Bruno Thiry revient au Condroz: "Plus le public sera en sécurité, plus on fera du spectacle"
- Publié le 02-11-2017 à 11h45
Bruno Thiry fête les 20 ans de son premier succès. Six ans après une dernière participation hutoise qui s’était achevée prématurément avec la DS3 R3 suite au retrait des voitures de la marque PSA par respect envers la famille d’un spectateur décédé sur l’épreuve la veille, Bruno Thiry est de retour ce week-end sur les spéciales du Condroz. Un bien sympathique cadeau pour les spectateurs et pour l’équipage Thiry-Prévot reformé quinze ans après sa dernière participation et succès ici même.
"Normalement, je devais être responsable de la sécurité", confie celui que l’on surnommait Moustic. "Quand Yves Matton, patron de Citroën Racing, m’a proposé de rouler avec Stéphane et une DS3 R5, je croyais rêver. Et j’ai de suite accepté car je suis en manque. Cela fait un an que je n’ai plus disputé un rallye moderne, c’était le Tour du Luxembourg…"
Et vingt années tout juste qu’il a décroché la première de ses quatre victoires en bord de Meuse.
"Comme le temps passe vite. Je m’en souviens très bien. C’était avec la Subaru Impreza WRC Winfield, équipe de Gérard Magniette pour laquelle a d’ailleurs travaillé Yves. J’avais été battu par la Toyota de Freddy Loix pour sept secondes à Ypres et j’ai pris ma revanche ici. La première de mes quatre victoires en terre mosane avec quatre autos différentes. En fait, je suis un peu le Walter Röhrl du Condroz. Sauf que lui c’était au Monte-Carlo…"
Vainqueur de 2000 à 2002, Bruno se souvient surtout de sa bagarre jusqu’au dernier virage en 2001 avec la Skoda Octavia WRC face à la Peugeot 206 de Larry Cols.
"Un des meilleurs souvenirs de ma carrière. L’une des arrivées les plus serrées de ce rallye."
En 2003, il aurait pu ajouter un 5e succès à son palmarès mais il avait reçu des consignes et devait assurer le titre européen.
"Je me battais à la seconde à nouveau face à Freddy, mais Marc Van Dalen m’a dit que je devais absolument terminer pour assurer le titre européen. Dès lors, lorsque j’ai vu la pluie le dimanche, j’ai roulé petits bras pour ramener sagement l’auto."
Ce week-end, Bruno pilotera pour la toute première fois une DS3 R5, la voiture du Burton Racing que Craig Breen a imposée en 2016.
"Je n’ai jamais roulé en S2000 ni en R5. Je vais découvrir l’auto en tests ce jeudi matin. Je vais bien sûr essayer de faire les choses bien, de me faire plaisir, mais surtout de ramener la voiture en un seul morceau pour remercier Citroën et les gens m’ayant invité. À 55 ans, je ne vais plus prendre les mêmes risques que des Cherain, Abbring, de Mevius ou Duval. Le problème sera de trouver le bon rythme. Mais dimanche j’espère me rapprocher d’eux."
Un dernier mot à l’adresse des spectateurs : "Ce rallye est toujours très populaire. Il y a beaucoup de monde. L’an dernier, je me suis rendu sur les spéciales avec Nicolas Gilsoul et l’on a tout de même vu pas mal de gens mal placés. SVP, respectez les consignes de sécurité. Plus vous nous laisserez de la place, plus on se lâchera et on vous offrira du spectacle."
"J’ai eu beaucoup de chance"
Dix-sept ans de carrière dans le rétro : "Que du bonheur !"
On a souvent pensé, dit et écrit à l’époque que Bruno Thiry était un pilote talentueux mais malchanceux. Et pas seulement à cause de sa victoire injustement perdue sur l’Ile de Beauté. De ses débuts en Visa à sa mise à l’écart chez Subaru, le Saint-Vithois n’a pas toujours eu la réussite avec lui. Pourtant, avec le recul, notre premier grand ambassadeur mondial ne retient - quasiment - que du positif.
Bruno, si aujourd’hui vous deviez résumer vos 17 ans de carrière en quelques mots, que diriez-vous ?
"Que du bonheur ! J’ai eu la chance de pouvoir faire de mon hobby un métier. Pendant plus de dix ans, j’ai vécu de ma passion. Je n’ai jamais dû chercher de sponsors grâce à l’aide de mon frère Guy au début, président de mon club de supporters, puis de Michel et Henri qui négociaient pour moi car je n’ai jamais su me vendre. J’ai aussi toujours pu compter sur le soutien de mon épouse Arlette."
On oublie le côté malchance alors ?
"Cela fait partie du sport, je pense. J’aurais mérité de gagner la Corse, c’est vrai. J’ai surtout manqué de réussite quand je suis arrivé chez Subaru aux côtés de Juha Kankkunen et Richard Burns en 1998. À l’Acropole, j’étais 2e ou 3e à la fin de la première journée quand mon moteur a cassé. Même chose en Argentine, alors que celui de KKK n’avait aucun problème. Je suis arrivé chez Prodrive quand Pirelli était au creux de la vague. Du coup, David Richard a décidé de ne plus rouler sur asphalte et de se concentrer sur deux autos. J’ai donc été relégué sur le banc. J’étais chargé des essais de pneus. Mais vous savez, la chance ou la malchance, cela dépend parfois de la perspective dont on regarde un événement. En 2001, je dois abandonner en Argentine car un camion de pompier s’est renversé sur notre Skoda à la sortie du parc d’assistance. Malchance ? Oui, mais à 30 cm près, je ne serais plus là aujourd’hui pour vous le raconter. Donc on a quand même eu une bonne étoile ce jour-là. Idem pour Stéphane au Kenya lorsqu’il s’est blessé aux vertèbres suite à une mauvaise saignée. Pour le même prix, il aurait pu rester paralysé."
Aucun regret alors ?
"Zéro, si ce n’est peut-être de ne pas avoir pu débuter en Mondial dix ans plus tôt. J’avais 27 ans et ce week-end le fils Rovanpera a démarré au pays de Galles à 17 ans. Quand tu as dix ans de moins, tu es plus fougueux, tu prends plus de risques."
Encore un voeu pour la suite de votre vie ?
"Rester en bonne santé me suffirait amplement. Je ne veux pas vieillir dans un home, mais j’ai franchement perdu pas mal d’amis ces derniers temps. Partir à 38 ans d’un cancer, ce n’est pas normal. J’espère pouvoir profiter encore longtemps de ma famille, ma femme, mes enfants, mes amis et tous les gens que j’aime."
"La Corse ? Mon pire et meilleur souvenir"
"Ce Tour de Corse 1995 perdu à une spéciale de l’arrivée avec un roulement de roue cassé reste sans doute à la fois le meilleur et le pire souvenir de ma carrière mondiale. On avait dominé les Français Auriol et Delecour sur leur terrain. On allait offrir à la Belgique sa première victoire mondiale. Puis tout s’est écroulé. Les images de ma détresse ont fait le tour de la planète. Tout le monde était désolé pour nous. On était les premières victimes de la nouvelle réglementation interdisant l’assistance après chaque spéciale. Je ne suis pas sûr que si on avait gagné on en aurait autant parlé. Ni que cela aurait changé quelque chose à ma carrière. 22 ans après, je suis encore fier de ce que l’on a fait Stéphane et moi ce week-end. Même si on n’a pas la coupe sur la cheminée…"
Pilote d’essais pour pneus de route
Le métier au quotidien de notre ex-champion d’Europe
Après 17 ans de carrière en rallye, Bruno Thiry s’est reconverti depuis 2005 en tant que pilote d’essais pour les marques de pneumatiques Goodyear et Dunlop.
"Lorsque j’ai raccroché mon casque en tant que professionnel fin 2004 après trois magnifiques saisons avec la Peugeot 206 Kronos et le titre européen en 2003, je n’avais pas de quoi vivre sans travailler. Quand j’ai quitté mon emploi aux chemins de fer (NdlR : il révisait les moteurs qui avaient un million de kilomètres) au début de ma carrière de pilote, Sobelfa me payait l’équivalent de mon salaire pour rouler en rallye. Michel Lizin et le regretté Henri Sonveau ont négocié pour moi quelques beaux contrats avec Subaru ou Skoda, mais je n’ai jamais eu assez pour mettre beaucoup de côté et encore moins pour aller vivre à Monaco. Durant quinze ans, j’ai d’ailleurs travaillé en parallèle en tant que moniteur à l’École de maîtrise automobile de Pierre Laoureux pour arrondir mes fins de mois. Et certaines années très mauvaises, j’étais heureux de pouvoir vivre avec ce que j’avais gagné l’année précédente."
Depuis douze ans maintenant, Bruno s’est reconverti et vit au Luxembourg, près de la piste d’essais de Colmar-Berg de son employeur, Goodyear, pour lequel il boucle 260.000 km par an.
"Je suis pilote d’essais pour les pneus de route de la marque. Je suis chargé de donner mon avis subjectif, mon feeling sur les nouvelles gommes développées. Je passe mes journées derrière le volant de prototypes, des voitures camouflées, uniques de BMW, Mercedes et maintenant Porsche qui ne seront commercialisées que dans deux ans. Je roule souvent sur le grand Nürburgring ou sur la piste d’essais de BMW à Munich. J’aime mon métier et je n’ai pas à me plaindre. Cela nourrit son homme…"
"Ouvreur de Neuville, stressant et fatiguant"
Un travail de confiance dans l’ombre de notre vice-champion du monde.
Depuis six ans déjà, Bruno Thiry est aussi devenu l’ouvreur officiel de Thierry Neuville.
"On habitait le même village (Saint Vith) et l’on ne se connaissait pas. Un jour, après sa sélection lors du volant RACB, il m’a téléphoné, s’est présenté et m’a demandé conseil. Il travaillait comme tourneur dans une petite société et m’a demandé s’il devait lâcher son job pour se consacrer à fond au rallye. Je lui ai dit banzaï ! Fonce mon gars. Il m’a impressionné dès ses débuts en Peugeot S2000. J’ai de suite vu qu’il était doué et je savais qu’il irait loin."
Quelques années plus tard, par l’entremise de Nicolas Gilsoul qui fut aussi son dernier équipier pro chez Kronos avant d’épauler Thierry, Bruno est devenu l’ouvreur de Thierry sur les rallyes asphalte du Championnat du Monde.
"Depuis deux ou trois ans, Thierry souhaite que je participe aussi aux reconnaissances pour visionner toutes les spéciales une ou deux fois de jour car souvent on les découvre encore dans l’obscurité lors des rallyes où l’on prend la route à 4h ou 5h du matin", explique Bruno généralement accompagné du Français Julien Vial, responsable de la compétition client chez Michelin. "Avec Monte-Carlo, la Corse, l’Allemagne et l’Espagne, cela me fait 20 jours à prendre sur mes congés."
Un travail de l’ombre fastidieux, ingrat mais très précieux que font d’autres anciens pilotes comme le Martiniquais Simon Jean-Joseph (pour Ogier) ou les Finlandais Mikko Hirvonen (Breen) et Toni Gardemeister (Latvala).
"Honnêtement, c’est assez stressant et fatiguant car il faut se lever très tôt, rester 100 % concentré durant de longues journées. Thierry est très exigeant sur les corrections à effectuer. Il me fait 100 % confiance et il faut que je sois à la hauteur."
Et quand il entend que son pilote a abandonné suite à une touchette ou effectué une petite sortie… "Le premier réflexe est de se dire : j’espère que ce n’est pas de ma faute, que je n’ai pas oublié quelque chose. Au Monte-Carlo, mon équipier l’a directement appelé. Et il nous a répondu que c’était un petit excès d’optimisme de sa part. Par contre, en Allemagne et en Espagne, je m’excuse mais Thierry a été victime de la fragilité de la Hyundai au niveau des trains roulants. Le samedi, les Hyundai de ses équipiers ont abandonné après avoir trop pris une corde et tapé l’arrête d’un aqueduc. J’ai vu la caméra embarquée de Ott Tanak au même endroit. Il crie et lâche le volant tellement l’impact est fort. Mais il peut néanmoins continuer…"
"Thierry, meilleur performer de la saison"
Bruno espère voir son pilote sacré champion du monde en 2018
Lorsqu’on lui demande ce qu’il pense de la saison de Thierry Neuville, Bruno est franc et direct, comme à son habitude : "Exceptionnelle ! Malheureusement, comme aimait me le répéter Gilbert Staepelaere à l’époque où je roulais pour Ford : ‘ Le temps perdu ne se rattrape jamais ’. Idem pour les points stupidement abandonnés en début de saison. On a toujours espéré que Seb Ogier mangerait aussi son pain noir, mais le Français commet peu d’erreurs. Ce n’est pas pour rien qu’il est champion du monde ces cinq dernières années. Thierry a clairement été plus performant que lui cette saison. Tanak aussi d’ailleurs. Je suis certain que Neuville a le plus grand nombre de scratches en 2017. Mais il devra encore se contenter de la deuxième place, la plus mauvaise."
Partie remise en 2018 ? "Je l’espère sincèrement. Thierry et Nicolas ont le potentiel pour devenir champion du monde, c’est sûr. Ils sont rapides sur tous les terrains. Maintenant, il leur faut juste un peu plus de réussite. Peut-être qu’il pourrait la provoquer en levant de temps en temps un peu plus le pied…"
Bruno ne jalouse en tout cas pas la carrière de nos vice-champions.
"Franchement, je ne voudrais pas être à leur place. Leur agenda est bien trop rempli et leur emploi du temps sur un rallye est complètement fou, incroyable. Ils font en quatre jours ce qu’on faisait en onze jadis."