Jacques Borlée: "Pas sûr que Mbappé gagnerait le 100 m aux championnats de Belgique"
Jacques Borlée, entraîneur d’athlétisme à succès, détricote le mythe des footballeurs rivalisant avec les meilleurs sprinters du monde
- Publié le 10-07-2018 à 14h48
- Mis à jour le 10-07-2018 à 16h19
Jacques Borlée, entraîneur d’athlétisme à succès, détricote le mythe des footballeurs rivalisant avec les meilleurs sprinters du monde Tel un marronnier fleurissant lors de chaque grand tournoi, le sujet s’est invité après le match France - Argentine et la diffusion d’une (fausse) information indiquant que Kylian Mbappé avait été flashé à 37 km/h lors de la phase ayant amené un penalty pour les Bleus . Un chiffre que la Fifa a rapidement corrigé, quelques heures plus tard, et… ramené à 32,4 km/h.
Soit une sacrée différence qui illustre sans doute bien la difficulté de mesurer la vitesse de pointe d’un footballeur ne filant pas droit sur un terrain alors même qu’en athlétisme, il faut disposer d’un appareillage technique impressionnant pour réussir à déterminer avec précision la vélocité des sprinters évoluant sur 100 mètres. Lesquels, rappelons-le, prenent un départ arrêté et pas lancé, ce qui rend la comparaison entre footballeurs et athlètes tout à fait hasardeuse !
En outre, il n’est pas rare d’entendre le grand public confondre la vitesse moyenne avec la vitesse de pointe, ce qui ajoute un peu plus à la cacophonie ambiante.
Alors, Kylian Mbappé est-il le nouvel Usain Bolt en crampons ? Nous avons sollicité l’éclairage de l’entraîneur (et ancien sprinter) Jacques Borlée.
"Tout d’abord, il faut dire que Kylian Mbappé est rapide, c’est indéniable , dit-il. Dans le milieu du foot, quand on fait une pointe à 36 ou 37 km/h, c’est parce qu’on a des qualités de vitesse de base et certaines aptitudes pour le sprint. Mais quand bien même l’attaquant français aurait réellement été chronométré à cette vitesse-là, qui équivaut à du 10 m/seconde, il faut bien se rendre compte qu’Usain Bolt, quand il établit son record du monde du 100 mètres en 2009 à Berlin (NdlR : 9.58) , est flashé, lui, à plus de 44 km/h ! Donc il y a encore 7 ou 8 km/h à aller chercher, ce qui fait un monde de différence. Il ne faut pas comparer Mbappé à Bolt, cela n’a aucun sens. Et puis, ce chiffre qui a été diffusé n’est jamais qu’une vitesse enregistrée à un moment donné sur une très courte distance. Si un jour, Mbappé enfile des spikes, et qu’il arrive surtout à maintenir sa vitesse maximale - ce qui était la grande qualité de Bolt -, il fera peut-être un 100 mètres, disons en 10.50 s’il se prépare bien : ça reste encore à neuf dixièmes du record du monde."
Autant dire aussi que le footballeur ne soutiendrait pas la comparaison, sur une piste d’athlétisme, avec les meilleurs sprinters français tels Jimmy Vicaut (9.86) ou Chistophe Lemaitre (9.92).
"Certainement pas, et je ne suis même pas sûr qu’il gagnerait un championnat de Belgique (NdlR : il s’est gagné ce dimanche en… 10.49) , ajoute Jacques Borlée. Il faut raison garder. Chaque sport a ses spécificités, des notions qui lui sont propres et demande des développements de qualités différents. Bien entendu, les footballeurs doivent être capables de courir vite parce qu’ils passent 99 % de leur temps à courir sur un terrain. Mais ils doivent surtout trouver de l’harmonie dans le mouvement, travailler non seulement la technique de course mais également les changements de direction, le placement par rapport au ballon, ils doivent savoir quand faire des petits pas et quand faire de grands pas. En football, on croit que pour aller vite, il faut faire des petits pas au départ, alors que c’est l’inverse. Mais performer dans l’harmonie, cela s’apprend. Et s’il faut reconnaître que Mbappé y arrive plutôt bien, le milieu du foot, malgré certains progrès récents, reste encore très archaïque dans son mode de pensée et de fonctionnement. J’explique souvent que dans le cas de mes enfants, athlètes de haut niveau, c’est une heure d’échauffement avec 45 minutes de travail au niveau des fascias (NdlR : les tissus mous omniprésents dans le corps humain). Sans oublier le travail effectué au niveau du cerveau, des ondes alpha et bêta."
Plus que de Kylian Mbappé, Jacques Borlée souhaite souligner l’évolution positive de Romelu Lukaku.
"Vous savez, le talent, c’est toujours 20 % et les 80 % restant, c’est du travail , reprend-il. Regardez Lukaku. Il y a quelques années, il paraissait lourdeau, il ne savait pas se tourner, il semblait incroyablement lent. Mais il a énormément travaillé et ce qu’il fait aujourd’hui est exceptionnel. Il faut le souligner. Comme Mbappé, il avait le talent mais il est parti de plus loin au niveau physique. Il a progressé en vitesse mais aussi dans ses rotations et dans ses temps de contact au sol. Et ça c’est génial, il a compris que s’il restait longtemps au sol, il aurait du mal à être performant. Quand vous avez son poids et sa taille, ça demande énormément de travail. Moi je suis admiratif devant ce travail et devant la manière dont il a fonctionné. Il a, en outre, été beaucoup critiqué mais il n’a pas tenu compte de toutes ces critiques, il a continué à travailler et ça, c’est exceptionnel. En plus, il a développé une mentalité de gagnant qui fait plaisir à voir. Je peux vous dire que mardi, il va faire mal !"