Southampton, quand reconstruire une équipe devient un art
Ils ont perdu Lallana, Shaw, Lambert, Chambers et Lovren. Pochettino, coach à succès, s'est envolé pour Tottenham. Les bookmakers leur prédisaient l'enfer et la relégation et pourtant, Southampton est sur le podium de la Premier League après une victoire 8-0 contre Sunderland. Autopsie d'un départ miraculeux.
- Publié le 21-10-2014 à 11h10
- Mis à jour le 21-10-2014 à 11h48
Ils ont perdu Lallana, Shaw, Lambert, Chambers et Lovren. Pochettino, coach à succès, s'est envolé pour Tottenham. Les bookmakers leur prédisaient l'enfer et la relégation et pourtant, Southampton est sur le podium de la Premier League. Autopsie d'un départ miraculeux.
"La veille, Chambers avait signé à Arsenal. Ils se sont dit que si je partais aussi, les supporters allaient brûler le stade." Les mots sont de Morgan Schneiderlin, révélation de la Premier League 2013/2014 en tant qu'holding midfielder d'une étonnante équipe de Southampton. Le Français explique ainsi son tweet incendiaire du 29 juillet, jour où les dirigeants des Saints lui signifient que ses envies d'ailleurs trouveront systématiquement une fin de non recevoir. L'Alsacien est coupable d'avoir trop tardé dans les travées du St Mary's Stadium, pendant que Rickie Lambert, Adam Lallana, Luke Shaw, Calum Chambers et Dejan Lovren allaient voir si l'herbe était plus verte sur les pelouses du Big Four.
Privé de la plupart de ses key players, mais aussi de son entraîneur Mauricio Pochettino parti redresser des Spurs qui ne savent toujours pas comment jouer au foot sans Gareth Bale, le club de Southampton est présenté comme un oiseau pour le chat. Pour la surprise de la défunte saison, les bookmakers prédisent plus souvent un retour en Championship qu'une qualification européenne. L'arrivée de Ronald Koeman au poste de manager n'est pas de nature à rassurer les fans des Saints, qui pointent les bilans faméliques du Néerlandais lors de ses deux précédentes expériences hors de ses frontières nationale (55% de victoires à Benfica, 32% seulement à Valence). Bref, le St Mary semble voué au naufrage. Et pourtant, après huit journées de championnat, Southampton toise Chelsea et Manchester City sur le podium de la Premier League après avoir claqué huit buts dans un match surréaliste face à Sunderland. Les Saints se sont relevés avant même d'avoir eu le temps de tomber. Autopsie d'un départ miraculeux.
Un hockeyeur sur glace et des départs en série
La belle histoire de Southampton entonnait déjà les premières notes de son générique de fin. C'est en janvier dernier que l'aventure tourne mal. Nicola Cortese, homme de confiance de Liebherr du défunt propriétaire des Saints, dépose sa lettre de démission sur le bureau de Katharina Liebherr, fille de. À sa place, la nouvelle maîtresse des lieux installe Ralph Krueger, connu de l'autre côté de l'Atlantique pour sa carrière de… hockeyeur sur glace. Un choix qui sent le soufre pour les Saints, le nouveau président canadien étant également connu pour son redoutable sens des affaires. Épurer les dettes avant de retirer les deniers familiaux du St Mary's Stadium, voilà qui semble être le plan de Katharina Liebherr. Un plan qui ne cadre évidemment pas avec les envies sportives d'un club qui se plaît à titiller le Big Four.
Faiseur de miracles dans la grande cité portuaire du Hampshire, le coach argentin Mauricio Pochettino sent le vent tourner et accepte donc l'offre de Tottenham. Les Saints lâchent leurs joueurs les uns après les autres, et empochent 119 millions d'euros avec la vente de toutes leurs stars. Seul Jay Rodriguez, blessé de longue date, reste au St Mary's Stadium. Et Schneiderlin, donc, retenu après l'arrivée d'un Ronald Koeman qui n'imagine pas sa reconstruction sans le Français au centre de son 4-3-3 sauce hollandaise. En vrai, la doublure de Cabaye chez les Bleus est presque le seul titulaire à rester dans un noyau tellement mince qu'il ressemble plus à un pépin. Le tweet d'un Koeman "prêt pour l'entrainement" devant un terrain rempli de cônes mais vide de joueurs suscite d'ailleurs les moqueries de la Perfide Albion.
Le bâtisseur de Feyenoord
Koeman ne s'embarrasse pas des railleries et des odeurs de relégation qui planent au-dessus de Southampton. Le Néerlandais a échoué à Benfica et Valence, mais a ressuscité en trois saisons un club de Feyenoord qui semblait perdu pour les sommets de l'Eerdivisie. Koeman est un bâtisseur, et son noyau de Rotterdam avait fini par être le fournisseur principal des Oranje de Louis van Gaal, médaillés de bronze sur les pelouses brésiliennes, avec cinq joueurs : Stefan de Vrij, Bruno Martins Indi, Daryl Janmaat, Terence Kongolo et Jordy Clasie.
Fort de cette réussite nationale, Ronald a donc pris son frère Erwin dans ses valises pour traverser la Manche, et emmené un peu d'Eredivisie sur les côtes du sud de l'Angleterre. La mission est finalement la même qu'à Rotterdam, mais avec de l'argent à dépenser. Beaucoup d'argent. Dusan Tadic, virevoltant Serbe de Twente, a débarqué contre la somme de 14 millions d'euros. Graziano Pellè et ses 55 buts en 76 matches à Feyenoord n'en ont coûté "que" dix, et Toby Alderweireld, ancien du championnat néerlandais que Koeman a eu l'occasion de suivre de près avant son départ pour l'Atlético, arrive en prêt.
Les signatures du prometteur Mané, du chevronné Shane Long, du solide Forster entre les perches et du Roumain Gardos font monter la facture à 73 millions d'euros. De quoi classer les Saints parmi les clubs les plus dépensiers de l'été, tout en approchant les 50 millions de bénef' grâce aux transferts sortants. Restait à faire prendre la sauce assez rapidement pour éviter de se compliquer la vie. Et la mission semble déjà réussie.
Pochettino, Beattie et un vainqueur anonyme de C1
Après cinq rencontres, Southampton avait déjà prix dix points. Tout simplement le meilleur départ de l'histoire du club du Hampshire en Premier League. Le conte de fées s'est poursuivi tout au long d'un mois de septembre également marqué par une victoire retentissante en League Cup sur la pelouse d'Arsenal. Dans les travées de l'Emirates, les fans des Saints donnaient de la voix et chantaient leur amour à coups de "Who the fu** is Pochettino?" à un début de saison tellement beau qu'ils semblent déjà avoir tourné la belle page argentine.
Les Saints sont sur le podium, dans le sillage des deux ogres multi-millionnaires que sont Chelsea et Manchester City. Deux mois après l'avoir moqué, toute l'Angleterre n'a plus que Southampton à la bouche. Ronald Koeman imite son prédécesseur en remportant le titre d'entraîneur du mois, un peu moins d'un an après Pochettino. Graziano Pellè, tout juste devenu international italien grâce à ses buts de Saint, succède lui à James Beattie, dernier à avoir raflé le titre de Player of the month sous les couleurs de Southampton. C'était en novembre 2002.
L'Italien, finisseur qui vit des ballons envoyés on the box depuis les ailes, se régale des offrandes de Tadic et Mané dans le 4-3-3 mis en place par Koeman. Dans l'entrejeu, Schneiderlin contrôle et oriente, qu'il soit entouré par Cork, Wanyama ou Ward-Prowse. Et derrière, Toby Alderweireld s'est installé aux côtés de José Fonte dans une arrière-garde complétée par Ryan Bertrand, tout de même vainqueur de la Champion's League 2012, et Nathaniel Clyne, à qui des prestations étincelantes sur le côté droit de la défense des Saints ont valu les félicitations de Roy Hogdson et une première sélection chez les Three Lions.
Targett, dernier joyau du centre
Et puis, il y a Matt Targett. 19 ans, latéral gauche, et pur produit du centre de formation, qui conteste déjà la place de titulaire de Ryan Bertrand. Surtout, Targett perpétue la tradition du centre de formation des Saints, sans doute l'une des plus beaux joyaux de la couronne en la matière. Luke Shaw, Calum Chambers et Adam Lallana étaient les derniers illustres représentants d'un Hall of Fame où s'affichent aussi les portraits d'Alan Shearer, Matt Le Tisser, Theo Walcott, Alex Oxlade-Chamberlain et évidemment Gareth Bale, le Saint qui valait cent millions.
La formation made in Hampshire, c'est la cerise sur un gâteau pâtissé à coups de millions par un Néerlandais qui a su flairer les bons coups. Un départ qui fait pleuvoir les louanges, mais qu'il faut évidemment relativiser à la lumière d'un calendrier clément. Certes, les Saints ont conquis seize points en huit rencontres, mais les deux seuls "ténors" passés sur leur route - Liverpool et Tottenham - leur ont valu autant de défaites. Reste que Southampton a presque déjà assuré un avenir en Premier League que d'aucuns prédisaient incertain. Tout ça avec un hockeyeur sur glace, un coach néerlandais qui ne s'exporte pas et un buteur venu d'Eredivisie.
Heureusement pour les Saints, Graziano Pellè a préféré marcher dans les traces de Ruud van Nistelrooy ou Robin van Persie plutôt que dans l'ombre embarrassante de l'éphémère Afonso Alves. Et a redonné l'envie au monde du ballon rond de regarder ces Saints qu'on ne pensait plus voir.
Guillaume Gautier