Pourquoi tout le monde adore Jürgen Klopp
Le manager de Liverpool mise sur un incroyable capital sympathie.
- Publié le 25-05-2018 à 16h11
- Mis à jour le 25-05-2018 à 16h12
Le manager de Liverpool mise sur un incroyable capital sympathie. 18 septembre 2013. Le stade San Paolo de Naples explose. Jürgen Klopp aussi. Alors que Gonzalo Higuain vient d’ouvrir le score, celui qui est à l’époque coach du Borussia Dortmund s’en prend vertement au quatrième arbitre, le Portugais Venâncio Tomé, dans un excès de colère assez hallucinant justifié par le fait que Nevan Subotic, préposé au marquage d’Higuain, revenait tout juste sur la pelouse après s’être fait soigner et n’était donc pas en place au moment de ce but. Klopp en est quitte pour être exclu.
Ses hommes s’inclinent pour la première fois de la saison (2-1) et l’Allemand se retrouve alors face à la presse.
Forcément, lui se sait attendu après ce pétage de plombs qui n’est pas le premier et ne sera pas le dernier. Mais il parvient à retourner la situation à son avantage.
"Si je dis que cela n’arrivera plus, les gens penseront que je suis devenu un peu fou. Je ne voulais plus le faire, je l’ai refait quand même", plaide-t-il avant d’avouer "j’ai fait le singe" et de raconter la suite de sa soirée : "j’ai vécu le reste du match dans les entrailles du stade avec le concierge".
Son auditoire est conquis, son pari réussi. Vieux de près de cinq ans, cet épisode symbolise assez fidèlement cette faculté de susciter l’empathie.
Quand Mourinho se dresse comme un personnage clivant, façon tout le monde est contre moi, Klopp s’impose comme son antithèse. Construit parfaitement son image de bon vivant qui donne envie de partager un verre avec lui. La liste de ses contrats publicitaires présents et passés confirme son imposant capital sympathie flairé par les annonceurs : entre Opel, New Balance, des banques allemandes, des colles à tapisser, les bières Warsteiner, Philips ou Sky Allemagne, tous ont capitalisé sur son potentiel.
Avoir mis en échec le Bayern, club aussi détesté en dehors des frontières bavaroises qu’adulé dans la périphérie de Munich, il a participé à cette construction d’une image savamment entretenue dans la communication du natif de Stuttgart.
Quand El Pais l’interroge en mars 2013 sur le secret de sa réussite avec Dortmund qu’il hisse cette saison-là jusqu’en finale de Ligue des Champions, Klopp précise tout simplement : "si t’as pas d’argent et que malgré tout tu veux de la qualité, il faut être courageux. Ne pas avoir d’argent ne signifie pas ne pas pouvoir continuer à travailler, cela signifie seulement qu’il faut trouver d’autres voies vers le succès."
Quand d’autres parlent de victoire à tout prix, lui évoque, toujours dans El Pais, le plaisir comme préambule. "Si 80 000 personnes viennent toutes les deux semaines au stade et que sur le terrain, on propose un football ennuyeux, l’une des deux parties, l’équipe ou le public devra choisir un nouveau stade. Il faut tout donner. On a appelé cela le football a toute allure", édicte-t-il. "On veut tout faire péter. Il faut créer un lien entre les gens et le club. Je ne veux pas seulement gagner, je veux frissonner."
Sa sincérité peut parfois être désarmante. Tout en renforçant sa proximité. "Quand on est pro, le grand malheur, c’est qu’on est à la retraite à 35 ans", raconte-t-il à Playboy en 2011. "Tout ce que tu fais après, tu ne le fais pas aussi bien que jouer au foot, j’en étais arrivé à un point où j’ai regardé mes économies et j’ai compté qu’il m’aurait fallu retrouver un travail seulement 12 jours après la fin de ma carrière pour maintenir mon rythme de vie. Ce qui fait que le matin, j’avais quelques soucis."
Klopp en a depuis nettement moins. Et génère par sa manière de faire un enthousiasme contagieux. Si le mariage avec Liverpool se révèle fusionnel, la personnalité extravertie du coach qui ne regarde jamais le terrain quand un de ses joueurs tire un penalty y est pour quelque chose. Sa manière de vivre les matches avec le public aussi. Comme son appréhension de son poste.
Quand il a débarqué sur les bords de la Mersey en octobre 2015, son naturel a désarçonné le club. Dans l’une des salles de réception de l’Hope Street Hotel, plutôt qu’un long speech, il préfère se présenter brièvement et prend le temps d’interroger longuement chacun des membres du personnel présents sur leur rôle pour mieux s’imprégner du mode de fonctionnement du club. Ce qui accrédite la thèse de ses proches qui voient en lui au-delà de son charisme naturel, de son aura presque magnétique quelqu’un qui "préfère rester dans l’ombre alors qu’il attire la lumière".
Un technicien qui s’est aussi imposé comme un vrai meneur d’hommes. Si Klopp est capable de trancher dans le vif comme avec Mamadou Sakho dont le manque de professionnalisme a fini par le lasser, il se distingue aussi par un sens de la psychologie très pointu mis en relief par sa gestion du cas Philippe Coutinho.
Cet été, en plein stage à Hong Kong, quand ses dirigeants refusent les offres du FC Barcelone pour le prodige brésilien, Klopp le sent affecté. "Il n’était plus le même", confie-t-il. Le soir même, il s’entretient longuement avec le milieu. Coutinho lui rappelle les sacrifices consentis par lui et sa famille, ce que représente le Barça. Son entraîneur parvient à le convaincre que le timing n’est pas le bon. Et le Brésilien quittera le club par la très grande porte lors du mercato d’hiver.
"En fait, Jürgen a créé une famille. Il dit toujours 30 % tactique, 70 % de team building", a résumé son assistant Pepijn Lijnders dans De Volksrant en 2017.
"Les joueurs ne sont pas mes amis. Enfin, disons qu’eux sont mes amis mais que moi, je ne suis pas leur ami. Peut-être que j’ai une autorité naturelle ? J’arrive à bien m’entendre avec les gens à fort caractère. Je ne suis pas quelqu’un qui force les gens autour de soi à se faire petit, je n’écrase personne. Et puis je sais me faire pardonner de mes erreurs, je ne tombe pas dans de sombres pensées", estimait Klopp, encore dans Playboy. "Si je me trouve bien ? Disons que je dirais plutôt que je trouve que je ne suis pas une merde. Je crois que l’ensemble est pas mal : je suis un mec drôle, je ne suis pas un abruti. Je pense que ça se passe comme cela en général, il faut s’accepter tel que l’on est." Pour mieux se faire aimer.