Buvette forestière et royal protecteur : mais d’où vient le nom du fameux Carrefour Léonard ?
Le carrefour Léonard : les navetteurs le craignent et les politiciens s’y écharpent. Mais d’où vient donc le nom du fameux échangeur autoroutier ? D’après l’historien auderghemois Louis Schreyers, l’histoire de ce toponyme n’est pas banale…
- Publié le 18-04-2024 à 19h00
Le carrefour Léonard n’a pas toujours été traversé par 100.000 automobilistes quotidiens. Quand les sabots des chevaux rythmaient les déplacements, ce lieu-dit de la forêt de Soignes était même plutôt calme. Depuis le XVIIIe siècle, c’est d’ailleurs la chaussée de Wavre qui desservait les hameaux et premiers faubourgs bruxellois entre Etterbeek et Tervueren. Elle était nommée “chaussée de Tervueren” depuis son traçage en 1726. Et répondait aux besoins… des marchands de bois ixellois, dont les affaires exigeaient une voie pavée entre la Soignes et leurs scieries. Plus tard, elle est prolongée jusqu’à Wavre via Overijse, puis Namur. C’est ce que nous apprend l’historien auderghemois Louis Schreyers dans son livre “Auderghem par quatre chemins” (*).
Quatre chemins, c’est justement ce qui constitue le carrefour Léonard. Qui selon Schreyers, naît bien plus tard, entre 1831 et 1836, “lorsqu’on traça la route de Mont-Saint-Jean”, qui suit approximativement le ring actuel depuis Waterloo. Résultat : un carrefour de campagne en pleine forêt de Soignes. L’historien local explique que l’endroit reste “sans nom” pendant plus d’un siècle. Avant d’être connu comme “les Quatre Bras d’Auderghem”.
Roulotte
Alors, d’où vient donc ce nom de Léonard, qui glace le sang des conducteurs branchés sur l’infotrafic matins et soirs ? Et d’autant plus ces derniers jours, alors que la Flandre annonce fermer les unes après les autres les voies d’accès du monstrueux échangeur. Son origine est “singulière”, d’après le membre du Cercle d’Histoire d’Auderghem. “En 1884, un certain Léonard Boon installe sa roulotte dans le voisinage immédiat du carrefour”. Issu d’une famille d’agriculteurs de Jezus-Eik (Notre-Dame-au-Bois en français, à une encâblure), il y écoule pendant des années des boissons, qu’il vend “en toute illégalité”. La charrette est un peu l’ancêtre des stations-service. On connaît la musique : ses habitués, les Auderghemois et autres passants désignent rapidement l’endroit du nom du taulier : “aan Léonard”.
Si sa buvette bénéficie des largesses des autorités, c’est que Léonard Boon sert un client pas comme les autres, riverain venu de Tervueren : le prince Baudouin, Comte de Flandre, héritier du trône de Belgique. Celui-ci est le fils aîné de Philippe de Belgique, lui-même frère de Léopold II. Dans la notice de Louis Schreyers, on lit ainsi que Léonard “avait eu un jour l’occasion de fournir aide et assistance au prince égaré et put compter sur sa protection contre d’éventuelles poursuites qu’appelait l’exploitation clandestine de son commerce”. Mais en 1891, le promeneur fourvoyé meurt à 21 ans d’une pneumonie. Pour la Belgique, l’héritier devient son petit frère Albert. Pour Léonard Boon, c’est la fin de l’impunité.
Clignotant
Mais le carrefour semble valoir son pesant de faro. Et le tenancier s’y accroche. Marié, Léonard ouvre un estaminet dans la chaussée de Wavre, à 400m. Il l’exploite, légalement cette fois, jusqu’à la mort en 1912. Son prénom reste attaché au nœud routier, qui grignote sur la verdure avec le développement des autoroutes. “Le carrefour devint cause de nombreux accidents mortels”, écrit Schreyers. “On y plaça un feu clignotant. Pour les régionaux, le nom du lieu changea en “de pinker”.
En 1983, enfin, un second tunnel est creusé sous le carrefour. “Lors de l’inauguration”, ponctue l’historien Louis Schreyers, le bourgmestre d’Auderghem Lucien Outers “parla pour la première fois d’un carrefour Léonard”. Ironie de l’histoire, ce cofondateur du FDF était né à… Barchon, localité des hauteurs liégeoises elle aussi bien connue pour son équipement autoroutier.
(*)“Auderghem par quatre chemins”, Louis Schreyers et Nadine de Vos, Cercle d’Histoire d’Auderghem, Éditions Aparte, 2017 (épuisé). Le Cercle d’Histoire d’Auderghem met en accès libre sur son site web une partie des recherches qui ont permis l’écriture du livre.