Euro 2020 : pourquoi votre voisin voit les buts des Diables quelques secondes avant vous ?
Particulièrement irritant dans les quartiers fort peuplés ou les places bardées de cafés qui diffusent les matches de l'Euro, le décalage entre décodeurs existe bel et bien. Éclairage et cassage de mythes sur un problème créé par… le numérique et la modernité
- Publié le 21-06-2018 à 20h29
- Mis à jour le 16-06-2021 à 16h06
Pourquoi donc votre voisin, qui a regardé Belgique- Russie fenêtres ouvertes, a-t-il vu les réalisations de Lukaku et ses coéquipiers et quelques secondes avant vous, cassant ainsi votre plaisir de découvrir le but live ? Pourquoi le bar, juste en bas, s’enflamme quelques secondes plus tôt que vous, dans votre salon ou sur le balcon, avec vos amis ? En bref : pourquoi, à l’heure des débits stratosphériques, du tout connecté et de l’instantanéité, ne sommes-nous pas tous égaux devant le direct footeux télévisé ? On vous explique, en 5 points.
1. Le direct, ça n’existe pas
Seuls les rares Belges présents à Saint-Petersbourg ont vu les buts des Diables en (vrai) live. Pour les téléspectateurs du monde entier, il y a obligation de subir une série de décalages plus ou moins courts. Il y en a d’abord un, impossible à ôter de la chaîne : le temps nécessaire pour que les images, capturées en Russie ou au Danemark, parviennent jusqu’aux régies techniques des chaînes de télévision détentrices des droits (dans le monde entier). Un processus qui ne prend pas plus d’une seconde, que le flux d’images soit transmis par satellite (géostationnaire, à 36.000 km au-dessus de nos têtes, où les images doivent monter avant de redescendre) ou par câble. Jusqu’ici, tout le monde est à égalité, les images parviennent à tout le monde en même temps. C’est après que les décalages s’agrandissent.
2. Les chaînes et opérateurs entrent en piste
Lorsque la RTBF (ou la VRT) reçoit le signal venu d'une des villes hôtes de cet Euro 2020, elle est chargée de le traiter. Et de le transmettre aux opérateurs, qui auront pour mission de le compresser (en MPEG-4/H.264 aujourd’hui, en MPEG-2 hier). Ce processus prend, ici encore, un peu de temps. Par nature, le câble coaxial (VOO, Orange, Telenet) dispose d’un avantage théorique, en terme de débit, sur la technologie VDSL de Proximus. On parle d’une à deux secondes, mais sur un but, elles comptent.
"La large bande passante du câble permet si nécessaire d’y faire passer des signaux à 12 ou 15 Mb/s", nous expliquait Patrick Blocry, porte-parole de VOO, lors du Mondial 2018. "Surtout, elle est entièrement dédicacée au signal télé", nous disait-on chez Telenet.
La paire cuivrée de l’ex-Belgacom n’a pas cette liberté, mais l’opérateur compense par des traitements électroniques très prompts. "Pour le réseau DSL, la compression vidéo est plus importante et afin de maintenir la qualité un délai complémentaire est nécessaire en ce qui concerne les encodeurs", concède Proximus.
De fait, deux secondes de décalage entre câble et VDSL sont régulièrement observés.
"Toutefois, un signal qui passe par le câble, c’est comme la radio en hertzien : il arrive pareil, au même moment, pour tous, nous confie Telenet. Du moins à matériel équivalent."
Ce qui nous mène au point suivant…
3. Votre décodeur joue un rôle
Et même un rôle important, puisque c’est lui qui décode (décompresse) le signal vidéo.
"Vous voyez cet écran noir, qui apparaît très brièvement lorsque vous changez de chaîne ? C’est le résultat de la décompression des images par votre décodeur. Heureusement, les décodeurs sont de plus en plus performants, et équipés de processeurs plus puissants pour décompresser les signaux au plus vite", reprend Patrick Blocry.
Bref : la génération de votre décodeur peut aussi jouer un rôle. Idem chez Proximus, "où une image SD peut parvenir plus rapidement qu’une image HD", nous confirmait Haroun Fenau, porte-parole.
Ensuite, tout ce qui vient au-delà de votre décodeur peut avoir un impact minime : "si vous passez par un ampli Home-Cinéma, par exemple, il y a encore un traitement supplémentaire, de l’image comme du son. À tel point que certains amplis intègrent la fonction Lip Sync, pour resynchroniser les images sur la voix !"
En fait, la règle est simple : plus l’image est traitée dans son voyage, plus les (micro) décalages s’empilent.
4. C’était mieux avant ?
Sur le plan de simultanéité ? Cent fois oui !
"À l’époque de la télévision analogique (NdlR : qui aujourd’hui ne représente quasi plus rien sur le marché), tout le monde était sur le même pied d’égalité : le signal était envoyé brut, sans traitement. Ni compression ni décompression", nous confie-t-on au département support et technique du service Télévision d'un grand opérateur.
"Il n’y avait pas de fameux écran noir de transition entre deux chaînes", glisse VOO.
C’est donc le numérique, et la multitude de traitements qu’il implique, qui ont créé ces décalages.
Mais c’est un petit mal pour un grand bien : c’est aussi le numérique qui a rendu nos images plus belles, plus nettes, HD.
"Et qui a permis, aussi, dixit Proximus, d’apporter les fonctions interactives actuelles, comme la pause du direct, le retour en arrière, etc."
5. Streaming par Internet : décalages immenses
Passer par Auvio, ou l’application de TV mobile fournie par votre opérateur pour regarder un match des Diables : c’est très pratique, mais en termes de respect du direct, c’est une horreur. En cause : le buffering. Celui que vous voyez, déjà : lorsque votre vidéo se précharge. Mais aussi celui que vous ne voyez pas : "les fournisseurs de réseau réalisent en effet du buffering en amont, pour envoyer le flux par salves. Cela crée des décalages."
Qui dépendent aussi très fortement de la qualité de votre connexion Wwi-fi ? 4G ? Êtes-vous dans une situation nomade - un train - ou fixe ?). Et qui peuvent largement dépasser la minute…
Bref : pour être sûr que la télé de votre voisin ne vous spoile pas, il n’y a pas grand-chose à faire. Si ce n’est, peut-être, voir le match avec lui !