Anne D'Ieteren, présidente du Comité paralympique belge: "Faire naître des vocations sportives"
- Publié le 19-03-2018 à 11h07
- Mis à jour le 19-03-2018 à 12h41
Les Jeux Paralympiques de Pyeongchang se sont clos ce dimanche. Historiques pour la Belgique, avec une première médaille féminine, ils ont ravi Anne d’Ieteren, la présidente. Présidente du Comité paralympique belge depuis 2009, Anne d’Ieteren, qui occupe le même poste à la Ligue handisport francophone, est une femme heureuse. Présente à Pyeongchang depuis le début des Jeux, l’ancienne cavalière a vu couler sur ses joues quelques larmes lors de la médaille de bronze des sœurs Sana. Posée dans un fauteuil du lobby d’un hôtel lors d’une réception en l’honneur des officiels venus en Corée du Sud, cette dirigeante au caractère bien trempé a pris le temps pour évoquer la santé du handisport belge…
Anne d’Ieteren, comment se porte le handisport en Belgique ?
"Je pense qu’il se porte de mieux en mieux. Grâce aux médias qui y portent un peu plus d’intérêt, la population est plus au courant et peut suivre plus facilement les performances des athlètes. J’espère que cela permettra de voir naître des vocations sportives chez des personnes en situation de handicap. Depuis les Jeux Olympiques de Londres, c’est évident qu’il y a eu un grand boum tant au niveau international qu’au niveau national. Maintenant, mettre les gens au sport et trouver des talents, c’est un travail supplémentaire. Comparé à nos voisins, il est clair que les moyens financiers libérés sont loin d’être suffisants pour réaliser tout ce qu’on ambitionne de faire. Et cela reste pour l’instant le problème de notre pays."
Ce discours par rapport aux moyens financiers investis dans le sport, on l’entend aussi pour les sportifs valides ?
"Je pense que, quand on compare la Belgique à d’autres pays, on perd beaucoup d’énergie sur de nombreux terrains qui n’ont rien à voir avec le sport. Souvent, il faut le reconnaître, on utilise le sport quand c’est intéressant de l’utiliser. Il y a des progrès, c’est clair, mais on ne fait pas assez pour promouvoir le sport alors que tous les ministères disent bien que le sport est bon pour la santé. Je suis persuadée que si plus de gens bougeaient ou pratiquaient du sport, cela coûterait moins cher aux mutuelles et donc à l’État."
Pour vous l’important au niveau du handisport est-il de travailler à la base pour faire venir des gens dans les clubs ?
"Oui, car souvent, quand on a un handicap, on a tendance un petit peu à se replier sur soi-même. Toutes les personnes handicapées devraient avoir la chance comme tout le monde de faire du sport, de pouvoir s’intégrer dans des clubs sportifs. Pour cela, il faut aussi développer les moyens d’accessibilité dans les centres sportifs, dans les clubs. Et c’est un problème actuel. On doit pouvoir aider plus toutes ces personnes à pouvoir bouger, à s’intégrer dans la société par le sport, par la musique ou par l’art. Il faut les sortir de leur confinement."
Est-ce que l’exemple d’Éléonor Sana qui a commencé le handiski de haut niveau il y a quatre ans et participe aux Jeux cette année doit servir à d’autres ?
"Cela me fait sourire quand on dit que cela fait quatre ans qu’elle fait de la haute compétition. Avant cela, elle skiait depuis qu’elle était toute petite et sa famille lui a fait faire du sport dès le plus jeune âge intensivement. Ce qui lui a permis après d’avoir été en contact avec la Ligue handisport et d’être ici. Quand on a le talent et le moral pour le faire et qu’on met les conditions d’entraînements, de loisir, on peut arriver à la haute compétition en fonction du handicap que l’on a. Ce qu’ont réussi les sœurs de glisse [NdlR : le surnom donné à Éléonor et Chloé Sana, sa guide] cela n’arrive pas tous les jours ce genre de situation. C’est un binôme extraordinaire avec une confiance totale. Il ne faut pas croire que c’est en quatre ans qu’on va faire un athlète paralympique. Il ne faut pas se méprendre. Pour arriver à ce niveau-là, il faut une préparation. On ne devient pas athlète paralympique en deux temps, trois mouvements. C’est un travail de longue haleine, c’est un entraînement général comme les athlètes valides. C’est le même encadrement, la même cellule qui est créée autour des athlètes. Quand je suis devenue présidente c’était cela mon objectif : que les sportifs de haut niveau valides ou pas puissent profiter d’une même structure de développement. Il n’y a pas de raisons que cela soit différent. C’est du sport de haut niveau et pas du récréatif. C’est pour cela aussi que l’intégration des personnes avec un handicap dans les fédérations sportives est si importante pour qu’elles puissent profiter des installations des clubs valides."
Quelle est l’évolution des sports d’hiver au niveau du handisport en Belgique ?
"C’est difficile, car on n’a pas de montagnes chez nous. Si on voulais développer le ski, il faudrait aller en France où dans des pays où la neige est plus présente que chez nous. Je pense que les sports d’hiver peuvent avoir un certain succès parmi nos jeunes car ils le pratiquent souvent en famille. Et les familles avec des enfants en situation de handicap essayent de leur faire vivre la même expérience. Cela donne peut-être des envies, des objectifs. En Belgique, on reste néanmoins limité. Il faut aller à l’étranger, avoir le courage de le faire et de quitter la Belgique un tiers de l’année au minimum. Et si on veut vraiment en faire son métier, il faut passer du temps dans les montagnes. C’est bien de se préparer en salle, mais rien ne remplace la montagne pour performer au plus haut niveau."
Est-ce qu’un des sports paralympiques d’hiver vous semble plus accessible pour les Belges ?
"Après les Jeux de Vancouver au Canada en 2010, j’avais rêvé de stimuler le curling et le hockey sur luge. Mais cela n’a pas encore vraiment pris. Il commence à y avoir du hockey, mais c’est peu professionnel. Il faut dire que, en Belgique, il n’y a pas beaucoup de patinoire. Le curling est un sport qui devient de plus en plus pratiqué dans les pays du monde. Pourquoi pas en Belgique ? Les sports de patinoire pourraient très bien être plus pratiqué. Il ne faut pas être dans un pays de neige pour cela. On voit aussi beaucoup de jeunes aujourd’hui qui partent dans les pays montagnards pour faire de leur passion un métier, donc peut-être qu’un jour on aura plus d’athlètes à ce niveau-là."
Vu toutes les conditions qui ne sont pas très favorables à l’éclosion de sportifs belges de haut niveau en sports d’hiver, la présence de Jasper Balcaen et des sœurs Sana à Pyeongchang relève-t-il du caractère exceptionnel ?
"C’est la même chose pour les athlètes olympiques. C’est la première fois qu’on avait une délégation de 20 athlètes. Pour arriver à faire une médaille, comme la fait Bart Swings ou les sœurs Sana, c’est exceptionnel. C’est important pour le pays et pour le sport belge d’être présents avec des athlètes capables de faire des performances. L’époque où on parlait juste de participer est révolue. Les Jeux Olympiques et les Jeux Paralympiques offrent des images fortes qui permettent de stimuler les gens à faire du sport. C’est pareil dans les sports plus médiatiques. Quand il y a une équipe qui fonctionne bien, cela pousse tout le monde à faire du sport. On l’a vu en tennis, par exemple, avec des filles comme Dominique Monami puis Kim Clijsters et Justine Henin. Après leurs performances le nombre de pratiquants a connu un boum extraordinaire. Cette même démarche peut s’appliquer aux sports d’hiver."
Vous pensez que les athlètes qui font du handisport de haut niveau peuvent faire naître des vocations chez les plus jeunes ?
"Les sœurs Sana ont découvert le ski après Sotchi [NdlR : Jeux d’hiver 2014] . Après Londres [ Jeux d’été 2012] on a eu beaucoup de jeunes qui sont venus. Je pense que depuis Londres on a vu un changement grâce notamment aux médias. Il faut que ceux-ci soient présents pour montrer toutes les aventures vécues par les athlètes. On a doublé le nombre de clubs et vu une augmentation de 30 % de nos membres après Londres et Rio. Les succès de nos athlètes stimulent la pratique sportive, c’est très clair."
Et, en ce qui vous concerne, quel est le feu sacré qui vous pousse à travailler pour la reconnaissance et l’évolution du handisport ?
"Je viens du monde olympique et, comme administrateur, j’ai suivi de l’intérieur les Jeux Paralympiques de 1996 à Atlanta. J’ai trouvé cela fabuleux ce que les athlètes réalisaient, c’est une leçon de vie journalière. Je pense que quand on a été athlète de haut niveau on se doit de rendre quelque chose à la société. J’ai la passion du sport paralympique et j’essaye de faire un maximum pour nos athlètes. Et je pense que la professionnalisation du sport de haut niveau pour les personnes à handicap entamée en 2008-2009 porte ses fruits. On a eu de nombreuses médailles aux Jeux de Londres et de Rio et maintenant à Pyeongchang. Je trouve toujours cela passionnant et je suis émue comme au premier jour avec les performances de nos athlètes."
Deux déceptions olympiques
Passionnée d’équitation, Anne d’Ieteren (66 ans) a été une cavalière de haut niveau dans sa discipline de prédilection, le dressage. Elle décrocha notamment six titres de Championne de Belgique consécutivement de 1977 à 1982 avec son cheval Juroto.
Ses multiples résultats internationaux lui ont offert une sélection pour les Jeux Olympiques de 1980 en URSS. Anne ne verra jamais Moscou car la fédération belge boycotta l’épreuve et lui retira sa licence.
En 1984, l’actuelle présidente du Belgian Paralympic Committee rata les JO de Los Angeles à cause d’une histoire politico-financière…
Deux grosses déceptions dans sa carrière sportive qui expliquent certainement pourquoi elle chouchoute au maximum ses athlètes…
Chloé Sana: “Quelque chose de grandiose”
Les Jeux Paralympiques se sont éteints ce dimanche par la cérémonie de clôture où Jasper Balcaen, qui a terminé 15e du slalom, a porté le drapeau belge. Une 12e édition, historique pour la Belgique, où Eléonor Sana, guidée par sa frangine Chloé, a décroché la première médaille paralympique féminine en s’adjugeant la 3e place lors de la descente en ski alpin.
Dimanche, les sœurs de glisse brabançonnes ont terminé par un 8e rang dans le slalom, après deux 6e place, lors du slalom géant et du Super combiné. “Nous étions venues aux Jeux avec l’ambition de ramener une médaille, nous avons atteint notre objectif. Ces Jeux resteront vraiment dans mes souvenirs comme quelque chose de grandiose” a dit Chloé avant de boucler sa valise.
Retour prévu en Belgique, mardi matin…