Bruxelles a gagné 400 hectares d’espaces verts en 40 ans : pourtant, les Bruxellois sont toujours aussi à l’étroit dans les parcs (infographies)
Entre 1981 et 2023, Bruxelles a gagné pas mal d’espace vert. C’est ce que démontre une étude de l’IBSA qui mesure l’évolution des parcs accessibles au public. Mais les gains sont annulés par l’augmentation de la population. Ce, alors que la répartition de la verdure reste très déséquilibrée entre quartiers centraux et deuxième couronne.
- Publié le 25-04-2024 à 07h20
Depuis 1981, Bruxelles a gagné 400 hectares d’espaces verts accessibles au public. C’est l’enseignement d’une étude d’Anne Franklin, attachée scientifique à l’IBSA (Institut Bruxellois de Statistique et d’Analyse) spécialisée dans les questions environnementales. D’après qui ce gain apparent doit être relativisé : si on le rapporte au nombre d’habitants, le m2 de pelouse stagne. “C’est frappant”, commente la scientifique. “Malgré tous les efforts, la demande est devenue beaucoup plus grande”. Résultat : 25m2 de vert par habitant en 1981, 24m2 en 2023. “Il y a eu beaucoup d’efforts depuis la création de la Région bruxelloise et la prise en gestion des espaces verts par Bruxelles Environnement”, observe Anne Franklin. “Mais l’offre reste tendue. Certains espaces sont même surfréquentés”.
Les principaux gains de verdure se font par l’ouverture au public d’espaces jadis fermés. C’est le cas des Jardins du Fleuriste, du parc de la Reine Verte ou de l’Hippodrome de Boitsfort ou d’espaces semi-naturels, friches ou terrains semi-agricoles comme le Kauwberg, le Zavelenberg ou certains tronçons de la Promenade verte. Certaines zones industrielles se sont végétalisées (parc de la Ligne 28), d’autres ont été déminéralisées (porte de Ninove, place Marie Janson, parc de la Senne, Tour&Taxis). Derniers apports plus limités : des verdurisations d’espaces publics. “Il y a création d’espaces verts, mais c’est marginal par rapport aux zones rendues accessibles comme le Cauwberg”, commente l’experte. “Certaines débétonisations sont spectaculaires : Porte de Ninove ou Tour&Taxis, ça change un quartier, ça l’ouvre, on y pique-nique, on y organise des événements. À ce titre, la place Marie Janson, dans un quartier très dense à Saint-Gilles, est un bel exemple”. Entre 1981 et 2023, très peu de bâtiments ont été démolis pour céder à la chlorophylle. “Mais des opérations en intérieur d’îlot ont été menées : le parc de la Senne (couloir verdurisé entre les quartiers de l’Héliport et la place Masui, NDLR) ou le parc de la Sennette dans le quartier Heyvaert. Ce sont des parcs linéaires qui coûtent cher en temps et en argent”.
Second enseignement du décompte de l’IBSA : des inégalités persistantes (cfr cartes ci-dessus). En 1983, Pentagone et 1re couronne comptaient respectivement 5 et 3m2 d’espace vert par habitant pour 5 et 4m2 en 2023. La seconde couronne pour sa part reste stable à 41m2 par habitant. “Sud-est et nord-est sont bien fournis, le nord-ouest aussi avec Neerpede”, acquiesce Anne Franklin. “Mais par rapport aux zones périphériques, le centre souffre beaucoup : c’est dense et on continue de densifier”. Déjà cités, les parcs Ligne 28, Tour&Taxis, de la Senne ou, plus ancien, de la Porte de Hal, sont quelques îlots plus étendus entre les minuscules pocket parks et coins à balançoires. “On attend aussi l’allée du Kaai, qui n’entre pas dans mon décompte”. Problème, si les attentes globales (promenade, mise au vert, pique-nique et apéro, sport, repos, jeu…) des Bruxellois restent identiques depuis 40 ans, “la crise covid a exacerbé l’envie d’aller au parc”.
La chercheuse de l’IBSA pointe aussi des “oubliés” des espaces verts. “On réaménage plus de plaines de jeux qu’avant et les personnes âgées trouvent davantage où s’asseoir au vert pas loin de chez elles. Par contre, l’accès des PMR reste clairement à améliorer”. Autres délaissés ? “Les Bruxellois sans voiture. Soit la moitié des ménages. Pour eux, les grands parcs de deuxième couronne sont peu accessibles en transports en commun”. Soit La Cambre ou la Soignes, via les portes d’entrées de l’hippodrome ou du Rouge-Cloître. “C’est trop éloigné et chronophage si on habite le centre ou le vieux Molenbeek. Et tout le monde n’est pas cycliste”.
Les délaissés des espaces verts? Les Bruxellois sans voiture. Soit la moitié des ménages. Pour eux, les grands parcs de deuxième couronne sont peu accessibles en transports en commun.
Dans un dernier volet, Anne Franklin additionne enfin les m2 de parcs prévus dans les PAD, ces fameux Plans d’Aménagement Directeurs qui doivent réaménager plusieurs quartiers dès cette année 2024 et les suivantes. Au total, les PAD devraient mettre à disposition quelque 57,6 hectares de verdure. Soit 46,2 de plus qu’en 2023. Étonnamment, certains de ces PAD feront baisser la superficie verte par habitants dans certains quartiers. C’est le cas à Porte de Ninove, à Josaphat ou Herrmann-Debroux. “L’intention est toujours de créer beaucoup d’espace vert, mais aussi d’ajouter beaucoup de logements”, contraste la statisticienne. “Ainsi, à Gare de l’Ouest, on passe de 0 à 3ha accessibles avec l’arrivée du parc de loisir, mais au détriment de la biodiversité. À Porte de Ninove ou au Midi, les constructions de logements entraîneront une opération zéro en termes de m2/habitant. Je note tout de même une évolution avec les PAD plus récents, comme Défense à Evere, où une vraie réflexion a mené à l’adjonction de 15 hectares et une connexion avec la verdure flamande. On assiste toujours au double discours : plus de logements et c’est bien, mais avec aussi davantage de pression sur l’espace vert existant ou créé”. On relit dans cette analyse les crispations entre PS et Ecolo concernant la friche Josaphat, évidemment, et qui risquent de se répéter ailleurs si les partenaires repartent ensemble après le 9 juin.
On assiste toujours au double discours: plus de logements et c'est bien, mais avec aussi davantage de pression sur l'espace vert existant ou créé.
Bruxelles dans le milieu de tableau
Outre l’emblématique dossier du domaine royal de Laeken, y a-t-il d’autres espaces verts qui pourraient augmenter la surface disponible à Bruxelles ?
Les deux qui font débat, c’est Laeken et Val Duchesse. Ce sont les grands exemples de parcs fermés au public qui pourraient s’ouvrir. Mais il y a d’autres parcs privés et domaines encore fermés. Ainsi que des zones naturelles ou des friches soit jugées trop dangereuses, soit protégées, et où la promenade est interdite. Outre la Friche Josaphat et Schaerbeek Formation, voués à être bâtis, je pense aussi au parc Walckiers à Schaerbeek et à une partie du Moeraske à Evere.
Où se classe Bruxelles parmi les villes européennes selon ses m2 de verdure disponibles par habitant ?
Je n’aime pas trop ces comparaisons car les méthodes de calcul diffèrent. Mais je dirais que Bruxelles est grosso modo dans le milieu du panier. Globalement, les villes du nord offrent davantage d’espace vert ouvert au public. Clairement. On peut citer Oslo, Copenhague, Stockholm et Vienne. La Méditerranée par contre est moins généreuse. Pensons à Rome, Lisbonne, Nicosie…
Peut-on dire que la Forêt de Soignes biaise quelque peu les calculs ?
Si on l’enlève, les résultats seraient très différents. Mais elle est là et les gens en profitent. On y vient même d’assez loin. Les enquêtes d’opinion le montrent. On a de la chance de l’avoir.
5m2 par habitant dans le Pentagone, 4m2 en 1re Couronne, 41 en 2e, 26 en moyenne sur tout Bruxelles : c’est suffisant ?
Il n’y a pas de recommandation européenne, même si depuis les années 70, la norme de 9 à 10m2 d’espace public vert par habitant est souvent avancée. Il faudrait plutôt atteindre 50m2/habitant.