Xavier Thevenard, vainqueur de l'UTMB 2018: "J’ai grandi pieds nus dans la neige"
L'ultra-traileur français a égalé Kilian Jornet et François D'Haene en devenant ce samedi vainqueur du sommet mondial du trail pour la troisième fois. Nous l'avions rencontré à l'automne dernier, baskets aux pieds, lors de son passage en Belgique.
- Publié le 28-11-2017 à 11h23
- Mis à jour le 02-09-2018 à 08h45
L'ultra-traileur français a égalé Kilian Jornet et François D'Haene en devenant ce samedi vainqueur du sommet mondial du trail pour la troisième fois. Nous l'avions rencontré à l'automne dernier, baskets aux pieds, lors de son passage en Belgique.
Le Jura est sa région, les alentours du mont Blanc son terrain de jeu préféré. Xavier Thevenard est entré encore un peu plus dans l'histoire du trail en devenant ce samedi triple lauréat l’UTMB (2013 et 2015 et, donc, 2018). Il égale par la même occasion Kilian Jornet, un Espagnol lui aussi vainqueur à trois reprises à Chamonix et contraint à l'abandon cette année en raison d'une réaction allergique après une piqûre d'abeille. Il rejoint aussi François D'Haene parmi les triples lauréats, un compatriote absent cette année.
Voici quelques mois, à l'automne 2017, nous avions eu l'occasion de rencontrer le Français, qui succède donc à son compatriote François d'Haene au palmarès de l'épreuve, lors de son passage en Belgique, à Namur. Pour une interview baskets aux pieds.
Dix kilomètres et 400 mètres de dénivelé positif partagés en notre compagnie sous un temps typiquement belge n’avaient été alors qu’une petite balade en terrain inconnu pour ce phénomène de l’ultra.
Moins charismatique qu’un Kilian Jornet, rendant une bonne tête à son compatriote François D’Haene, Xavier Thevenard, surnommé Pepino par ses proches, reste, comme beaucoup d’élites du trail, un gars simple, qui court avant tout pour le plaisir d’enfiler ses baskets dans des décors somptueux. Réservé au premier contact, le lauréat de l'UTMB 2018 se révèle cependant vite être un amateur de bons mots et des plaisirs de la vie. "Mes réserves de bières étaient vides. Voilà pourquoi je suis là…"
Plus sérieusement, comment un double (triple désormais) vainqueur de l’UTMB se retrouve à courir à la citadelle de Namur ?
"C’est ça qui est bien avec le trail. Il y a des opportunités qui se présentent et il faut en profiter pour rencontrer des gens et vivre des bons moments. Ici, je suis en Belgique pour passer un test à l’effort à Bruxelles, à l’ULB. Mais grâce à des contacts, je me suis retrouvé à Namur pour partager une sortie d’entraînement avec quelques personnes. Je trouve qu’il faut pouvoir profiter de ces opportunités pour échanger, partager. Courir dans d’autres paysages, c’est toujours sympa. Tout comme courir avec d’autres personnes, moi qui m’entraîne 99 % du temps seul. Je découvre d’autres accents aussi, c’est un peu comme une visite culturelle pour moi." (rires)
Faire les choses sérieusement mais sans vous prendre la tête, c’est un peu votre état d’esprit ?
"Oui, tu peux t’entraîner sérieusement et déconner et rigoler par ailleurs avec les copains. Ce n’est pas parce que tu as une démarche pro et des objectifs en tête qu’il ne peut y avoir du plaisir par ailleurs. Ce n’est pas contradictoire à mon sens. Cela vaut aussi durant la course. Si pendant 24 heures, on est plein gaz, tête baisée à jouer des coudes, ce n’est pas drôle. Le but n’est pas de se faire la guerre. Ce n’est pas dans l’esprit du trail. J’ai plein d’anecdotes en tête à ce sujet. Cette année à l’UTMB par exemple, j’étais avec François (D’Haene) et Kilian (Jornet) en arrivant aux Contamines. Il y avait des gendarmes présents avec leur véhicule pour éclairer le parcours. François n’a pas manqué de leur dire en rigolant qu’ils ne devaient pas stationner là sous peine de se prendre une amende. On en a bien rigolé sur le moment. On est dans la course mais ça ne nous empêche pas de partager quelques conneries en cours de route…"
Avec l’intérêt toujours croissant pour le trail, est-ce que ces valeurs qui font le succès et la renommée de la discipline pourront être conservées dans les années à venir ?
"J’espère en tout cas. Je pense que nous avons montré sur l’UTMB 2017, malgré le niveau du plateau, qu’on ne se prenait pas la tête. Ce n’est pas parce que c’est plus médiatique, qu’il y a plus d’attentes, qu’on doit changer. Se faire plaisir en montagne et parcourir de grandes distances sans se prendre la tête restent la base pour nous. La compétition doit rester un jeu. Ca reste du sport, il faut pouvoir relativiser."
Un sport qui est aujourd’hui votre vie cependant ?
"Non, pas tout à fait. Si je le voulais vraiment, ça pourrait être le cas. Mais je sais aussi que tout ça s’arrêtera un jour. Si cela arrive demain, je reprends mon activité d’éducateur sportif et je me lève à nouveau à 5 heures du matin pour aller m’entraîner. Car courir est avant tout une passion. Être dehors, dans la nature, c’est surtout ça que j’aime. Plus que la compétition qui n’est pas une finalité en soi."
La montagne est votre habitat depuis toujours. Vos aptitudes pour le trail sont à chercher dans le fait d’avoir grandi dans cet environnement ?
"J’en suis persuadé, de plus en plus. Avec mes frères, sœurs, on vivait dans cet environnement isolé. On était toute la journée dehors, pieds nus dans la neige l’hiver, à gratter la terre pour aller chercher les vers de terre. Forcément, ça forge un caractère. Et puis on a toujours été doué pour le sport, à faire des activités dans les bois pour aller voir le voisin le plus proche, à 3 km.. (rires) De ce que je me souvienne, j’ai toujours couru. Déjà à 10-12 ans, avec mon frangin, on faisait des grandes distances. On regardait la carte et on allait à l’autre bout juste pour découvrir un nouvel endroit. Ce que je fais aujourd’hui, c’est la suite logique de ce que je faisais quand j’étais gamin…"
En Belgique, ça aurait été donc plus compliqué.
"Probablement. Mais il y a sans doute des endroits plus isolés ici aussi… Et il y a des bons coureurs qui viennent de la ville. C’est surtout ce qu’on fait durant l’enfant qui influence la suite…"
"Faire l'UTMB et la Diagonale la même année, ce n'est plus possible"
"Mon but est de pouvoir réussir mes courses et de me faire plaisir. Si j’ai du plaisir et des sensations, cela veut dire que je suis en forme. Et si je ne suis pas en forme, je ne prendrai pas de plaisir et aurai de mauvaises sensations. J’aurais pu faire la course, mais en galérant. Cela ne m’intéresse pas. Je ne suis pas un pion qu’on place et à qui ont dit qu’il faut y aller. Il faut pouvoir être raisonnable et, là, ce n’était pas le cas. Déjà quand tu pars sur un ultra et que tu es bien, tu n’es pas certain de le finir. Alors là… Faire 170 bornes, ce n’est pas rien. On aurait dit ça il y a dix ans, beaucoup auraient crié au fou. Aujourd’hui, avec les allures qui sont de mise, enchaîner l’UTMB et la Diagonale me semble être devenu impossible."
De l'humilité à revendre: "Mon Grand Chelem? ça ne me fait ni chaud ni froid!"
Xavier Thevenard est le seul coureur à pouvoir se targuer d’avoir remporté les quatre courses individuelles de l’UTMB, soit la CCC, l’UTMB, la TDS et l’OCC. Autant d’abréviations qui font rêver bien des traileurs amateurs à travers la planète. Plein d’humilité, le Petit Prince du Mont-Blanc ne tire cependant pas une satisfaction démesurée de ce Grand Chelem. "Avant tout, j’aime être dans ces paysages autour du mont Blanc. Je suis comme un gosse devant ces montagnes et ça explique pour beaucoup ma réussite sur ces formats." Et d’ajouter : "Je ne me regarde pas dans la glace le matin en me disant que j’ai gagné les quatre courses du Mont-Blanc. Bien sûr, j’ai savouré chacun de ces succès. Mais le fait d’être le seul à avoir réalisé ce Grand Chelem, ça ne me fait ni chaud ni froid. Je suis content, satisfait, mais je n’en éprouve pas une fierté particulière. Il m’en manquerait une, je n’en ferais d’ailleurs pas une obsession."