Jonathan Sacoor ou l’itinéraire d’un enfant doué
Soi-disant trop petit pour la hauteur, l’athlète originaire de Beersel s’est tourné vers le 200, puis le 400 m.
- Publié le 29-08-2018 à 19h04
- Mis à jour le 03-09-2018 à 12h49
Soi-disant trop petit pour la hauteur, l’athlète originaire de Beersel s’est tourné vers le 200, puis le 400 m. En un peu moins d’un an, entre le 22 juillet 2017 et le 13 juillet 2018, et un peu plus d’une seconde, entre ses 46.23 à l’ Euro juniors de Grosseto et ses 45.03 au Mondial juniors de Tampere, Jonathan Sacoor est passé de l’ombre à la lumière, des coulisses au premier rôle sur la scène internationale de l’athlétisme.
Mais, si le temps est passé si vite, Jonathan, lui, a pris le sien, intégrant notre relais 4x400 m sur la pointe des pieds, mais à longues foulées.
Ainsi, début mars, à Gand, était-il encore assis dans un fauteuil, un peu à l’écart, laissant parler Jonathan, Kevin et même Dylan, les tauliers de l’équipe. Lui, le petit nouveau n’avait pas pris ombrage du peu d’attention marquée à sa personne par les médias présents.
Et pourtant, l’athlète originaire de Beersel a réussi la gageure de passer du statut de réserviste à celui de titulaire des Belgian Tornados en un peu plus de six mois !
Observateur à Londres
Pour lui, tout a commencé l’an dernier, quand Jacques Borlée lui a proposé d’accompagner le relais au Mondial londonien. "Je ne devais pas courir, juste observer. Et j’ai beaucoup appris, notamment comment on gérait une compétition de haut niveau avec tout le stress qu’elle sous-entend. Mais j’ai été surpris… En fait, tout s’est passé naturellement. Ce fut une formidable expérience."
Et celle-ci lui a bien servi quand, à Birmingham, il se retrouva en chambre d’appel avec les Américains, sérieux, les Polonais, le regard méchant, et les Trinitéens, blagueurs. "J’étais mort de stress !", expliqua-t-il après la médaille de bronze décrochée par nos Tornados pour un centième devant les… Trinitéens, moins blagueurs.
Né le 1er septembre 1999, à Lot, Jonathan n’avait donc pas 18 ans quand Jacques Borlée, tombé sous le charme du jeune athlète, médaillé de bronze à l’ Euro juniors, le lança dans le grand bain. "Jonathan a du talent. En outre, malgré son âge, il n’est pas sujet au stress (NdlR : Ah bon ?) , ce qui est un énorme atout !"
En entendant ses paroles, Jonathan n’en croyait évidemment pas ses oreilles. "Franchement, je me suis demandé : ‘C’est de moi qu’il parle comme ça ?’ J’étais très flatté…"
Champion à Tampere et à Berlin
Mais il faut bien avouer que Maître Jacques avait vu juste puisque, dans la foulée, le jeune prodige fut sacré champion du monde juniors du 400 m, en 45.03, effaçant des tablettes nationales le nom de Fons Brijdenbach, auteur d’un chrono de 45.86 en… 1973. Puis, participant activement au sacre européen de notre relais 4x400 m à Berlin où le peu d’expérience accumulée lui servit encore quand le Britannique Hudson-Smith, qu’il était appelé à affronter, vint le trouver peu avant la finale en disant : "Félicitations pour ta médaille d’or en Finlande mais, maintenant, tu es dans la cour des grands ! Pas trop fatigué ?"
Eh bien non ! Une fois de plus, Jonathan Sacoor prouva qu’il était parfaitement capable de gérer la situation.
Enfant hyperactif
Venu à l’athlétisme à l’âge de 8 ans parce qu’il était un enfant hyperactif, Jonathan y a trouvé plus d’intérêt que pour l’école où il a étudié les sciences humaines. "En fait, j’ai commencé l’athlétisme à l’école, avec mes copains. Je participais aux cross interscolaires, dont je terminais toujours deuxième parce que je ne tenais pas la distance. Je partais à fond pendant 400 m, puis les autres me rattrapaient."
Ce n’est pourtant pas par le tour de piste que Jonathan, en fin d’études secondaires, se lança définitivement dans l’ athlé après avoir même pratiqué le judo ! "Je voulais devenir sauteur en hauteur, m’inscrire à la Topsportschool, à Gand, mais on a répondu que j’étais trop petit. Dites-moi qui, à cet âge-là, mesure 1,90 m ? En attendant, mon record à la hauteur est de 1,88 m et je suis passé au 200, puis au 400 m. Et j’en suis très heureux."
Présenté désormais comme la nouvelle pépite du tour de piste, Jonathan Sacoor garde néanmoins les pieds sur terre, bien aidé en ça par son ex-entraîneur, Jean-Marie Bras. "Il me dit toujours de ne pas voir trop loin, surtout quand j’évoque les Jeux Olympiques, le rêve de tout athlète. Je sais que ma technique n’est pas encore parfaite comme, par exemple, quand je cours avec le bassin vers l’arrière, ce qui cause une perte d’énergie. Mais je ne suis pas en retard pour corriger ces détails. La technique, d’abord, la musculation, ensuite, parce que, là, je ne suis nulle part. Vous voyez, j’ai encore une marge de progression."
Un père sprinter
Il n’empêche, au contact de Jonathan et Kevin Borlée, le jeune homme encore un peu frêle, un peu timide, a rapidement appris et, surtout, il court vite comme en témoignent ses chronos. Sans doute tient-il de son père, Portugais, né au Mozambique (ce qui explique son teint de peau…), alors que sa mère est néerlandaise. "Mon père était un bon sprinter. Il a décroché quelques titres nationaux sur 100 et 200 m. Mais il était plutôt relax. Il ne s’est jamais pris au sérieux. Ma sœur, Naomi, de trois ans mon aînée, et moi avons d’ailleurs été éduqués comme ça. Mes parents ne m’ont jamais poussé ni aux études ni en sport."
Victime d'un homejacking à l'âge de 8 ans
L’un des trois malfrats a tiré sur son père qui en a gardé des séquelles à vie
Il y a dix ans, bientôt onze, un fait divers a marqué la Belgique, en général, et la famille Sacoor, en particulier. Ainsi, dans la nuit du 3 au 4 décembre 2007, trois malfrats se sont introduits au domicile des Sacoor, à Lot, dans le Brabant flamand.
Ayant entendu du bruit, Ismaël, le père, est tombé nez à nez sur l’un des hommes cagoulés cherchant à pénétrer dans la chambre de ses enfants. Le chef de famille prit trois balles dans le corps. "L’une d’elles a atteint un nerf et, aujourd’hui encore, je dois m’aider d’une canne pour me déplacer…", raconte-t-il. "La douleur physique ne partira jamais. Et je ne pourrai, bien entendu, jamais oublier ces événements."
Si le fait divers a ému le pays, c’est parce que, quelques minutes après le homejacking sanglant, les auteurs ont été pris en chasse par des policiers. Ils ont également tiré sur eux, tuant Kitty Van Nieuwenhuysen et blessant Peter Van Stalle.
Au procès, Jonathan est apparu aux côtés de ses parents alors qu’il n’avait que 8 ans. Les trois auteurs ont été condamnés à trente ans de prison chacun.
S’il préfère éviter la question, qu’on lui a (trop) souvent posée, des conséquences de cette affaire sur lui, Jonathan répond toujours poliment. "C’était effrayant ! Mais je n’en dirai pas plus parce que je ne m’en souviens pas plus que ça. Je préfère regarder vers l’avenir que me retourner vers ce passé."
Dont acte.
Le mémorial comme cadeau
Il mourait d’envie de courir pour fêter ses 19 ans, samedi, et sa "folle saison"
Pour la première fois de sa jeune carrière, Jonathan Sacoor affrontera les frères Borlée, sauf Jonathan. Et ce, au Mémorial Van Damme où ce sera également une première pour lui !
Un beau cadeau d’anniversaire puisque l’athlète de Beersel fêtera ses 19 ans le lendemain. "Et pourtant, j’ai dû insister auprès de Jacques pour pouvoir m’aligner ! Il a finalement compris que j’avais vraiment envie de terminer en beauté, devant le public belge, cette folle saison. Je m’entraîne avec lui depuis deux ans et je sais qu’il ne veut pas me brûler . Mais, là, je voulais absolument être au départ de ce 400 m."
Avant de se lier avec Jacques Borlée, Jonathan Sacoor était entraîné par Jean-Marie Bras qui le conseille d’ailleurs toujours un peu. "Jean-Marie m’a appris les bases. Il croit énormément en moi à tel point que certaines de ses déclarations ont, disons, marqué Jacques. Mais je pense que c’est avant tout de la fierté."
En janvier, Jonathan Sacoor s’envolera pour les États-Unis et l’université du Tennessee, à Knoxville. "J’ai reçu beaucoup de propositions d’universités américaines. J’avais donc l’embarras du choix ! Si j’ai opté pour celle du Tennessee, c’est parce que j’aurai l’occasion de m’y entraîner avec Ken Harnden, l’entraîneur qui a guidé Jonathan et Kevin à l’aube de leur carrière."
Les Borlée l’ont, en effet, côtoyé en Floride, mais Ken Harnden vient de déménager un peu plus au nord. "Jacques le connaît. Je suivrai d’ailleurs toujours ses plans d’entraînement et son programme de compétitions, l’objectif étant d’être prêt pour les relais mondiaux, en mai, aux Bahamas."
L’Université du Tennessee est réputée pour ses sprinters puisque Justin Gatlin et Christian Coleman y ont tous deux été formés. Quant aux études… "Je ne sais pas encore. J’hésite entre management sportif, marketing et physiothérapie. On verra…"
Le sport, et en particulier l’athlétisme, a décidément toujours primé sur les études chez Jonathan Sacoor…
Jacques Borlée, son coach actuel: "Il peut avoir une carrière exceptionnelle"
"La grande qualité de Jonathan Sacoor, c’est qu’il assimile très vite les consignes, techniques et de positionnement, et qu’il arrive à les mettre en pratique dans des situations de stress. Il fait preuve d’une grande abnégation. Et puis, il a une formidable souplesse, une élasticité musculaire naturelle que l’on essaie de rendre performante d’un point de vue biomécanique. Il travaille avec beaucoup d’intelligence. J’évite de surcharger son programme parce qu’il ne faut pas bloquer, fixer les articulations en répétant les courses. La progression n’en sera que plus difficile. On le préserve encore d’un point de vue musculation, il ne soulève pas trop lourd, parce qu’il a encore des défauts techniques. Mais il progresse énormément sur tout ce qui est sensations, perception des choses. Le comparer à Kevin et Jonathan ? Il a moins d’endurance, mais plus d’élasticité. Mais au top niveau, cela se joue aussi beaucoup dans la tête, et il est surtout important de bien préparer le futur, de bien structurer les choses et de le mettre au centre de nos préoccupations. S’il garde les pieds sur terre, il peut avoir une carrière exceptionnelle. S’il est capable de monter un jour sur un podium mondial sur 400 m ? Oui, absolument ! Ce qui est génial, c’est qu’il garde les pieds sur terre. Il écoute, il applique les choses, il s’est fondu dans le groupe de façon idéale et il apprend énormément de Kevin et Jo . Il est très respectueux d’eux, de leur carrière, et ce qu’on vit est très, très fort. Il a une tranquillité qui est belle à voir. Son défaut ? Il regarde l’ordinateur trop tard le soir !"
Cédruc Van Branteghem (ex-recordman de Belgique du 400m): "Son talent saute au yeux"
"Il est difficile de dire jusqu’où Jonathan Sacoor peut aller. Ce que je trouve fantastique, c’est qu’il ait la lucidité de recueillir des avis sur son évolution - ce qu’il a fait avec moi - et solliciter des conseils pour l’orientation à donner à sa carrière. Je lui ai surtout dit de garder la tête froide et de s’éviter toute pression inutile. Pour le reste, son talent saute aux yeux, il a une vitesse naturelle extraordinaire. S’il fallait le comparer à quelqu’un, je dirais peut-être Wayde van Niekerk. Il est assez grand, élancé et pas trop musclé. Mais c’est à lui de tracer son propre chemin et il me semble suffisamment bien entouré pour réussir une belle carrière. Intrinsèquement, il peut certainement envisager de courir des chronos aux alentours de 44.50, voire moins."
Jean-Marie Bras, son ancien coach: "Jonathan est un garçon en or"
"Au sein du groupe d’entraînement dirigé par Jacques Borlée, Jonathan est arrivé dans le meilleur endroit possible pour son développement. Je suis content de l’y avoir amené. Et j’avoue que je suis très heureux également de pouvoir l’accueillir encore de temps en temps, à Hal, lorsque Jacques me le demande ! Je ne suis pas un entraîneur professionnel et ma fierté est d’avoir contribué à ce que Jonathan atteigne le chrono de 46.21 qui était son record de l’époque. C’est un vrai diamant. Et un garçon en or aussi ! Il a les pieds sur terre, il est désireux d’apprendre et c’est un travailleur. S’il est épargné par les blessures, il peut, sans exagérer, devenir le meilleur athlète belge de l’histoire."