content que je sois à ses côtés ce soir-là. Quand il gagne, un millier de personnes veulent l’entourer, mais dans les situations plus pénibles, les soutiens sont plus rares. Je devais être là.”
Quelles sont vos espérances pour Tadej sur ce Tour ?
”Tout simplement qu’il rentre à la maison sain et sauf dans trois semaines. Il va bien évidemment tenter de remporter une troisième fois la Grande Boucle et je crois vraiment qu’il a le niveau pour concurrencer Jonas (Vingegaard), mais en tant que fiancée, je vous assure que l’essentiel est ailleurs.”