À Jenneret (Durbuy), le vignoble Ysabeau lutte contre le gel grâce à l’aspersion d’eau (vidéo)
L’aspersion est une technique déjà utilisée dans certains vignobles en France. À Jenneret, le vignoble Ysabeau, cultivé par la famille de Favereau, a décidé de l’utiliser pour sauver sa première vendange.
- Publié le 24-04-2024 à 09h00
Cette semaine, les nuits se révèlent plutôt froides. Il n’est pas rare de retrouver des températures négatives. Pour les viticulteurs, le moment se révèle particulièrement délicat car, en une nuit, le fruit de leur labeur peut-être détruit.
Dans le vignoble Ysabeau lancé par la famille de Favereau en 2022, on lutte également contre le gel et ses ravages. “En Belgique, suite à l’hiver doux que nous avons eu et le printemps pluvieux qui s’en est suivi, la vigne est en avance de trois à quatre semaines dans son développement. Les feuilles sont sorties des bourgeons. Or, à ce stade, elles ne supportent plus les gelées qui peuvent arriver, traditionnellement, jusqu’aux saints de glace (mi-mai). Il faut donc les protéger”, indique Corentin de Favereau qui vient de passer deux nuits blanches.
S’il existe actuellement plusieurs techniques pour protéger les vignes (bougies, ondes infrarouges,…), la famille de Favereau a décidé d’utiliser une technique quelque peu inédite en Belgique, bien que déjà utilisée dans certains vignobles français, celle de l’aspersion d’eau. Corentin de Favereau explique en quoi cela consiste : “Conscients du caractère plus gélif de notre parcelle, et bénéficiant d’un étang appartenant à la famille en contrebas, nous avons installé un système de protection antigel par aspersion d’eau. Cela peut évidemment paraître contre-intuitif, mais asperger de l’eau sur la vigne pendant le gel permet d’isoler les feuilles du gel et donc de les protéger”.
Une féerie de glace dès l’aube
C’est ainsi que, dès l’aube après aspersion des vignes toute la nuit, se révèle un fascinant spectacle, une véritable féerie de glace. “En effet, concrètement, une coque de glace va se former autour des feuilles à protéger et, à la façon d’un igloo, maintenir la température à l’intérieur du cette coque à 0°. On évite ainsi le gel. Pour arriver à ce résultat, on va allumer la pompe du système dès que les températures vont descendre entre 1° et 0°. L’eau va alors jaillir de l’ensemble des asperseurs qui quadrillent l’ensemble de notre vignoble de trois hectares et ainsi mouiller l’ensemble des vignes en continu. Dès que la température va descendre en négatif, souvent au lever du soleil, cette eau va geler et créer ces coques de glace autour des feuilles de vigne. On n’arrêtera le système qu’une fois que la température remontera suffisamment pour faire fondre l’ensemble de cette glace. A priori, vers 9-10h du matin.”
Une technique qui a cependant un coût : “Cette opération nécessite énormément d’eau. Il convient donc d’avoir un étang privatif ou un puits à disposition. Chez nous, l’étang est réalimenté en continu par les eaux du Néblon. Nous avons fait appel à la société d’irrigation française Debernard qui a installé une pompe et des tuyaux à flanc de talus reliés à nos vignes. Un coût d’environ 70 000 € qui devraient être rentabilisés en quatre ou cinq ans. Nettement moins cher et nécessitant moins de main-d’œuvre que la technique des bougies”, conclut Corentin de Favereau qui effectuera sa première récolte l’automne prochain.
Corentin de Favereau, docteur en Histoire devenu viticulteur
Le vignoble Ysabeau à Jenneret, c’est l’histoire d’une incroyable reconversion. Celle de Corentin de Favereau, 39 ans, père de quatre enfants, résidant à Sauvenière (Gembloux), mais originaire du village durbuysien. “Je suis docteur en histoire et après avoir longtemps travaillé dans une ASBL derrière un ordinateur, j’ai décidé de revenir à mes racines. Je suis fils d’agriculteur et ayant grandi dans ce tout petit village qu’est Jenneret, j’ai senti le besoin d’y revenir avec un projet qui me permette de remettre les mains dans la terre.”
Et un jour, le jeune homme découvre que l’IFAPME de Perwez organise des formations à destination des futurs vignerons. “Il n’a pas fallu trois semaines de cours pour que naisse en moi la conviction que j’allais en faire mon métier.” Sur des terres âpres et très caillouteuses impropres à la culture traditionnelle mais tout particulièrement adaptées à la culture de la vigne avec une forte pente et une orientation plein Sud, la famille de Favereau cultive en bio trois premiers hectares de vignes.
”Au menu, Syrah, Pinot Noir, Riesling, Chenin et Viognier. Des cépages capables de donner des vins élégants, subtils ou puissants, précise Corentin de Favereau. Alors qu’une grande partie des projets professionnels en Wallonie se concentre sur les vins effervescents, l’objectif est ici de se démarquer de cette tendance pour proposer, surtout, des vins tranquilles. La Syrah et le Pinot noir donneront des rouges et rosés alors que le Chenin, le Riesling et le Viognier donneront des blancs. Des effervescents blancs seront cependant également proposés sur base du Riesling et Chenin essentiellement.”
Un vignoble ancré dans son terroir
L’ensemble de ces choix sortant des sentiers battus nécessitait un nom ancré dans le terroir qui sache relever la personnalité et la typicité des futurs vins. “À deux pas du futur chai se trouve la place du village rendant hommage à Isabeau Madame, sorcière ayant vécu au village au XVIIe siècle et rebouteuse capable de tirer le meilleur de la nature.”
Prochain projet du vignoble : “Un nouveau chai gravitaire (en plusieurs étages, pour transférer le vin par gravité et non plus par pompe) sera bientôt aménagé dans une aile de la ferme où j’ai grandi”.