Le 50-50 de Jean-Michel Saive: "Je ne serai pas en short à Rio, mais en bermuda"
Notre meilleur pongiste de tous les temps préface les JO 2016 avec la DH. Découvrez son interview en 50 questions !
- Publié le 01-08-2016 à 11h57
- Mis à jour le 03-08-2016 à 13h52
Notre meilleur pongiste de tous les temps préface les JO 2016 avec la DH.
A deux jours d’un départ avec la majeure partie de la délégation belge pour Rio (il s’est envolé le 25 juillet), nous avons rencontré Jean-Michel Saive à Crisnée en terres liégeoises dans un café-resto spécialisé en viandes situé sur la Grand Route. C’est un jean-Mi toujours aussi affûté et aux réparties tranchées qui a répondu durant une heure aux questions de la DH malgré un emploi du temps fort chargé… "J’ai mes enfants ce week-end et je dois encore organiser mon départ pour les JO… Les médias se sont réveillés après l’Euro et le Tour de France. Depuis quelques jours, les sollicitations sont nombreuses…" glisse-t-il un brin ironique au cours de la conversation.
1 | Comment fait-on pour gérer la pression d’un événement qui a demandé souvent quatre années d’efforts réguliers et intensifs pour quelques minutes seulement de compétition avec, au final, la possibilité d’une terrible désillusion ?
Les JO, c’est LA compétition… Toute l’attention est focalisée sur un événement qui permet à certains sportifs de produire des prestations incroyables, tandis que pour d’autres l’enjeu sera paralysant alors qu’ils sont bons et réguliers le reste de l’année. La difficulté réside dans ce rythme de quatre ans. Vous n’êtes évidemment plus le même qu’au moment où vous avez entamé votre préparation. Certains repères sont là mais ils sont moins évidents que pour des championnats d’Europe ou les Mondiaux, plus réguliers. On a l’impression, vu de l’extérieur, que les athlètes sont mis dans des conditions optimales pour se transcender. Mais les athlètes n’y bénéficient pas de leur entourage direct. En effet, il s’agit du kiné et du docteur de la délégation. Ils vivent au village avec l’ensemble des athlètes et non dans un cocon à l’hôtel… Ce n’est pas évident. La clé de la réussite se trouve dans l’organisation d’une série de réunions préparatoires.
2 | Il faut une force mentale conséquente pour ne pas craquer…
C’est un élément important mais je le répète une présence aux Jeux Olympiques demande surtout une préparation et des réunions minutieuses. Pour une première expérience, cela représente un choc pour l’athlète.
3 | Comment un sportif peut-il profiter pleinement d’un tel rassemblement ? Est-il possible de prendre un peu de plaisir malgré la concentration maximale ?
Pour les plus forts qui parviennent à gérer et équilibrer le besoin de concentration total et le ressenti, c’est une expérience inoubliable ! Les JO sont en fait l’addition de toute une série de petits détails qui peuvent perturber l’athlète dans sa performance. Ceux qui parviennent à mettre en place un système on-off partent avec un avantage.
4 | Comment faire pour ne pas arriver "cramé" aux JO et passer tout à fait à côté de son sujet ?
Cela dépend du sport mais aussi de la manière et du timing de la qualification… Si la course au ticket ne s’achève que quelques semaines avant les JO, dans le rush, c’est plus problématique d’un point de vue physique et psychologique. Mais on connaît des athlètes qui vont poursuivre sur leur lancée de la qualification et être également performants aux JO.
5 | La Belgique envoie 109 athlètes à Rio. C’est quatre de plus qu’à Londres et pas très loin du record de Montréal (110 en 1976). C’est un bon nombre pour notre pays ?
Vu les moyens mis à disposition des athlètes chez nous, c’est plutôt pas mal… Un rappel d’abord : le COIB a décidé de ne plus retenir des critères de sélection plus élevés que les critères internationaux pour ces olympiades au Brésil. Avant, la barre était extrêmement haute et les perspectives limitées. La barre est donc plus basse et dans la majorité des sports les critères internationaux sont corrects. On constate dès lors que cela n’a pas forcément explosé le nombre d’athlètes belges qualifiés. Malgré les efforts des Communautés en Belgique, force est de constater que le sport ce n’est pas une priorité dans la société. Je peux le comprendre. Moi, je constate que le sport a un effet bénéfique sur les liens sociaux, sur le mental et le physique des gens. Il y a donc un décalage entre la manière dont le sport est considéré et la façon dont il est traité.
6 | Est-ce qu’il y a des scènes, des choses que l’on ne voit qu’aux JO ?
De la détresse, de la joie, de la tristesse, du bonheur… Toutes sortes d’émotions sont présentes aux JO. Et la fin de la compétition est toujours synonyme d’une petite dépression chez le sportif. C’est vraiment un aboutissement et la fin de quelque chose. Quatre-vingt pourcents repartent chez eux sans aucun résultat dans leur valise…
7 | Nos collègues de Sport Magazine ont calculé que chaque mois de préparation entre deux JO ne rapportait finalement qu’une centaine d’Euros pour un athlète atteignant une finale (5000 euros de prime). Dérisoire ?Dans l’absolu, même 50.000 euros bruts pour un médaillé d’or, cela ne pèse pas très lourd… Vous n’achetez pas un appartement avec une telle somme. Cela ne protège pas vraiment celui qui a consacré sa vie à sa discipline. Il faut se montrer intelligent pour gérer résultats, image et sponsors éventuels. Si c’est le cas, la spécificité du marché francophone belge et sa taille n’assurent pas non plus d’incroyables revenus issus du marketing.
8 | Sans devoir atteindre les sommes astronomiques comme en football ou en tennis, est-ce que la rémunération des athlètes ne pose pas problème ?
Tout le monde a les yeux braqués sur les footballeurs, quelques tennismen ou coureurs cyclistes… Une médaille aux JO n’ouvre pas forcément toutes les portes et a une durée de vie limitée. Demandez à Lionel Cox ce qu’il en pense. C’est, ne le cachons pas, une difficulté en Belgique et ailleurs. Aux JO, 90% des athlètes gagnent très peu leur vie… Un contrat Adeps, c’est un plus mais cela s’arrête après un an ou deux.
9 | Quand on doit à ce point varier les sources de revenus : COIB, Adeps, sponsors, crowfunding pour maintenir la tête hors de l’eau, est-ce que cela ne dévie pas du but initial : se focaliser à 100% sur son sport ?
C’est la vie de la grande majorité des sportifs professionnels… Beaucoup aimeraient ne fût-ce que pouvoir profiter du salaire d’une moitié de semaine d’une star du ballon rond. Ils travaillent tout aussi dur pour y arriver et essayer de s’y maintenir.
10 | Ce n’est pas en football qu’on aurait l’exemple du gymnaste hollandais Zonderland, médaillé d’or à Londres et chirurgien…
Les exemples sont nombreux et au sein même de la délégation belge aussi. En communauté française et au sein des fédérations, une attention particulière est portée sur l’après-carrière. On encourage vraiment les jeunes à prendre cet aspect en compte. La poursuite d’études s’inscrit là-dedans évidemment. La durée de l’activité d’un grand sportif s’est rallongée. Federer n’a-t-il pas 35 ans ? Entamer, étaler et finir des études tout en menant une activité sportive de haut niveau est plus qu’avant de l’ordre du possible. C’est la garantie d’une sécurité lorsque les projecteurs seront éteints.
11 | Dans cette sélection, il n’y a qu’une équipe, celle de Hockey avec seize participants. Trop peu ?
Précisons d’abord que cette délégation belge est formée aussi de ‘sous-équipes’ comme le relais natation, le 4x400m en athlétisme… Ensuite, vu la réalité belge au niveau institutionnel, cela ne favorise sans doute pas l’émergence d’équipes. Les filles se sont aussi qualifiées à l’époque en hockey et les Diablotins ont fait un beau parcours à Pékin. Je doute que les JO soient la priorité de l’Union belge aujourd’hui.
12 | Nous serons aussi représentés dans 18 disciplines sur 28. Est-ce un bilan positif selon vous ?
Oui, c’est très bien…
13 | Avec une majorité sélectionnée en athlétisme (27% du total) tout de même…
La Belgique s’offre même un belle découverte au poids avec Milanov. Une discipline qui ne concernait pas tellement notre pays jusque-là... C’est agréable aussi d’avoir une sorte d’électron libre dans un sport moins porteur chez nous et qui est susceptible de faire de bonnes choses.
14 | Est-ce qu’il y a des disciplines tout simplement impensables ou inabordables pour les belges ?
Si vous prenez l’exemple des JO d’hiver, le Belgique a quand même monté un projet bobsleigh… Sport pour le moins anecdotique chez nous ! Avec de la volonté, tout est toujours possible. Mais c’est une réalité que l’absence de tradition dans une discipline sportive bien précise n’en favorise pas le développement.
15 | Avez-vous des coups de cœurs dans cette sélection belge 2016 ?
J’en ai 109… (Il sourit) Ce sont tous des gars et des filles qui ont absolument tout donné pour vivre ce rassemblement à Rio et qui vont tout donner pour se faire une place au soleil.
16 | Une attention particulière doit-elle être portée sur un pourcentage suffisant de "petits nouveaux" qui découvrent les JO ?
C’est une question plus compliquée qu’il n’y paraît… Avec les nouveaux critères que j’ai évoqué, la base a été élargie à d’autres athlètes. Mais, cela ne doit pas être au détriment des sportifs qui ont le plus de chances de réaliser quelques chose, une médaille éventuellement. C’est un jonglage entre le besoin de se régénérer et la nécessité d’accorder une attention particulière au top de nos sportifs pour les mettre dans les meilleures conditions. C’est une balance à trouver au sein du staff du COIB.
17 | Votre pronostic au niveau de la récolte de médailles belges ?
Je ne suis pas la bonne personne à qui demander un pronostic… Je ne vais pas parler de médaille. J’attends surtout qu’ils donnent le meilleur d’eux-mêmes. La médaille, le podium, le top 8 ou un record individuel viendra naturellement ensuite.
18 | Michael Phelps, Usain Bolt, Teddy Riner, Ashton Eaton… Autant de stars qui ont déjà la trentaine ou qui y arrivent. Qui sont les grandes stars de demain selon vous ?
On va en découvrir certainement à Rio. Tout comme des grands noms vont sans doute passer à côté de leur sujet. Ce sont les grandes histoires de jeux. C’est la magie du sport.
19 | Vous avez des sportifs que vous admirez à l’étranger ?
Comme tout le monde, j’admire des gars comme Bolt et Phelps qui sont tout simplement les rois dans les disciplines reines des JO. Je suis un peu déçu que le golf, qui fait son apparition au Brésil, sera privé de ses plus grands champions. J’espère que ce ne sera pas une occasion manquée pour ce magnifique sport de grandir aux yeux du public.
20 | Aucun pongiste n’est encore venu prendre la relève de Jean-Michel Saive aux JO… Que se passe-t-il dans votre sport au niveau belge?
Il faut savoir que nos juniors ont fait une médaille de bronze aux championnats d’Europe à Zagreb, en juillet dernier. L’avenir ne s’annonce donc pas trop mal. Maintenant, affirmer que l’on aura demain un numéro 1 mondial vu la suprématie de la Chine à l’heure actuelle, c’est plus hasardeux. Nos meilleurs jeunes ont 21 ou 22 ans alors que la moyenne d’âge en tennis de table aux JO est de 31 ans. Je suis convaincu que nous aurons quelqu’un à Tokyo en 2020. Au niveau de la fédération, il faut tout mettre en place pour qu’ils dépassent ce statut actuel de quatrième réserviste.
21 | Un athlète non professionnel sélectionné pour les JO a-t-il autant de chance qu’un pro de décrocher une médaille comme ce fut le cas à Londres avec Lionel Cox en tir ?
La réponse est dans la question. Oui, c’est possible. Pour Lionel, cela a été le tournoi de sa vie. Il était là au bon moment. Après, cela dépend aussi du statut du sport, de sa puissance médiatique, de son potentiel marketing… Tout cela déterminera si un sportif est un pro ou un semi-pro ou s’il doit aller travailler chaque jour comme Cox.
22 | Pour lui, pour eux, cela peut être un dur retour à l’anonymat une fois les feux des projecteurs éteints…
Je crois qu’il a bien surfé sur sa soudaine notoriété. C’est une discipline confidentielle au niveau de sa visibilité, c’est une évidence. Je pense que Lionel savait dès le départ à quoi s’attendre. Il ne s’imaginait pas gagner de l’or en barre du jour au lendemain uniquement grâce à la médaille. Il a fait le bon choix en continuant à travailler en dehors du sport. Est-ce que c’est injuste ? Je ne sais pas, la situation est telle quelle.
23 | Vous avez décollé lundi 25 juillet avec une bonne partie de la délégation belge. Mais cette fois, c’est avec un tout autre rôle, expliquez-nous.
C’est assez simple. Je suis candidat au poste de président de la commission des athlètes du CIO. Les 10.000 athlètes réunis à Rio vont voter pour 4 places parmi 24 candidats dont je fais partie. On peut penser que je pars faire campagne mais les règles émises par le COI pour communiquer et s’exprimer sont tellement strictes que ce sera assez limité. (NdlR : Saive est déjà président de la commission des athlètes en Belgique et au niveau européen).
24 | Vous serez proche des sportifs, vous les conseillerez éventuellement ?
Je ne loge pas au Village mais j’y ai accès libre en journée. Je reste complètement disponible si le chef de mission ou le staff ont besoin de moi pour conseiller ou encadrer un sportif.
25 | Comment allez-vous vivre ces premiers JO sans votre légendaire short ?
Vu le beau temps qui règne à Rio, ce sera au minimum en bermuda (rires). Ce qui est bien, c’est que j’ai un pass pour pouvoir m’entraîner dans ma discipline et me préparer en même temps à ma prochaine saison en Belgique. Je vais en profiter pour aller taper la balle quelques fois ! J’ai aussi droit à un ticket par jour dans différentes disciplines. Donc je vais aller voir le tennis, le golf, la natation, le judo… Je vais pouvoir me poser et observer tout cela sans le stress de la compétition.
26 | En tant que président de la commission des athlètes au COIB, à quoi allez-vous être spécifiquement attentif lors de la quinzaine ?
Je mettrai cette casquette à la demande du chef de délégation, Eddy De Smedt. Pour expliquer, par exemple, pourquoi il vaut mieux pour un athlète renoncer à la cérémonie d’ouverture si sa compétition se déroule le lendemain ou même le surlendemain. Ce n’est pas gai pour un sportif de rater un tel moment mais la fatigue engendrée peut s’avérer cruciale…
27 | Pourtant vous avez été porte-drapeau à deux reprises. Vous pouvez comprendre l’excitation des athlètes…
Exactement. Et la dernière fois, en 2004 à Athènes, j’ai mis trois jours à me remettre de crampes dues à être resté des heures debout à attendre avant de rentrer dans le stade. C’est donc en parfaite connaissance de cause et avec mon expérience que je peux conseiller les plus jeunes. C’est crevant une cérémonie d’ouverture !
28 | Rio 2016 sera un point de départ pour mettre des choses en place pour Tokyo 2020 ?
Après chaque Jeux Olympiques, une analyse est réalisée. Un exemple ? On passera en revue les critères de sélection qui ont été élargis pour Rio 2016. Nous verrons si nous étions dans le bon. La préparation, la vie dans le village, tout cela sera aussi scanné au retour en Belgique.
29 | Des rendez-vous sportifs que vous ne voulez absolument pas rater durant la quinzaine ?
L’aviron, l’athlétisme, le golf, le tennis de table… Il y en a 28, je ne vais pas tous vous les citer ! Bien sûr, je ne voudrais pas manquer les stars comme Bolt ou Phelps. Je serai aussi attentif à des sports moins mis en avant mais qui possèdent aussi de sacrés champions.
30 | Au niveau ambiance générale, ferveur du public et chaleur autour de l’événement, quels furent vos plus beaux JO ?
J’ai eu des frissons lors des sept JO auxquels j’ai pris part… C’est à Barcelone que je me suis le plus marré. C’était un peu le Club Med. Pas d’air conditionné, le village situé en bord de mer… Génial pour l’ambiance, plus compliqué pour la concentration.
31 | A contrario, quels JO auxquels vous avez pris part préféreriez-vous définitivement oublier ?
La réponse la plus personnelle est de pointer Atlanta en 1996. Probablement ma meilleure chance de décrocher une médaille. Donc, la déception était grande. Bon, j’y ai quand même été porte-drapeau de la délégation belge si je veux me mettre un peu de baume au cœur.
32 | Une anecdote que vous n’avez jamais racontée dans les médias et dont feriez le scoop à la DH ?
Celle des JO d’Athènes en 2004… J’étais porte-drapeau à nouveau. Il faut imaginer l’ambiance et le bruit qui entourent le stade plein à craquer. Nous attendions notre tour pour entrer en piste et j’observais un organisateur glisser un mot à l’oreille de chaque porte-drapeau. Je n’ai pas bien saisi ce qu’il m’a dit… En fait dans le couloir qui sépare la zone d’attente et l’entrée dans le stade, il fallait baisser le drapeau sous peine de rester accroché… Ce qui est arrivé évidemment. Mais un court instant heureusement. Donc, j’ai bien failli avoir l’air pas très malin devant des millions de téléspectateurs !
33 | Quels furent vos premiers souvenirs liés aux JO ? Des images gravées dans votre tête durant l’enfance ?
Nadia Comaneci dans les années 70 puis Carl Lewis pour la décennie suivante…
34 | De 2011 à 2015, vous avez toujours fait partie du top 10 des sportifs préférés des Belges selon un sondage réalisé par la DH et Dedicated Research. . Avec pour 2015 une 2e place derrière le Diable Kevin De Bruyne. A 46 ans, vous jouissez toujours d’une image et d’un capital sympathie intacts.
Je suis à chaque fois estomaqué de ma position dans ce classement… D’autant qu’ils ont été réalisés lorsque j’avais atteint les 40 ans bien après mon apogée dans mon sport. Surtout terminer juste derrière le phénomène des Diables Rouges, à mon âge, c’est fou ! Je suis content, honoré, reconnaissant… Merci !
35 | On le voit, les JO n’enthousiasment pas plus que cela au Brésil. Un pays en proie à de grandes inégalités sociales. Même débat qu’il y a deux ans avec le Mondial : trop d’argent investi dans un tel événement... Une polémique compliquée pour le comité olympique ?
J’étais à Rio début juillet. Il faut bien dire que sauf en certains endroits comme la plage de Copacabana ou le terminal de l’aéroport, c’était difficile de se dire qu’un mois plus tard l’un des plus gros évènements planétaires y prendrait place. Mais pour avoir parlé avec de nombreux Brésiliens, vous vous rendez compte que c’est un peu la mentalité de la dernière ligne droite. Le constat était pareil avec le Mondial en 2014. Si on se focalise uniquement sur les chiffres d’une telle organisation, cela donne évidemment le vertige… Mais réfléchissons plus loin : le bonheur, le rêve, les valeurs transmises par les JO doivent-elles être constamment ramenées à ce seul constat ? Je suis en rage lorsque la pureté, l’idéal olympique est anéanti par la tricherie, le dopage… A 18 ans, mon rêve a été anéanti après la finale du 100 mètres à Seoul entre Lewis et Johnson… Il n’y a rien de plus terrible.
36 | Exproprier des gens parfois à 40 kilomètres de Rio, vendre des places trop chers par rapport aux revenus des Cariocas, sécuriser avec grande violence les rues de Rio… L’idéal olympique est-il à ce prix ?
Le tableau n’est pas idéal, c’est entendu. Mais je ne peux pas accepter qu’on essaie de prendre en otage des sportifs qui ont cravaché durant quatre années. Je me suis rendu plus de trente fois en Chine. On m’a questionné sur les droits de l’homme à une seule reprise : lors des JO de Pékin. Il y a une grande hypocrisie. Exiger des sportifs une moralité et un comportement sans faille et continuer à n’acheter que du Made in China… Les athlètes voient déjà leur vie tellement contrôlée. C’est le seul groupe de la population à devoir révéler la moindre prise de médicament, dire où ils se trouvent et quand. En permanence…. Et la majorité gagne à peine sa vie. Au bout d’un moment, c’est bon !
37 | Lors de la mise en vente du dernier grand lot de tickets, les sports les plus demandés étaient le football, le beach-volley, le basket, le tennis et l'athlétisme. Des disciplines déjà ultra médiatisées. Comment amener le public vers d’autres sports plus confidentiels ?
Qu’on le veuille ou non, en fonction du pays organisateur il y a des affinités culturelles. Le tennis de table est fort suivi en Asie et le beach-volley à Copacabana, cela vous étonne réellement ? Parfois, il y a de bonnes surprises. A Londres, le tennis de table avait cartonné ! C’est aux fédérations à l’intérieur des JO de se battre pour se mettre en avant et bien utiliser cette vitrine. Il faut parfois se remettre en question et bouger les règles de jeu afin d’être le plus attractif possible aux yeux du public. N’oublions pas que 90% des gains enregistrés par le Comité olympique international sont reversés aux différents sports.
38 | En tant qu’événement médiatique rassemblant beaucoup de monde et pour les valeurs prônées, il est inévitable que Rio 2016 soit une cible potentielle pour l’Etat islamique. Vous y pensez ?
Je ne veux pas y penser… Avant l’Euro en France, on se posait tous la même question. C’est normal, les yeux de la planète sont rivés sur ce genre de rassemblement exceptionnel. On constate aussi que ce n’est pas forcément là où on les attendait le plus qu’ils frappent…
39 | Le village des athlètes pourrait être une cible…
Vu les forces déployées par la sécurité brésilienne, je pense que s’il y a bien un endroit où il faut être pour échapper à une attaque, aussi paradoxale que cela puisse être, c’est justement dans le village… On y est, a priori, plus en sécurité que dans un train en Allemagne ou dans le métro bruxellois. C’est fou…
40 | De tous vos JO lesquels étaient les plus sécuritaires ?
C’est Seoul qui m’a le plus frappé à ce niveau-là. Avec de nombreux barbelés positionnés autour du village olympique. Cela faisait d’ailleurs davantage penser à un camp qu’à un village…
41 | Un sport totalement sain et immaculé est-il objectivement possible ? Ou est-ce une attente utopique ?
J’espère que c’est envisageable... Impossible de contrôler tout le monde en même temps. Je pars du principe que la majorité des grands sportifs dans l’ensemble des disciplines sont clean. Je me rends compte aussi que je devais être un grand naïf. Je suis abasourdi du nombre de cas détectés récemment. Au moins, lorsque je me regarde dans le miroir, je peux être fier de ma carrière et de ma longévité au plus haut niveau.
42 | Est-ce vraiment souhaitable, si l’on ose une question un peu provocante ?
C’est probablement utopiste. On y arrivera sans doute jamais totalement. C’est aussi le reflet de l’évolution de la société. On progresse rapidement dans le secteur des médicaments, dans la recherche. La science est parvenue à cloner un animal, pourquoi pas un homme d’ici quelque temps ? C’est dans l’état d’esprit de reproduire quelque chose de parfait. Mais je refuse de me laisser emporter par le discours qui veut laisser le dopage proliférer. C’est la solution de facilité. C’est dire je ne veux rien voir, laissons-les se doper...
43 | Tout au long de votre longue carrière internationale, avez-vous été pris de doutes concernant les athlètes russes quelle que soit leur discipline ?
J’ai encore connu le bloc de l’Est… A cette époque, beaucoup de doutes et de questions se posaient par rapport à certains records. Il n’y avait pas que les Russes d’ailleurs. C’est plus frappant quand cela concerne le chrono, le temps. Dans les disciplines plus techniques, c’est moins évident. Les sportifs qui pratiquent l’athlétisme ne seront pas tout à fait d’accord avec moi, mais lorsque la performance est globalement basée sur le physique, il y a plus de danger.
44 | On parle effectivement d’une centaine de cas au niveau de la fédération russe… Comment faire pour limiter la casse dans l’esprit du public, comment combattre les "tous dopés" qu’on entend trop souvent ?
Pour le sport et les JO, c’est une nouvelle dramatique… Cela anéantit une part du rêve. Je crois en un sport plus clean et en une majorité de sportifs propres. On demande toujours plus d’éthique aux sportifs sur et en dehors des terrains. J’ose espérer que cela va faire définitivement fuir les tricheurs.
45 | Crier au complot politique pour faire mal à la Russie et à Poutine, foutaise intégrale ?
(Il réfléchit longuement avant de répondre…) Ce qui est présent dans le rapport est inacceptable. En sport, tous doivent être sur un pied d’égalité avant la compétition. Être sur la même ligne de départ. Donc, il faut des sanctions. Je ne comprends pas, par contre, que certaines pressions aient été faites la veille de la sortie du rapport indépendant. C’est dommage et cela pose question. Les Russes sont-ils les seuls ou est-ce l’arbre qui cache la forêt ? Enfin, pour celui qui est totalement clean dans son pays mais qui paye les erreurs des autres en étant mis dans le même sac, c’est particulièrement inacceptable également. C’est très perturbant pour les sportifs. Psychologiquement, c’est rude de se dire qu’on s’est battu comme un fou dans un jeu de dupes…
46 | A qui faut-il en vouloir pour ce lamentable épisode de l’histoire de l’athlétisme et des JO ?
Ce qu’il faut surtout se dire, c’est qu’on va vers quelque chose de meilleur… Il faut changer de cap ! Nous vivons un moment de transition vers un autre futur.
47 | Le système actuel de suspendre d’office un athlète, de lui enlever son titre quitte à le blanchir ensuite, c’est un mal nécessaire ?
On est dans un processus aujourd’hui dans lequel la présomption d’innocence n’existe plus. Il faut parvenir à prouver son innocence, point barre. C’est dur de devoir se justifier en permanence à cause des tricheurs. Tout en sachant qu’un athlète, aussi propre soit-il, n’est jamais protégé à 100%. Si je m’offre une petite caïpirinha au Brésil et que quelqu’un en profite pour verser un truc dans mon verre, ce sera à moi de prouver les choses. Et, bien entendu, à cause de la suspicion et des dérapages des autres, personne ne me croira…
48 | Comment glisse-t-on selon vous vers cette tricherie ? L’appât du gain, la gloriole ?
Je n’en sais rien… Les raisons citées interviennent sans doute dans le processus de tricherie. Dans le cas qui nous concerne, on parle d’un gouvernement qui foule volontairement du pied l’éthique sportive.
49 | Pour la propreté des JO de Rio, vous vous montrez fataliste ou vous croyez en un sursaut général ? (La question a été posée avant la décision du COI de ne pas exclure le pays des jeux Olympiques de Rio, NdlR)
J’ai l’espoir que la grande purge ait fichu la trouille aux autres tricheurs… Je ne peux pas croire que tous les sportifs soient aussi bien organisés et entourés par un système de dopage. Ceux qui bricolent dans leur coin des choses pas très claires seront au moins refroidis par la perspective d’être démasqués. C’est mon espoir du moins…
50 | Un dernier mot sur ces JO 2016 ?
Espérons que ce sera une grande fête du sport et qu'on aura des Belges au top de leur forme pour se montrer aux yeux du monde. Je leur souhaite bonne chance !
Une interview de Laurent Depré