Saúl Niguez, l'ivresse du devoir
A vingt-et-un ans seulement, le milieu de terrain de l'Atlético Madrid est en train de se muer en titulaire potentiel de Vicente Del Bosque à l'Euro. Portrait.
- Publié le 14-04-2016 à 17h04
- Mis à jour le 14-04-2016 à 17h31
A vingt-et-un ans seulement, le milieu de terrain de l'Atlético Madrid est en train de se muer en titulaire potentiel de Vicente Del Bosque à l'Euro.
Stade Vicente Calderon, 36e minute d'une rencontre où le Barça est étouffé par le pressing cannibale imposé par l'Atlético. C'est à ce moment précis de l'Histoire que Saúl Niguez décoche un délice d'extèr', qui permet à Antoine Griezmann d'ouvrir le score. Plus que la superbe tête du Français, c'est donc la passe décisive délivrée par son équipier espagnol qui ravit un public en pleine crise d'hystérie. Une frénésie qui frappe évidemment Diego Simeone, tout aussi extatique de voir son poulain offrir ce but à son attaquant. Car malgré une jolie petite gueule de papier glacé, Saúl Niguez, c'est l'incarnation du foot à la sauce Cholo: sens du sacrifice, collectif fraternel, aisance technique et envie de tout dévorer. Un joueur tout terrain qui malgré trois saisons au top niveau sous le maillot rojiblanco ne compte toujours aucune sélection avec l'équipe nationale espagnole. Une véritable ineptie de la part de Vicente Del Bosque, qui risque d'en avoir plein la moustache d'ici l'Euro vu la forme affichée par les matelassiers madrilènes.
Un apprentissage chez l'ennemi
Impossible aujourd'hui de dissocier Saúl de l'Atléti, tant le joueur semble imprégné de la philosophie de ce club. C'est pourtant bien chez le grand frère du Real que le natif d'Elche (il est né dans cette ville proche de d'Alicante le 21 novembre 1994) connaît ses premiers frissons foot à huit ans. Sauf que l'expérience s'avère cauchemardesque pour lui: "Sportivement, ça allait bien mais il y a eu ces choses extra sportives que ne peut pas vivre un enfant de cet âge", explique-t-il dans le quotidien El Mundo. "Ils m’ont volé mes chaussures, ma nourriture, ils m’ont interdit l’accès au centre d’entraînement de Valdebebas pendant deux semaines pour des choses que je n’avais pas faites. Ils ont transmis une lettre au coach en disant que c’était moi qui l’avais écrite."
Une ambiance American Pie qui pousse le gamin à faire volte-face en 2008, à treize ans seulement. Il quitte donc la royale Fábrica pour rejoindre le centre de formation des Colchoneros. Lubie d'un ado en crise ? Non, une décision réfléchie, qui permettra à l'Espagnol de parfaire son apprentissage dans un club qui n'a pas pour ambition de recruter tout ce qui se fait de plus glam' sur la planète foot, mercato après mercato. Un choix évident pour lui. "Pour moi, l'Atlético, ce n'est pas seulement un écusson, un emblème", dit-il, toujours à El Mundo. "Ce sont des valeurs, un art de vivre. Humilité, travail, sacrifice, unité, une équipe forte." Bref, des qualités que possède le jeune Niguez, qui se frotte dès 2011 au foot pro en Segunda División B, soit la troisième division espagnole. Idéal pour s'endurcir quand on n'est pas encore "fini" physiquement...
Sérieux à dix-sept ans
La réserve, c'est bien. Mais l'équipe première, c'est mieux. Surtout quand on est un jeune gars de dix-sept ans plein de confiance. En mars 2012, il joue ses premières minutes sous le maillot rouge et blanc contre Besiktas. Depuis le banc ou (un peu) sur le pelouse avec les Costa, Courtois et autre Gabi, il apprend, s'imprègne du football madrilène, de cette façon d'étouffer l'adversaire, de cette magie qui se dégage du noyau et du coaching de Simeone. C'est le 21 avril 2013 que celui-ci fait basculer le destin de Niguez, en le faisant rentrer en Liga à la place de Koke, une autre pépite rojiblanca aux pieds d'or. Tout un symbole, comme pour prouver toutes les ressources que possède ce club qui se tape joliment l'incruste entre le Real et le Barça, avec un budget de prolo comparé à ses rivaux.
Pas encore assez aguerri pour l'exigeant Simeone, mais déjà trop bon pour l'équipe B, il est prêté au Rayo Vallecano à dix-huit ans et le jeu tout en circulation de Paco Jemez. Son talent se révèle encore un peu plus: milieu défensif, offensif, excentré, voire même défenseur central, Niguez se mue en véritable couteau suisse. "Il a le niveau technique pour jouer partout sur le terrain", dit le divin chauve du Rayo à Te Interesa. "Physiquement, c'est un crack, qui couvre beaucoup de terrain. Il aime venir de la deuxième ligne. Or, l'Atlético possède des joueurs qui eux aussi aiment venir de là et Saúl est l'un d'entre eux, car il a une bonne détente et un jeu aérien efficace (NdlR: à l'heure actuelle et avec 3,6 duels gagnés par match, personne ne remporte plus de duels que lui dans ce domaine, et ce malgré un "petit" 1,83 mètre)." Chez les Franjirrojos, il bosse comme un taré, améliore son jeu de position, apprend à mieux lire le jeu. Trente-sept matches et deux buts plus tard (à seulement dix-neuf ans), il revient au bercail, adoubé par Señor Simeone himself...
Le rouge et le blanc
Le retour de l'enfant prodige débute en même temps que la saison 2014-2015, avec une Supercoupe d'Espagne glanée face au Real pour débuter. L'Atlético a perdu Filipe Luis, Thibaut Courtois et Diego Costa, tous partis à Chelsea. Auréolé de son titre de champion et d'une finale au dénouement cruel face au Real, l'Atléti est en train de vivre la fin de sa belle histoire, selon certains... Oui, mais non, car outre un recrutement intelligent et ciblé, les matelassiers récupèrent donc leur médian. Un gars moins doué ou génial que Koke, mais plus agressif, plus percutant, plus physique que le donneur d'assists attitré du club. Il confirme tout le bien qu'on pense de lui en marquant lors de sa première titularisation, face à Séville.
Mais son chef d'oeuvre cette saison, il le livre face... au Real, le rival, le club où ses "camarades" lui en ont fait baver quelques années auparavant, en claquant un retourné d'anthologie à Iker Casillas. Lequel se prendra trois autres buts dans la valise. Une humiliation pour les Merengues d'Ancelotti, qui prennent une leçon de football de la part des gars de Simeone. Saúl Niguez n'est pas titulaire ce jour-là. Non, il remplace un joueur blessé après dix petites minutes à peine. Ce joueur s'appelle Koke. Comme si les deux hommes étaient intimement liés...
Arda Turan et Mario Suarez partis, deux places se libèrent sur l'échiquier diabolique de Simeone. Saúl, lui, sort d'une saison à quatre buts et deux passes déc' pour une moyenne d'une mi-temps jouée par match. Pas mal donc pour un garçon qui apprivoise le top niveau en Ligue des Champions notamment. Reste à savoir s'il est mûr pour une place de titulaire, surtout dans l'axe, son terrain de jeu préféré. Mais dans le jeu très axial prôné par Simeone, on ne se taille pas un fauteuil à un si jeune âge, peu importe le talent. "Jouer au milieu, c'est difficile", dit d'ailleurs l'Argentin à El Pais. "Ce n'est pas un hasard si Gabi est à son meilleur niveau à la trentaine, Tiago à trente-quatre ans, Pirlo à trente-cinq à la Juve, que Xabi Alonso est aussi au top et que Busquets a une calculatrice dans la tête. Ce n'est pas facile d'être médian."
Pas question d'envoyer le petit au casse-pipe, donc... Le milieu sera cadenassé par les "vieux" Espagnol et Portugais, tandis que Saúl sera lui excentré. La grave blessure du second lui permet néanmoins de s'essayer dans cet art délicat, avant que l'arrivée d'Augusto Fernandez ne l'exile à nouveau sur les ailes. "Il a ce statut bâtard, où il comble les trous en cas d'absence", explique à la Dernière Heure Robin Delorme, qui suit la Liga pour le magazine So Foot. "Le souci avec ces joueurs polyvalents, c'est qu'ils ont parfois plus de difficultés à passer un cap. (...) Vu que Simeone n'a pas de système fixe de jeu, avec des joueurs qui changent de poste, y compris en cours de rencontre, cette qualité de Saùl plaît." Se perdra-t-il à vouloir trop en faire ? Qu'importe ! Le voilà désormais titulaire d'une équipe "coup de coeur", qui parvient à se faire aimer malgré son jeu réputé défensif, qui broie ses adversaires tel un anaconda sur Jon Voight dans le film du même nom avec Jennifer Lopez et Ice Cube.
Seule ombre au tableau: une carrière internationale qui ne décolle pas, malgré une belle cote en Espagne, huit buts et trois assists cette saison. La faute à un entêtement de Vicente Del Bosque à opter pour des joueurs qui ne prestent pas tels que Pedro, Juan Mata ou Cesc Fabregas. Des choix étonnants, surtout quand on sait le grand défi qui attend la Roja en France, après le fiasco brésilien. Régulier chez les Espoirs, il doit pour l'instant se contenter de convocations sans suite face au Costa Rica en amical et en qualif' contre le Bélarus. Pour l'instant. A vingt-et-un ans à peine, le temps joue pour Saúl, le bosseur au coeur gros comme ça, mais dont la patience est inversément proportionnelle à son ardeur au travail. C'est dire si le bonhomme est pressé de voir si le rouge et le jaune lui vont bien au teint...
Aurélie Herman