L'interview décalée de Marc Degryse: "J’aimerais rejouer le test match Bruges-Anderlecht
- Publié le 13-01-2018 à 12h58
- Mis à jour le 13-01-2018 à 13h01
Devenu un consultant averti, Marc Degryse n’a rien oublié de sa brillante carrière de meneur de jeu. Celui qui a longtemps été catalogué comme le lutin d’Ardooie, son club formateur, a surtout marqué, sur la scène belge, deux clubs essentiels : le Club Bruges et Anderlecht. Et s’il a mis un terme à sa brillante carrière au GBA après être aussi passé par La Gantoise, n’occultons pas ses passages par Sheffield Wednesday et le PSV Eindhoven. Bref, un parcours assez riche pour en faire un témoin privilégié de son époque dorée…
Tant de temps passé sur les pelouses vous a permis de côtoyer nombre de grands joueurs. Quel est celui qui vous est apparu comme le plus fort ?
"Je pourrais citer Luc Nilis, voire Jean-Pierre Papin ou encore Chris Waddle, mais si vous me demandez qui était le plus fort, c’était sans conteste Jan Ceulemans. Sans doute pas le plus talentueux du lot, mais celui qui était quasiment irremplaçable dans cette équipe brugeoise où je l’ai côtoyé pendant six saisons. Sterke Jan, il suffisait qu’il soit absent ou en moins bonne forme, et c’est tout le rendement de l’équipe qui en souffrait. Donc, pour moi, tant au Club Bruges qu’en équipe nationale, il représentait 50% de l’équipe à lui seul, les 10 autres joueurs se partageant les 50 pourcents restants..."
Le joueur le plus fort contre qui vous avez joué ?
"Gheorghe Hagi ! Je l’ai affronté avec la Belgique, contre la Roumanie, sur la pelouse d’Anderlecht. Ce match-là, on avait fini par le gagner 1-0, et j'ai le souvenir que Paul Van Himst, qui était notre entraîneur, au briefing d’avant-match nous avait dit que dans l’équipe roumaine, il y avait un numéro 10 qui était un bon joueur, mais qui n’allait pas trop vite et dont, donc, il ne fallait pas avoir peur. Or Hagi, ce soir-là, pendant 90 minutes, avec son pied gauche magique, nous a ridiculisés sur le plan technique, justifiant sa réputation de Maradona des Carpates."
Le joueur le plus dur qui a croisé votre route ?
"J’ai le souvenir d’un stopper volontairement agressif qui se nommait Pietro Vierchowod. J’ai été opposé quelques fois à lui quand Anderlecht a affronté la Sampdoria, surtout en 1990, quand on a été battus par les Italiens en finale de la Coupe des Coupes. C’était le vrai stopper à l’ancienne, auquel on ne demandait pas de construire le jeu, mais de sortir de celui-ci l’attaquant adverse. Une mission qu’il remplissait à merveille, peu importe la manière..."
Des entraîneurs, vous en avez connu pas mal. Un en particulier vous a-t-il marqué ?
"Je préfère ne pas épingler un nom, car tous les autres pourraient mal le prendre. Plus qu’un entraîneur en particulier, ce qui m’a surtout marqué, c’est mon passage de Bruges à Anderlecht. Avec ce transfert, je suis passé d’un club familial, où il était primordial de prendre du plaisir et de marquer un but de plus que l’adversaire, à un club très professionnel où il faut gagner mais en y mettant la manière. Donc avec Aad de Mos, qui fut mon premier entraîneur au Sporting, je suis devenu un joueur différent, mais cette mue était surtout due, je le répète, à la manière différente dont on pouvait travailler à Bruges et à Anderlecht."
Le joueur le plus fêtard ?
"En fait, c’était un duo. On dit souvent que les gardiens sont un peu fous. Philippe Vandewalle et Birger Jensen l’étaient, sur un terrain mais aussi en-dehors. Ces deux-là, vous pouvez me croire, avaient le don pour mettre de l’ambiance dans le vestiaire du Club Bruges et lors des fêtes qui suivaient nos matches, qu’ils soient gagnés ou... perdus !"
Justement, quelle fut la plus grosse fête que vous avez pu vivre ?
"Au Club Bruges évidemment ! Les plus belles datent de la saison 1987-88, où on avait été champions et demi-finalistes en Coupe d’Europe. En fait, en déplacement, tant à Leningrad qu’à Belgrade où à Dortmund, les trois fois on avait été battus assez sèchement. Et à chaque fois l’entraîneur nous disait, au terme de la rencontre, qu’il avait parlé avec le président et que ce dernier nous interdisait de sortir en ville. Moins d’une demi-heure plus tard, on commandait des taxis pour aller faire la fête en ville, on rentrait à cinq ou six heures du matin, et les trois fois, au match retour, on est parvenu à assurer notre qualification. Il n’y a qu’à Bruges qu’on pouvait vivre ce genre de situation. Du moins à cette époque-là."
La plus grosse colère à laquelle vous avez assisté dans un vestiaire ?
"Souvent avec Johan Boskamp. Mais j’ai le souvenir d’un moment particulier, à Anderlecht, où on était menés à la mi-temps en ayant mal joué. Boskamp était furieux, quasiment hors de lui, et s’en prenait aux joueurs qu’il estimait être ceux qui devaient porter l’équipe. Alors qu’il hurlait et que pour le reste un silence profond régnait dans le vestaire, à un moment donné, Bruno Versavel lève le doigt et lui demande : "Et moi, je suis dans quelle catégorie ?" Le groupe s’est mis à pouffer, ce qui a eu le don de décupler encore la colère de Boskamp. Un grand moment !"
La défaite qui vous a fait le plus mal ?
"J’en épinglerais trois. Celle du Mondial 90, avec la Belgique, face à l’Angleterre et ce but de Platt qui nous élimine alors qu’on était plus fort que les Anglais; celle subie à Göteborg, avec Anderlecht, contre la Sampdoria en finale de la Coupe des Coupes et, enfin, avec le Club Bruges, ce 3-0 subi à l’Espanol Barcelone, qui nous prive d’une finale européenne."
Ces trois défaites participent-elles au match que vous aimeriez rejouer ?
"En fait, j’aimerais rejouer un match que je n’ai pas joué, c’est le retour du test match entre Bruges et Anderlecht pour le titre. Ce soir-là je me suis en effet retrouvé sur le banc alors que j’avais joué toute la saison en pointe aux côtés de Papin. Ce fut, pour moi, alors que j’avais 20 ans à peine, le début d’une période difficile, puisque la perte de mon statut de titulaire m’a aussi fait manquer la sélection pour le Mondial de 86. J’aimerais donc pouvoir jouer ce test match et les rencontres au Mexique pour prouver que je méritais un autre sort."
Existe-t-il un match dans lequel vous avez été extraordinaire ?
"J’espère qu’il y en a eu plusieurs ! Non, plus sérieusement, il y a ce duel, en 1989, face au Barcelone de Koeman et avec Cruyff comme entraîneur. J’y ai inscrit le but du 2-0 et livré une grande prestation. D’ailleurs, quand Constant Vanden Stock, au terme de la rencontre, est entré dans le vestiaire, directement il s’est écrié: "Marc, ce soir, je ne regrette pas d’avoir dû sortir 90 millions (2 millions d’euros) pour réaliser ton transfert !" Des mots que je n’oublierai jamais..."
Votre plus grande réussite ?
"D’avoir été désigné quatre fois Joueur Pro de l’Année. C’est un prix qui est le fruit des joueurs que vous avez affrontés, donc il a, à mes yeux, plus de crédit que le Soulier d’Or. De l’avoir eu quatre fois me rend très fier."
Votre plus grand regret ?
"De ne pas être resté plus longtemps à Sheffield. Je me sentais bien en Angleterre, j’avais livré une bonne saison et j’ai eu le tort, au terme de celle-ci, d’accepter un transfert au PSV Eindhoven où je n’ai jamais trouvé mon bonheur au niveau du jeu pratiqué. Si j’étais resté une saison de plus à Sheffield, sans doute que des clubs anglais plus huppés seraient venus frapper à ma porte."
Le transfert qui a failli se faire ?
"En fait, en 1988, au sortir de ma plus belle saison pour le compte du Club Bruges, j’ai été en contact très étroit avec le PSV, l’Atletico Madrid et le PSG. Avec ces trois clubs, j’étais arrivé à un accord personnel, il restait à savoir auquel des trois la direction brugeoise accepterait de me transférer. Mais cette dernière a tout refusé, et comme l’arrêt Bosman n’existait pas encore, j’étais esclave de sa décision. J’ai donc été bloqué par Bruges dans ce qui aurait pu être mon envol européen..."
L’équipier que vous n’avez plus vu et que vous aimeriez revoir ?
"Sans doute Milan Jankovic avec qui j’ai joué au Sporting d’Anderlecht. Un gars avec un talent énorme et un homme aussi charmant qu’un peu fou. J’aimerais savoir ce qu’il est devenu."
Le choix tactique d’un entraîneur que vous n’avez pas compris ?
"Celui posé par Luka Peruzovic au PSG, où on a signé un 0-0, mais où on a manqué d’audace, surtout quand Ginola, après une demi-heure à peine, se fait exclure. On a commencé le match à cinq derrière et on gardait le même shéma. Donc, à la mi-temps, j’ai demandé à Luka qu’on modifie le système pour au moins marquer un but, ce qui aurait été probable vu les circonstances de la rencontre. Il n’a rien voulu changer, on a fait 0-0, et au retour à Bruxelles le match se termine par 1-1, score qui précipite notre élimination !"
Votre meilleur match en équipe nationale ?
"Contre la Tchéquie, juste avant le Mondial 90, on l’a emporté 2-1 et j’ai inscrit les deux buts de la Belgique. Mais je dis cela car j’ai marqué deux buts. Peut-être que le match, lui, n’avait pas été bon..."
Le plus beau stade ?
"À l’étranger, le Camp Nou de Barcelone. Très impressionnant. En Belgique, il y a Bruges et Anderlecht. Mais les ambiances n’y sont pas similaires. À Bruges c’est du fanatisme, à Anderlecht c’est du théâtre. Mais comme joueur, dans les deux, j’y ai puisé les mêmes émotions."