Christian Prudhomme: "Philippe Gilbert a personnifié le courage"
Christian Prudhomme tire le bilan de la 105e édition de la Grande Boucle.
- Publié le 31-07-2018 à 06h41
Christian Prudhomme tire le bilan de la 105e édition de la Grande Boucle. Mardi dernier, lorsqu’il était venu saluer Philippe Gilbert dans l’ambulance qui allait emmener le Wallon vers l’hôpital de Toulouse après sa terrible chute, le regard de Christian Prudhomme témoignait d’un sincère soulagement, mais aussi d’un profond respect. Durant de longues secondes, le directeur de la Grande Boucle avait empoigné le bras de l’ancien champion du monde, comme pour s’assurer que celui-ci était bien là. Au moment de tirer le bilan de ce 105e Tour, le directeur de l’épreuve semblait toujours habité par ces images. Entretien.
Christian, vous avez dit que la chute de Philippe Gilbert resterait, à vos yeux, l’image de ce Tour. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?
"Les circonstances étaient très particulières. Nous venions de nous recueillir sur la stèle de Fabio Casartelli quand j’ai entendu François Lemarchand (NdlR : l’un des responsables sportifs de l’épreuve) annoncer la chute de votre compatriote avec une voix blanche. J’ai compris à son timbre qu’il se passait quelque chose de spécial, que je pensais grave. Je m’imaginais Philippe allongé sur la route, je ne savais pas qu’il était passé de l’autre côté du parapet. L’attente de nouvelles plus précises et, heureusement plus rassurantes, a été interminable. Je n’ai revu sa cabriole qu’ensuite. Savoir que ce champion, qui possède un palmarès incroyable, a tenu à terminer cette étape avec une rotule fracturée en dit long sur le courage des champions du Tour qu’il a personnifié. Je voulais lui tirer un grand coup de chapeau. Plus qu’une image, c’est une émotion qui me reste gravée en mémoire."
Quelle est la principale leçon à retenir de ce Tour selon vous ?
"Cela aura été une édition rude, qui a commencé bien avant le Grand Départ en Vendée, dans son approche. Je parle évidemment de cette attente de plus de six mois pour le verdict de l’affaire Froome. Le fait que la décision soit finalement tombée cinq jours avant que la Grande Boucle ne s’élance a forcément joué sur l’atmosphère générale. L’ambiance traditionnelle du Tour a dominé sur la très large majorité du tracé, mais nous avons vécu trois kilomètres exécrables dans la deuxième moitié de l’ascension de l’Alpe d’Huez."
A-t-on trop parlé d’un phénomène que l’on a parfois appelé hooliganisme ?
"C’est un peu comme au 31 décembre lorsque des voitures brûlent. Plus on en parle, plus des véhicules sont incendiés… La compétition cycliste se joue sur la route où nous n’installerons jamais 3.500 kilomètres de barrières. Il faut que les images de ces foules qui s’ouvrent au dernier moment pour laisser place aux coureurs demeurent. Et 99 % des supporters du Tour sont formidables. Malheureusement, dans des lieux mythiques du Tour comme l’Alpe d’Huez ou le Ventoux, s’agglomèrent des gens qui se moquent des champions du Tour et dont le seul but est de se montrer ou réaliser un selfie. Le soir de sa chute dans l’Alpe d’Huez, j’ai tenu à aller rendre visite à Vincenzo Nibali. J’ai été frappé par son fair-play. La première chose qu’il m’a dite est que cela faisait partie de la course."
Les éléments météorologiques n’ont-ils pas, eux aussi, joué un grand rôle dans le déroulement de la course ?
"Si, tout à fait. Le thermomètre n’est pratiquement jamais descendu sous les 30 degrés et le vent a très souvent soufflé de face. Il y a longtemps qu’il n’y avait pas eu autant d’abandons ou de hors délais. Cavendish qui tient à boucler l’étape de La Rosière alors qu’il sait qu’il ne rentrera pas dans les temps, cela constitue aussi une image du Tour, une course qu’il respecte. C’est pour cela qu’il est allé au bout de la souffrance. Il a donné de sa sueur au Tour comme Philippe Gilbert a donné de son sang."
Quel bilan tirez-vous de l’étape des 65 kilomètres vers le col du Portet ?
"Cela a donné un final intense, même si cela n’est pas parti sur les chapeaux de roues. Je crois aux choses variées. Pour moi, la plus belle étape reste celle de 200 kilomètres dans les Pyrénées. L’enchaînement du Tourmalet et de l’Aubisque constitue pourtant un classique. Les organisateurs proposent, les coureurs disposent. La formule est usée jusqu’à la corde mais elle garde sa vérité. L’étape de Quimper était superbement dessinée mais elle n’a pas proposé le déroulement attendu. Au lieu de casser par l’avant, cela a cassé par l’arrière."
Comment analysez-vous la nouvelle victoire du team Sky qui a donc remporté 6 des 7 derniers tours ?
"On ne peut certainement pas leur reprocher de vouloir gagner… C’est une sorte de Real Madrid du vélo. Quand ils vont chercher les meilleurs et les jeunes les plus talentueux, on peut tout de même se dire qu’une répartition plus équitable des talents, comme en basket par exemple, serait peut-être une bonne idée. Aujourd’hui, nous sommes dans une situation de domination très forte. C’était déjà le cas à l’époque d’un certain Eddy Merckx, mais celui-ci sortait à l’époque par l’avant. Sky est une machine qui a déjà gagné le Tour avec trois coureurs différents."