Organiser un tournoi eSport: les coulisses d’un événement bien huilé
De l’extérieur, les compétitions eSport paraissent fonctionner parfaitement. Le spectacle est présent, les joueurs et le public s’amusent, tout le matériel est en place et, sur les plus gros événements, les shows lumineux battent leur plein. Excepté quelques problèmes informatiques, rien ne pourrait rappeler au spectateur que tout repose sur un travail acharné, beaucoup de minutie et une grande expertise. Retour sur les détails de la réussite d’un événement eSport.
- Publié le 23-04-2018 à 16h27
De l’extérieur, les compétitions eSport paraissent fonctionner parfaitement. Le spectacle est présent, les joueurs et le public s’amusent, tout le matériel est en place et, sur les plus gros événements, les shows lumineux battent leur plein. Excepté quelques problèmes informatiques, rien ne pourrait rappeler au spectateur que tout repose sur un travail acharné, beaucoup de minutie et une grande expertise. Retour sur les détails de la réussite d’un événement eSport.
La première étape, lors de la création d’un événement, est de savoir sur quels jeux seront disputées les compétitions et où le tournoi se déroulera-t-il. "Il faut avant tout trouver une bonne salle, dans une bonne ville", explique Philippe Bouillon, qui organise des tournois avec sa structure eSport LouvardGame depuis de nombreuses années. "Si la ville n’est pas importante, centrale, connue, les joueurs ne se déplaceront pas. Ensuite, il faut s’assurer d’avoir des connections électriques et internet parfaites. Enfin, une bonne communication est capitale."
"Concernant les jeux", continue-t-il, "le constat est simple. On a d’un côté les classiques et de l’autre les nouveautés, ceux qui tentent de se faire une place. Le grand classique est Counter-Strike . Il est là depuis le commencement et sera, je pense, là pour toujours. Ensuite, on retrouve League of Legends , qui est néanmoins en grande perte de vitesse en Belgique. Enfin, je citerais FIFA , qui monte en puissance de manière spectaculaire. La preuve, tous les clubs professionnels de football s’y intéressent." Du côté des nouveautés, plusieurs facteurs peuvent influencer leur arrivée sur la scène eSport. "Pour certains jeux, comme les Battle Royale actuellement, c’est leur popularité qui nous oblige à nous y intéresser. Vu le nombre astronomique de joueurs, on doit suivre la tendance", avoue Philippe Bouillon. "Mais il est également possible que l’on ajoute un jeu à un tournoi parce qu’on a un bon partenariat avec un éditeur. C’est le cas d’Ubisoft, qui voulait vraiment travailler avec nous à propos de Rainbow Six Siege et ça nous a incités à intégrer le jeu lors de nos compétitions."
Les relations avec les sponsors et partenaires est particulièrement importante pour les tournois. Plus ils sont importants, plus les partenaires seront nécessaires … et attirés ! Sponsoring et partenariat sont souvent dissociés par les organisateurs de tournois. Les sponsors apportent un plus financier en échange de l’association de leur marque à la compétition mais ne s’y impliquent pas. Au contraire, les partenaires veulent travailler au plus proche de l’événement, dans une relation gagnant-gagnant. "Nous avons plusieurs partenaires qui nous aident de différentes façons. Les éditeurs peuvent nous aider à acquérir leurs jeux, où à les adapter à la compétition", certifie celui qui est aussi manage eSport du Sporting de Charleroi. "Mais les partenariats les plus précieux se tissent avec des acteurs de la logistique et plus particulièrement de la logistique informatique. Nous travaillons avec des partenaires locaux qui s’occupent, pour l’un, de nous apporter internet peu importe les conditions et l’endroit et, pour l’autre, de brancher correctement toutes nos machines en réseau et d’assurer un réseau stable et performant tout au long de l’événement. Ces chevilles ouvrières sont la clé de la réussite d’un événement." Il faut dire que, même si le matériel (loué ou possédé) est particulièrement important, une bonne infrastructure réseau est absolument indispensable à la bonne tenue d’une compétition d’eSport. Trop souvent, les joueurs professionnels, qui sont habitués à s’entraîner dans des conditions optimales, sont déstabilisés par des bugs et autres problèmes de serveurs. Ils s’en plaignent alors sur les réseaux sociaux et, au vu de leur incroyable popularité, il vaut mieux pour l’organisateur d’un événement ne pas recevoir ce genre de publicité négative.
Avec autant de postes de dépenses et, en plus, des cash prizes (récompenses financières) à offrir aux vainqueurs des compétitions sur les différents jeux, est-ce vraiment rentable d’organiser ce type d’événement ? "Pour les patrons des plus grands tournois, c’est évident. Le nombre de spectateurs et de sponsors leur assurent un revenu minimum qui, je pense, doit être assez élevé", analyse Philippe Bouillon. "Mais pour la majorité des tournois, ce n’est pas l’argent qui prime. Chez LouvardGame, nos événements sont à présent rentables mais nous réinvestissons tout dans la structure car nous avons une vision à long terme. Néanmoins le succès des tournois m’a permis de faire connaître mon travail et de pouvoir signer des contrats, notamment avec le Sporting de Charleroi. Un jeune créateur de tournoi eSport ne doit pas être motivé par l’argent. Mais s’il a la patience, l’ambition et la passion, il a beaucoup de chances de réussir."
La passion. C’est ce dont il est avant tout question lorsqu’on évoque l’organisation de compétitions eSport. Car tous sont des passionnés, des joueurs avant tout qui, pour la plupart, souhaitent mettre leur discipline en avant au prix de nombreux sacrifices. Financiers évidemment mais aussi personnels, de multiples week-ends dédiés aux tournois, de longues nuits blanches la veille d’une inauguration, pour régler les difficultés informatiques, la principale contrainte de ces tournois hors du commun. Pour tous, l’amusement des joueurs et la certitude de vouloir recommencer très prochainement sont les plus belles des récompenses. Et avec la montée en puissance de l’eSport, le meilleur reste certainement à venir !
La météo: le facteur inattendu
Lorsqu’on prévoit un événement de grande ampleur, on essaie toujours de prendre en compte tous les paramètres qui pourrait influer sur le bon déroulement de celui-ci. Mais parfois, on oublie un facteur auquel on n’aurait jamais pensé. "J'ai organisé un salon en 2004 à Luxexpo où on organisait plusieurs tournois sur PC et consoles. La première édition du salon ayant bien fonctionné, on a organisé une nouvelle édition en 2005, avec deux semaines plus tard les 25 et 26 novembre le même salon à Bruxelles au Heysel sur 5000 m²", commence Jean Gréban, consultant en événements eSport et organisateur de tournois. "Le vendredi soir à la fin du montage ont commencé à tomber les premiers flocons. Le lendemain, le pays était paralysé sous la neige. C'est arrivé une fois en quarante ans en Belgique à cette période de l'année. Pas de chance, on a fait que la moitié des entrées espérées, perdant pas mal d'argent et trop découragé pour lancer une nouvelle édition. Trois ans plus tard débutait un nouveau salon dans le même palais du Heysel : le célèbre Made In Asia."
La météo fait partie de ces facteurs qu’on oublie lors d’événements en intérieur. Pourtant, l’accessibilité du site de l’événement est extrêmement importante : si c’est impossible de s’y rendre, les entrées seront loin des totaux espérés. "J'ai eu quelques frayeurs quand cette année, où nous lancions nos premières qualifications du Circus E-Sport Tour à la Made In Asia, j'ai vu sur la route en allant au Heysel tomber quelques flocons de neige", continue Jean Gréban. "Cela dit, ça fonctionne aussi dans l'autre sens. Deux semaines plus tard, nous avions la première qualification au Casino de Namur, malgré une centaine de places spectateurs distribuées par plusieurs concours, nous avons eu nettement moins de monde qu’espéré. En effet, c'était la première belle journée ensoleillée de l'année, la météo y était donc sans doute aussi pour quelque chose."
Le bus du Sporting de Charleroi… bloqué par un joueur eSport !
L’organisation de tournois eSport n’est jamais de tout repos et même si on tente de prévenir le moindre incident, il est impossible de tout éviter. Ainsi, un jour, Philippe Bouillon, directeur de la structure LouvardGame et manager eSport du Sporting de Charleroi a connu une fameuse mésaventure. Alors qu’il organisait un tournoi FIFA au sein du Stade du Pays de Charleroi, il a été appelé en urgence par un responsable du Sporting. "Un joueur participant au tournoi avait, en fait, garé sa voiture devant le bus des joueurs qui devaient aller disputer un match de Pro League à l’extérieur", se souvient-il. "On a passé de longues minutes à trouver le propriétaire mais, dans un événement avec plusieurs centaines de participants, c’est très difficile. Et il ne fallait absolument pas que les joueurs arrivent en retard au match ! On a donc, avec plusieurs responsables du club, poussé la voiture sur le côté, malgré le frein à main. "
Aujourd’hui, Philippe Bouillon en rigole. "Mais sur le moment c’est vraiment stressant", confirme-t-il.