Larmes, bains russes et incompréhensions: nos envoyés spéciaux vous racontent leur Mondial
Nos envoyés spéciaux ont sillonné la Russie pendant un mois. Ils racontent leur périple.
- Publié le 16-07-2018 à 18h26
- Mis à jour le 16-07-2018 à 18h28
Nos envoyés spéciaux ont sillonné la Russie pendant un mois. Ils racontent leur périple.
Un sacré voyage ! La Russie a beau être à seulement 2.400 kilomètres de Bruxelles, on peut dire sans hésiter que le mois qu’on y a passé a été des plus dépaysants. Bien davantage qu’au Brésil. C’est un pays tantôt charmant, tantôt follement surréaliste, tantôt irritant. Parfois, il est les trois en même temps.
L’organisation du tournoi a été une grande réussite. Tous les supporters vous le diront. Ils ont fait de très belles découvertes et visité des endroits étonnants. Hélas, le quotidien d’un journaliste envoyé spécial n’est pas le même que celui des fans. Pour une raison essentielle : le manque de temps. La quantité de travail est importante; c’est une course perpétuelle. De notre hôtel au centre d’entraînement, d’un aéroport à un stade. En cumulant les trajets, les cinq envoyés spéciaux de La DH auront pris en un mois un total de 60 vols et 20 trains (dont un en cabine-couchette), pour parcourir 79.400 kilomètres. Soit près de deux fois le tour de la terre.
On pourrait y ajouter les nombreux trajets sur les routes, le plus souvent embouteillées. Vu le prix des taxis - 7 euros pour un trajet d’une demi-heure - c’était notre moyen de locomotion le plus fréquent. C’est aussi celui qui nous a causé le plus de soucis. Les trajets avec un chauffeur unijambiste et un autre sourd et muet se sont déroulés sans encombre. Mais bien d’autres fois, on était bien heureux d’arriver à bon port sans accident. Dans la nuit de Saint-Pétersbourg, musique à fond, notre jeune chauffeur visiblement défoncé traçait à 160 kilomètres/heure sur les boulevards et brûlait les feux rouges. "Vous savez, je ne suis pas vraiment taximan, c’est juste un hobby !"
On a été forcé de lui hurler dessus pour qu’il se calme...
Homophobes et racistes assumés
La plupart du temps, les Russes que nous avons rencontrés parlaient au mieux deux ou trois mots d’anglais. Vous avez beau leur répondre que vous ne comprenez pas - "Niponimaï!" - ils continuent leur laïus. La solution toute trouvée, c’est Google Translate, qui a dû connaître un fameux pic en Russie pendant un mois. Mais l’application a ses limites et quand on est dans le rush, on n’a pas envie de tourner en rond.
À Nizhny, nous avons cru avoir de la chance en tombant sur un serveur qui disait maîtriser le français. Il avait bluffé. Toutes les dix minutes, il venait nous apostropher pour réciter un mot de français qu’il connaissait. "Chaise… Maison… Télévision."
Autre table, autre ville : à Samara, un local a tenu à nous offrir à manger parce qu’il "aimait les Diables Rouges". Diplômé universitaire, très cultivé, il nous a demandé cinq fois si on était homosexuel. "Parce que vous savez, les homos, je les déteste. C’est normal qu’ils se fassent taper dessus."
À Saint-Pétersbourg, ville plus ouverte que les autres, on a vu plusieurs couples de lesbiennes s’afficher en public sans le moindre complexe. Mais ailleurs en Russie, le pays est très rétrograde.
Il en va de même concernant le racisme. Nous avons été témoins d’une scène hallucinante: quand un homme noir de peau est entré dans la piscine d’un hôtel, tous les Russes en sont subitement sortis...
Des ballons d’azote pour amplifier l’effet de l’alcool
Ce qui nous a aussi marqués, c’est le grand écart entre les classes sociales. En quittant le centre des villes, on a vu des gens vivre dans des conditions très, très modestes. À Kazan, après l’exploit contre le Brésil, tous les hôtels de la ville étaient pleins. Le seul logement que nous avons trouvé était une toute petite maison en préfabriqué près de l’aéroport, que le propriétaire, employé dans une station-service, louait à la nuit pour arrondir ses fins de mois. L’étroite salle de bains ne comprenait pas de douche, mais seulement des bains russes. Traduction : des bassines usées pour se verser de l’eau sur la tête. Nous avons dormi sur un matelas à même le sol mais nous ne nous en plaignons pas : c’est ça aussi, l’aventure d’une Coupe du Monde.
Vu les conditions de vie de certains d’entre eux, les jeunes Russes aiment faire la fête pour oublier leur quotidien. Dans les bars, on a vu une pratique qu’on ne connaissait pas : les serveurs vendent des ballons d’azote. Le but: amplifier l’effet de l’alcool. À voir une jeune Russe s’écrouler par terre, cela fonctionne plutôt bien.
Le chagrin des Sud-Américains
Dans ces bars ou dans les stades, nous avons fait des rencontres parfois émouvantes. À Moscou, nous avons discuté avec un Péruvien enthousiaste qui payait des verres aux plus belles filles du pub. Quand nous l’avons félicité pour le jeu pratiqué par son équipe, son visage a changé. Il s’est mis à pleurer, touché par une élimination qu’il estimait injuste. "Les 40.000 supporters péruviens présents en Russie pleurent avec moi, comme toute la nation."
La tristesse a été la même dans le clan des Brésiliens. Sur le vol retour de Kazan, nous avons raconté nos beaux souvenirs du Mondial 2014 à des supporters de la Seleção. À l’aide de notre smartphone, nous leurs avons fait écouter la chanson Lepo Lepo, l’un des tubes de notre tournoi au Brésil. Ils ont été pris par l’émotion. "Cette chanson raconte un chagrin d’amour. Et depuis cette défaite contre la Belgique, notre cœur est brisé."
Nous avons bien sûr aussi croisé la route de supporters belges, pas forcément nombreux mais toujours enthousiastes. Les plus colorés d’entre eux peinaient à avancer en rue, tant ils se faisaient accoster par les Russes afin de poser pour une photo. La Belgique est hype. Nous avons pu le constater au nombre élevé de supporters asiatiques portant le maillot des Diables. Ou encore aux multiples interviews - une bonne trentaine - accordées à nos confrères du monde entier. Brésil, France, Israël, Angleterre, États-Unis, Russie, Japon : tout le monde veut connaître le secret de la réussite des Diables. Tant mieux.
Le soir de la finale, en quittant le stade Luzhniki, nous avons pris le temps d’aller remercier les volontaires présents dans le centre des médias, comme nous l’avions fait la veille à Saint-Pétersbourg. Ils ont réagi en hurlant, tels une meute d’heureux loups, et en agitant les bras en l’air. Spasibo. La fête était réussie et la Russie, belle et imparfaite, valait le déplacement.