Mustafa Karabal est arbitre depuis 1979: "Je suis effaré par l'évolution des mentalités"
À 67 ans, le Liégeois aux 2.000 rencontres conserve toute sa passion et constitue un exemple suivre
- Publié le 18-10-2018 à 13h20
- Mis à jour le 18-10-2018 à 15h04
À 67 ans, le Liégeois aux 2.000 rencontres conserve toute sa passion et constitue un exemple suivre
Alors que l’arbitrage est au cœur de la tourmente et que les vocations se font de plus en plus rares depuis des années, Mustafa Karabal garde le cap.
Sa silhouette ne ment pas : svelte comme un jeune premier, il compte bien continuer à colporter la bonne parole aux quatre coins de la province de Liège. "Tant que mon corps suivra… J’espère arbitrer au moins jusqu’à 70 ans."
Dans le décor cossu de son appartement liégeois, il nous a reçus avec grande classe pour évoquer son parcours. Avec la sagesse d’un ancien et le regard pétillant d’un passionné.
Monsieur Karabal, quel regard portez-vous sur l’arbitrage actuel ?
"Je suis souvent effaré par l’évolution des mentalités. Très affecté aussi par les récents soucis qu’ont connu plusieurs de mes collègues dans la région. Certains ont été menacés et des rencontres ont dû être arrêtées. Je ne peux pas le concevoir. De nos jours, le respect d’autrui a trop souvent disparu. La discipline également. J’ai été élevé en Turquie dans une grande rigueur et je n’aurai jamais osé remettre en cause l’autorité."
Les récentes accusations ne sont pas de nature à améliorer les choses…
"S’ils sont coupables, les arbitres doivent être punis. L’image renvoyée est très mauvaise et il sera difficile d’éviter les amalgames pour les supporters, mais il faut évidemment faire la part des choses. En près de quarante ans dans l’arbitrage, je n’ai jamais été approché pour falsifier une rencontre. Ah si, je mens : une fois, un délégué d’un petit club de provinciale m’a dit avec insistance que son équipe devait absolument l’emporter. Je lui ai répondu d’aller motiver ses joueurs plutôt que de perdre son temps avec moi."
Que vous apporte l’arbitrage ?
"Il m’a permis d’élargir mon entourage, de réaliser de superbes rencontres. Et de garder la ligne ! Je pèse 60 kilos, mais je m’entraîne dur. Je cours, je ne bois pas, je ne fume pas. Bref, je me soigne. Dans mon esprit, le monde du football est une grande famille, où chacun a besoin de l’autre, et les arbitres y jouent un rôle déterminant. Je suis heureux de soigner ma santé et de rendre service aux Liégeois par la même occasion. Je suis toujours disponible quand on fait appel à moi."
“J’ai arbitré près de 2.000 rencontres !”
Des plus jeunes aux adultes, Mouss Karabal prend beaucoup de plaisir sur les terrains C’est en 1979 que l’homme en noir prend le sifflet. “Après une belle petite carrière de joueur comme attaquant. J’avais été victime d’une blessure sérieuse et on m’a proposé d’arbitrer. C’était en octobre 1979 et j’ai sifflé mon premier match en Préminimes. Une rencontre entre Spa et Goé, avec une victoire locale sur le score de 8-0. On n’oublie jamais son premier match…”, lâche-t-il, avec un sourire nostalgique. Depuis, le ballon a roulé. “J’ai arbitré en P1 et P2 de 1984 à 2006 et j’ai fait la ligne en Promotion. Depuis, je suis actif chez les jeunes, mais j’ai accepté de reprendre en P3 et P4 car il y a trop peu d’arbitres. Et je m’y suis adapté. Je revois pas mal d’anciens joueurs qui sont devenus entraîneurs et cela facilite les choses.”
Car sa jovialité et son honnêteté sont appréciées. “Depuis que je siffle, j’ai eu des soucis dans trois rencontres seulement, où les coaches étaient mécontents. Cela peut arriver et je respecte leur avis. Quand on se revoit, on s’embrasse…”
Il a aussi pu côtoyer de grands joueurs tout au long de son parcours. “Notamment la génération brésilienne de Seraing lors d’un amical au Pairay devant 2.500 personnes.”
Parmi tous ceux qu’il a croisés, un l’a particulièrement marqué. “C’est Patrick Huby, qui évoluait au Skill de Verviers. Un vrai meneur, un battant qui ne lâchait jamais rien, avec un sale caractère (sic).”
Il collectionne aussi les anecdotes. “J’avais dû arbitrer le replay d’un match de juniors stoppé après une bagarre. Avant le match, j’ai réuni tous les joueurs dans le vestiaire pour leur parler. Tout s’est bien passé et ils ont tous fait la fête ensemble après la rencontre.”
Il est ainsi, Monsieur Karabal, et il le restera… pour le plus grand bonheur de tous les amateurs de foot de la région.
“Je dépense tout à la buvette”
L’argent n’est pas du tout son moteur. Et pour cause… “Chez les jeunes, on perçoit un défraiement de 20 euros et 29 euros pour un match de P1. Il faut ajouter 2,90 euros par bloc de 10 kilomètres pour les frais de déplacement. La question est plutôt de savoir combien… je perds par match (rires). Je dépense tout à la buvette en général, et même davantage parfois.” Grand fan de Fenerbahçe et d’Anderlecht, il ne tolérera aucun dérapage. “Je peux vous dire que si j’apprends que mes deux clubs de cœur sont coupables de magouilles, je brûle tous mes drapeaux et mes vareuses (sic).” Et de terminer sur un autre souvenir relatif au temps qui passe. “Une fois, j’arbitrais à Wandruzienne et il y avait pas mal de joueurs turcs sur la pelouse. L’un d’eux a lancé à un partenaire, dans sa langue natale : ‘Il est bien vieux l’arbitre ! Tu as vu ses cheveux gris ! ’ Il ignorait évidemment que j’avais tout compris (rires)…”