Nafi Thiam : "Il ne sert à rien de calculer..."
L’athlète de 23 ans sait que tout peut arriver dans les épreuves combinées.
- Publié le 08-08-2018 à 10h10
- Mis à jour le 08-08-2018 à 10h11
L’athlète de 23 ans sait que tout peut arriver dans les épreuves combinées. Deux jours avant d’entrer en compétition, et dans la foulée d’un entraînement matinal disputé sous un soleil de plomb, Nafi Thiam s’est présentée assez détendue devant la presse, à l’hôtel Maritim où la délégation belge réside à Berlin pendant la durée des Championnats d’Europe. L’occasion d’avoir une dernière conversation à bâtons rompus avec la championne olympique et du monde de l’heptathlon qui brigue à présent le titre européen.
Nafi, comment se sont déroulées vos dernière séances d’entraînement ?
"Tout va bien. Comme prévu, l’état de ma cheville, qui m’avait contraint au forfait à Liège, s’est vite amélioré après quelques jours. J’ai fait essentiellement de l’entretien dernièrement."
Êtes-vous arrivée à Berlin ce lundi dans l’état de forme que vous souhaitiez ?
"Je l’espère ! On verra ça jeudi et vendredi. Il n’y a pas d’autre moyen de le savoir que sur la piste. Maintenant il est de toute façon trop tard pour travailler certaines choses à fond. On y va avec le bagage que l’on a et on voit. Mais toute la saison s’est bien passée et j’espère une bonne performance."
Peut-on affirmer que votre plus grande adversaire dans cet heptathlon, c’est vous ?
"Oui, c’est en partie vrai mais je ne suis pas toute seule sur la piste, il y a d’autres très bonnes concurrentes qui sont certainement en grande forme. Mais je ne suis certainement pas à l’abri d’une grosse erreur moi-même."
La mésaventure survenue à Kevin Mayer au décathlon (trois essais nuls à la longueur), c’est votre hantise ?
"Ce n’est pas ma plus grande peur mais c’est toujours une possibilité. C’est ça qui fait que le sport est assez cruel, tout le monde travaille très dur pour les championnats mais certains vont tomber, d’autres se blesser et d’autres encore faire des nuls. Malheureusement, ça peut arriver à n’importe qui et une carrière où cela n’arrive jamais est très rare. Ça peut m’arriver à moi aussi mais il y a beaucoup de facteurs que l’on ne peut pas contrôler. C’est le sport."
Vu de l’extérieur, on se dit : "Mais pourquoi n’a-t-il pas assuré une marque ?" Expliquez-nous...
"Quand on est assis dans le public ou dans la tribune de presse, c’est facile à dire mais sur la piste, c’est une autre histoire. Tout le monde peut se retrouver en difficulté un moment. Cela ne tourne pas toujours comme l’on veut. Ce n’est pas la première ni la dernière fois que ça arrive à un athlète. Ce n’est pas juste un problème technique. Ce ne sont pas des maths. Ce n’est pas : ‘Tu pars d’une marque et si tu as mordu de 3 cm, tu recules de 3 cm ’. Il y a d’autres facteurs qui entrent en jeu. Je ne sais pas ce qui est arrivé à Mayer mais ça peut être beaucoup de choses : le vent, la chaleur, la pression, ton état de forme, les jambes..."
Pour en revenir à vous, y a-t-il un total dont vous vous dites qu’il peut vous assurer la victoire ?
"Je ne regarde pas les totaux de mes concurrentes. Je vise simplement la meilleure performance possible en fonction des conditions et je ne pense pas que l’on puisse dire à l’avance : ‘Avec ce total-là, je vais gagner .’ Quelqu’un peut avoir une journée incroyable ou évoluer en dessous de son niveau. Il ne faut certainement pas calculer à l’avance."
Vous dominez la discipline depuis deux ans...
(Elle coupe) "Oui, deux ans, donc deux championnats. C’est toujours la même chose : je ne reçois pas de points d’avance parce que j’ai gagné l’année précédente. Tout le monde part à zéro et peut avoir deux très belles journées comme ce fut mon cas à Rio alors que je ne dominais rien du tout jusque-là. Donc, cela ne veut rien dire. Et je ne pars certainement pas avec un excès de confiance. J’ai confiance en ce dont je suis capable de faire mais ce que les autres feront, je ne le maîtrise pas, cela ne sert à rien d’y penser."
Le cumul des titres olympique, mondial et européen, est une perspective qui vous stimule ?
"Ce n’est pas quelque chose qui a du sens. Ça veut dire quoi ? Que l’année prochaine, je ne serai pas motivée parce que j’ai déjà gagné le titre mondial ? Une carrière, c’est très court. Tout le monde est motivé pour tous les championnats et veut être à 100 % et performer chaque année."
Mais seules Carolina Klüft et Jessica Ennis ont réussi ce triplé simultané jusqu’à présent.
"Oui, ce serait un accomplissement incroyable, ce sont de très grandes athlètes, mais cela ne sert à rien d’en parler avant que je le fasse. Encore une fois, c’est sur la piste qu’il faut être capable de s’accomplir."
À quel moment serez-vous satisfaite ?
"Il faut vraiment voir le contexte. J’ai sept épreuves à faire et tellement de choses peuvent bien se passer comme mal se passer. On peut vite passer d’un sentiment à l’autre, alors la meilleure chose à faire c’est de ne pas avoir trop d’attentes, de procéder étape par étape et de ne pas se projeter trop loin. Aux championnats, le plus important c’est la place, je sais que j’en ai une à défendre sur le podium et l’objectif est de me rendre la plus difficile à battre."
"Le bronze à 19 ans, il fallait pouvoir le gérer"
La championne olympique avait décroché sa première médaille seniors il y a quatre ans
Lors de l’édition 2014 des championnats d’Europe, à Zurich, Nafi Thiam a décroché une médaille de bronze ("dédiée à mon coach, Roger, et à ma maman, qui est ma première fan") avec 6.426 points. Un premier podium chez les seniors qui allait en annoncer d’autres.
"C’est amusant que vous m’en parliez parce que je suis retombée sur les images dans mon ordi récemment et je trouve que j’ai fort changé, même physiquement", s’amuse-t-elle. "En quatre ans, beaucoup de choses ont changé."
Quels sont les sentiments qui vous habitent en revoyant ça ?
"Une première médaille à 19 ans, en tant que plus jeune heptathlonienne du plateau et pour ma première participation, c’était énorme parce que je ne m’y attendais pas. J’étais super fière, super contente. Maintenant j’ai 23 ans, je ne suis plus la jeune athlète qui monte et mon statut a changé, ainsi que la manière dont j’aborde les choses."
C’est-à-dire ?
"À l’époque, j’ai démarré la compétition en étant plus libérée. Je retournais dans mon coin discrètement après les épreuves, et je crois que ça m’a beaucoup aidée pour faire un podium. On n’attendait rien de moi (NdlR : avec le deuxième total des engagées, on lui parlait pourtant déjà de médailles) ."
Auriez-vous cru, à l’époque, que vous alliez devenir l’athlète que vous êtes devenue aujourd’hui ?
"Non, je ne réfléchissais pas à ça, je ne pensais pas aux médailles, à combien je pourrais en avoir. J’ai toujours pris les choses comme elles venaient, l’une après l’autre, en pensant à ce que je pouvais mettre en place pour continuer à évoluer positivement. Je pense que c’était la bonne méthode, et je suis contente que ça ait payé. Vous savez, une médaille de bronze à 19 ans, avec un certain potentiel, c’est une situation qu’il fallait réussir à gérer."