Vers la fin du football actuel: "La bulle spéculative dans le foot dont tout le monde parle n’existe pas"
Bastien Drut, économiste du sport, annonce la fin du football tel qu’on le connaît.
- Publié le 21-07-2018 à 08h27
- Mis à jour le 21-07-2018 à 08h53
Bastien Drut, économiste du sport, annonce la fin du football tel qu’on le connaît. De nombreuses opinions bien tranchées circulent sur le football, qui serait "gangrené par l’argent". Ces affirmations sont souvent polémiques et révélatrices des fantasmes d’une partie de l’opinion sur le lien entre foot et gros sous. Pour y voir plus clair, et surtout pour dépassionner les débats et apporter des éléments de réponse concrets, nous avons interrogé Bastien Drut, économiste du sport et auteur du livre Mercato : L’économie du football au XXIe siècle.
Quel est l’objectif de votre livre ?
"L’objectif est d’essayer d’expliquer que la bulle spéculative dans le foot dont tout le monde parle n’existe pas, mais que les recettes des clubs ont augmenté et que de plus en plus d’acteurs achètent les droits TV. Depuis vingt ans, on parle d’une bulle spéculative dont l’éclatement serait imminent. Cela n’est pas arrivé et je ne pense pas que cela arrivera prochainement".
Avec autant de dépenses, comment font les clubs pour générer toujours plus de recettes et survivre ?
"Tout dépend du segment de joueur ciblé. Si c’est Ronaldo et Neymar, ce sont des joueurs qui ont une renommée tellement importante au niveau mondial que cela permet aux clubs d’avoir une hausse directe de leur contrat de sponsoring et des droits TV. D’ailleurs, en Italie, on parle déjà d’une renégociation des droits TV avec l’arrivée de Ronaldo alors qu’ils venaient juste de la conclure."
Comment peuvent faire les clubs intermédiaires pour survivre ?
"Une des solutions reste d’investir dans la formation locale, régionale et repérer, dès le plus jeune âge, des joueurs intéressants pour les vendre plus tard, quand ils arrivent vers les 23, 24 ans. C’est de toute façon le modèle économique des clubs belges et français quand vous enlevez le PSG."
Le fair-play financier devait rééquilibrer ces inégalités, quel bilan en faites-vous ?
"Il est plutôt positif quand on voit la réduction des dettes et des déficits au niveau global en Europe, ce qui une très bonne chose. Après, on voit que l’UEFA tente de sanctionner le PSG et Manchester City, les nouveaux riches, et on ne comprend pas pourquoi Pourquoi sanctionner les nouveaux entrants et pas ceux qui font la même chose comme le Real ou Barcelone. Le vrai problème du fair-play financier, c’est qu’on ne comprend pas quels sont ses objectifs, ils ne sont pas assez explicites on ne sait pas ce qu’ils veulent faire, car il n’y a aucun problème financier au PSG, par exemple. L’UEFA devrait afficher plus clairement ses objectifs."
"Cristiano Ronaldo a presque amorti son transfert grâce aux ventes de maillots": Faux
L’achat de Cristiano Ronaldo a permis à la Juventus de vendre plus de 500.000 maillots floqués à son nom. "Mais contrairement à ce qu’on a pu lire, ces ventes ne rapporteront pas 50M à la Juve et n’amortiront pas son transfert. Sur une vente de maillot, un club ne peut pas récupérer la totalité du prix d’un maillot mais seulement une fraction qui représente moins de 10 %, le transfert n’est pas rentabilisé là-dessus. En revanche, CR7 a une statut de star planétaire qui peut aider la Juve a augmenter d’autres recettes, notamment liées au sponsoring, qui vont augmenter. Par exemple, le nombre d’abonnés Twitter au compte de la Juve a augmenté de plusieurs millions avec son arrivée, et c’est vraiment l’une des variables très importantes sur la renégociation du contrat de sponsoring de la Juve avec son équipementier", explique Bastien Drut.
"Les 220M dépensés pour Neymar ne seront jamais amortis": Faux
" C’est un peu comme pour Cristiano Ronaldo à la Juve, quand il arrive à Paris, ils arrivent avec plus de poids que les clubs en question sur les réseaux sociaux, ce qui permet à ces clubs d’acquérir une dimension encore plus importante surtout pour Paris qui était moins connu que la Juve avant l’arrivée du joueur. L’arrivée du Brésilien a permis de louer des contrats avec des multinationales, d’augmenter son poids sur les réseaux sociaux partout dans le monde. C’est très difficilement mesurable mais, en tout cas, l’arrivée de Neymar a permis au PSG d’augmenter sensiblement ses recettes, sans compter son impact sportif, qui est aussi très important, il engendre des dotations financières directes pour le club et indirectes avec des partenariats plus juteux avec des sponsors."
"Ce sont des millionnaires qui courent derrière un ballon, le foot est gangrené par l'argent": Faux
Il y a quelques semaines, la journaliste Anne-Sophie Lapix éveillait la colère des supporters français avec un commentaire qu’ils ont jugé déplacé. Elle déclarait avant le Mondial : "On va pouvoir regarder des millionnaires courir après un ballon." Mais le football est-il gangrené par l’argent pour autant ? "Il y a une forte inégalité salariale dans le foot professionnel. C’est absolument faux de considérer que tous les joueurs sont millionnaires. Il y a une focalisation sur les très gros transferts et l’hyperremunération de quelques joueurs qui ne sont pas représentatifs de l’ensemble des footballeurs. La plupart ont une carrière très courte : en moyenne 4 ans maximum au plus haut niveau. Cette image de millionnaires en short est complètement fausse. D’ailleurs, quand on fait le parallèle avec d’autres segments du divertissement, chanson et variété par exemple, les rémunérations sont du même ordre de grandeur que les plus grands joueurs, voire plus importantes."
"L'industrie du football est rentrée dans une bulle spéculative qui va exploser": Faux
"Je pense que le football n’est jamais entré dans une bulle spéculative, contrairement à ceux que certains avancent. Les déficits sont de plus en plus rares pour les gros clubs et, dans certains cas, les profits deviennent tout à fait significatifs. C’est tout à fait inédit pour le secteur du football professionnel. Cette activité de plus en plus profitable s’effondrerait ? Je suis très sceptique. Les gros clubs peuvent se permettre les mégatransferts et les hyper-rémunérations qu’ils versent, car leurs recettes ont explosé. Et je ne pense pas que l’augmentation des recettes soit artificiellement élevée pour eux. La plupart des gens sont uniquement focalisés sur les droits TV, mais ce sont les recettes de sponsoring qui ont le plus augmenté ces cinq dernières années pour les grands clubs. Les équipementiers et les sponsors se concentrent de plus en plus vers les plus grands clubs et il n’y a pas de raison que cela change."