Le 50-50 de Ludovic Butelle: "Sans un coup de fil du médecin, je ne serais plus là"
Pour le cinquième volet de notre rubrique "50-50", nous avons donné la réplique à Ludovic Butelle. L'ex-gardien de Valence et de Lille a connu une carrière à rebondissements avant d'en arriver à disputer une finale de Coupe de Belgique. Entre Valence et Angers, en passant par Claudio Ranieri et Santiago Canizares, il y eut une mort évitée de peu. Entretien.
- Publié le 18-03-2016 à 10h42
- Mis à jour le 18-03-2016 à 13h23
Après Vanhaezebrouck, Berrier, Ferrera et Depoitre, pour le cinquième volet de notre rubrique "50-50", nous avons donné la réplique à Ludovic Butelle. L'ex-gardien de Valence et de Lille a connu une carrière à rebondissements avant d'en arriver à disputer une finale de Coupe de Belgique. Entre Valence et Angers, en passant par Claudio Ranieri et Santiago Canizares, il y eut une mort évitée de peu. Entretien.
"Vous venez interviewer qui ? Ah, Ludo, ça c'est un bon client. Vous devriez avoir toute la matière que vous souhaitez". Voilà comment nous sommes accueillis à Bruges lorsque nous nous présentons à l'entrée du Jan Breydel Stadion pour rencontrer le gardien français des Gazelles. Les promesses seront tenues et le portier du Club nous lâchera un premier grand sourire dès la poignée de main. De quoi confirmer tout le bien qu'on avait entendu sur ce trentenaire sympathique et disponible qui a pris tout le temps nécessaire pour se prêter au jeu du 50-50. Et tant pis pour son cours d'anglais qui aura débuté avec du retard, ce jour-là...
1 | La première personne qui vous a lancé comme pro est bien connue en Belgique: c'est Albert Cartier. Quels souvenirs gardez-vous de lui ?
J'ai reçu un appel alors que j'allais au lycée, vers huit heures. Mon portable sonne, je ne connais pas le numéro, mais je décroche. C'est Albert Cartier qui m'explique qu'on a choisi de me nommer numéro 3 et que je vais reprendre avec les professionnels. J'étais étonné. C'est le premier contact que j'ai eu avec lui. Dans le groupe, j'ai découvert quelqu'un de franc, d'honnête, de travailleur. J'ai toujours eu de bons rapports avec lui. Il a fait du bon travail dans les clubs par lesquels il est passé, même si à Metz c'était plus compliqué. Mais il y est revenu, en National, avant de remonter en Ligue 1. C'est quelqu'un qui ne lâche pas. Il a un gros caractère, dans le bon sens du terme. Je n'ai que de bons souvenirs. Lors de ma deuxième saison, j'ai eu du temps de jeu grâce au départ de Jacques Songo'o à la CAN. Après, il y a eu un changement d'entraîneur. J'avais dix-huit ans à l'époque. Les nouveaux coaches m'ont mis titulaire, mais le président a ensuite préféré remettre Songo'o dans les buts, car j'étais trop jeune et on jouait le maintien. Il avait peur de me brûler les ailes, car je n'avais pas d'expérience. C'est sous Jean Fernandez que j'ai commencé à être titulaire en Ligue 2, puis en Ligue 1. Je suis ensuite parti en Espagne.
2 | Et comment apprenez-vous qu'un club comme Valence s'intéresse à vous ?
Au départ, ils sont venus visionner les matches pour recruter un attaquant: Emmanuel Adebayor. On avait une équipe très jeune, vu que Metz forme beaucoup de joueurs. Un jour, sur le parking, un recruteur est venu me voir avec un papier. Je pensais qu'il voulait un autographe. Puis il me montre sa carte en m'expliquant qu'il est scout pour Valence. J'étais étonné et content de savoir qu'un club comme ça s'intéressait à moi. Mes agents et le club sont entrés en contact et ils m'ont exposé leur projet sportif. Plein de clubs étaient sur moi, car je n'avais pas encore de contrat pro, j'étais toujours un espoir. Il y a eu des problèmes entre mes agents et le président de Metz. Aucun accord n'a été trouvé pour que je signe mon premier contrat chez eux, je suis donc parti en Espagne.
3 | Il y a alors cet accident…
J'arrivais avec une belle cote: j'étais gardien titulaire en équipe de France espoirs et titulaire en Ligue 1, donc on parlait beaucoup de moi. Je découvrais un grand club espagnol qui avait gagné la Liga et la Coupe d'Europe. J'avais l'opportunité de m'entraîner avec des joueurs de classe mondiale, de côtoyer deux grands gardiens comme Palop et Canizares. Benitez m'avait fait venir, puis il est parti et Ranieri est arrivé, mais il ne me connaissait pas. Il m'a dit de faire mes preuves en stage et qu'on verrait si je restais ou si j'étais prêté. A la fin du stage, il me dit: "Hors de question qu'on te prête, tu restes avec nous, tu vas apprendre avec Andrès et Santi". Lors de la rencontre de présentation, juste avant le début de saison, chaque gardien devait jouer une demi-heure. Moi, je n'ai joué que cinq minutes. Je me suis blessé grièvement et j'ai été éloigné des terrains pendant onze mois (NdlR: en plein match, il heurte violemment l'attaquant de Parme Tonino Sorrentino et s'éclate la rate, qui lui sera finalement retirée).
4 | On annonçait alors la fin de votre carrière. Comment avez-vous géré cela psychologiquement ?
C'était dur. Au début, plus que ma carrière, c'était surtout ma vie qui était en jeu. Vous arrivez dans un nouveau pays, vous ne parlez pas la langue et les Unes des journaux se résument à "Butelle entre la vie et la mort". Quand la famille arrive à l'hôpital, ils sont assaillis par les questions des journalistes et les flashs crépitent dès que les portes s'ouvrent. Ma famille était stressée. Moi, j'étais dans un état où je ne me rendais pas trop compte, je ressentais une grande douleur. Je n'ai pas été dans le coma, mais j'ai perdu connaissance sur le terrain. A l'hôpital, j'étais conscient, le médecin me parlait, il m'expliquait ce qui s'était passé, ce qu'ils allaient faire. Au départ, ils pensaient plus à un hématome. Mais le médecin a rappelé le chirurgien dans la nuit et sans cet appel, je ne serais plus là, car c'était une hémorragie. Le sang arrivait au poumon et il fallait opérer d'urgence. Il a fallu être costaud, il a fallu accepter, mais je n'avais pas le choix. Il faut être bien entouré, aussi. Le club et les joueurs ont été formidables avec moi et ma famille. Quand j'étais à l'hôpital, ils ont essayé de distraire ma femme, de lui faire visiter Valence. C'était ensuite une longue récupération. Il y a eu des hauts et des bas. Mais je suis quelqu'un qui a un fort caractère. Et voila, ça m'a servi.
5 | Vous avez repris après combien de temps ?
J'ai repris les entraînements après, huit, neuf mois. J'ai eu une infection, car la cicatrice s'est mal refermée. Cela m'a fait perdre encore un peu de temps. Il fallait repartir de zéro. J'ai connu une grosse perte de poids, déjà que je n'étais pas très gros. Il a fallu prendre le temps. Mais le club a été très patient, a mis les meilleurs médecins à ma disposition. Il a fallu travailler, ne pas baisser les bras. Ce n'était parfois pas évident. Quand on vous jette juste un ballon et que vous n'arrivez pas à le rattraper… Au début, vous craignez les frappes et les faux mouvements. C'était difficile, mais ça m'a servi, car ça m'a endurci et ça m'a donné une autre vision de la vie.
6 | Qu'apprend-on d'un gardien comme Canizares ?
Beaucoup de choses. Le professionnalisme, déjà. C'est quelqu'un qui arrivait avant tout le monde, qui passait du temps à la musculation, pour s'étirer. Il prenait soin de son corps. Il avait une sacrée hygiène de vie. J'ai eu la chance d'avoir une très bonne relation avec lui. Avant, il parlait peu aux autres gardiens mais je ne sais pas pourquoi, avec moi, le contact est bien passé. On avait une relation de confiance. C'était super de pouvoir observer les faits et gestes de Canizares et Palop, car ils étaient de grands gardiens.
7 | Vous avez connu Claudio Ranieri, aujourd'hui à Leicester. Ca vous fait quoi de le voir au top ?
Ca me fait très plaisir, car c'est quelqu'un d'extraordinaire, de très simple, toujours à protéger ses joueurs. Je l'ai côtoyé à Valence, puis j'ai rejoué contre lui quand il était à Monaco, avec le même staff. J'ai eu beaucoup de plaisir à le revoir et lui aussi de voir que j'ai pu retrouver le terrain. Il a de grandes qualités d'entraîneur, avec une solide réputation. Il est en train de le prouver avec une équipe sur laquelle personne ne pariait un euro. Il a réussi à créer une atmosphère de confiance qui se dégage de cette équipe. C'est le fruit du travail et c'est quelqu'un qui n'a pas baissé les bras malgré toutes les critiques.
8 | Vous avez aussi connu Quique Sanchez Flores…
Oui, c'est lui qui m'a promu doublure de Canizares. Il n'a pas le même staff à Watford. Il était très jeune à l'époque, juste après son passage à Getafe. Il a su redresser le club. Chaque année, on était en Ligue des Champions. Malheureusement, on avait le Barça et le Real devant nous et c'était compliqué de rivaliser. Mais chaque année, notre objectif était d'être en Ligue des Champions et on y arrivait. Il ne baissait jamais les bras. Il essayait que son équipe joue, on devait sortir le ballon proprement, se procurer des occasions, prendre du plaisir. Ce qu'il fait à Watford, c'est très bien, car c'est un autre football. Et ce n'est jamais évident pour un coach étranger de s'imposer comme il l'a fait.
9 | Il y avait cette volonté de jouer "à l'espagnole"…
En Espagne, tout le monde joue comme ça ou presque. C'est un jeu au sol, avec des passes rapides, des déplacements, de la technique. Il y a beaucoup de jeu au pied pour les gardiens. C'est un atout pour nous d'avoir une bonne relance donc j'essaye de continuer comme ça. Même ici à Bruges, le coach des gardiens fait beaucoup d'exercices pour le jeu au pied.
10 | Au-delà de la blessure, il y a eu une autre période plus trouble en Espagne, quand vous enchaînez les prêts pas forcément heureux.
Le seul point noir en Espagne, c'est mon prêt à Valladolid, où je ne voulais pas aller, tout simplement (sourire). Je ne voulais pas aller dans un autre club espagnol, car avec ma famille, ce n'était pas évident de s'intégrer dans une nouvelle ville, où je n'avais pas d'attaches. Je préférais rentrer en France, en Ligue 1, où il y avait des clubs qui s'étaient manifestés pour faire de moi leur numéro 1. Valence a insisté pour que j'aille à Valladolid. J'ai commencé en tant que numéro 1, puis ça s'est dégradé avec le coach des gardiens, puis le coach principal et au final, j'ai passé une année très compliquée.
11 | Vous obtenez finalement votre retour en France en 2008, ce qui relance votre carrière.
Je voulais revenir en France pour ma famille. J'ai eu l'opportunité d'aller à Lille, qui a très bonne réputation, et on me proposait du temps de jeu. Mais je suis arrivé quand l'équipe gagnait, donc le coach ne pouvait pas tout changer. Je l'ai tout à fait compris. Il m'a dit de me tenir prêt et de saisir ma chance quand elle se présenterait. En fin de saison, il m'a donné le poste de titulaire et ça s'est bien passé, puisqu'on a fini européen après, on a d'ailleurs joué le barrage d'Europa League contre Genk. Je leur ai alors demandé ce qu'ils voulaient faire de moi, vu que j'étais toujours en prêt. Je me suis arrangé pour résilier mon contrat avec Valence, afin d'arriver gratuitement, car ils voulaient faire de moi le numéro 1. Mais au final, à deux jours de la reprise, Mickaël Landreau est arrivé. Je me suis retrouvé doublure. Un gros coup dur, mais il s'est blessé (NdlR: aux ligaments croisés) avant le championnat, donc j'ai joué le début de saison. Mais le discours tenu par le coach de l'époque (NdlR: Rudi Garcia) ne m'a pas convenu et mes prestations n'étaient pas bonnes. Bref, une deuxième saison compliquée. Alors j'ai carrément fait le choix de trouver un club en Ligue 2, pour être certain d'être titulaire, d'avoir du temps de jeu et de montrer mes qualités. Ce que j'ai pu faire à Nîmes, Arles-Avignon et Angers, où cela s'est bien passé.
12 | Vous avez été élu trois fois d'affilée meilleur gardien de Ligue 2, ce n'est pas frustrant de rester dans l'ombre malgré tout ?
Le problème des gardiens, c'est qu'il y a ce jeu de chaises musicales et que si aucune place ne se dégage, on ne peut pas obtenir le transfert parfois souhaité. J'ai eu l'opportunité de partir, mais cela ne s'est pas fait. J'ai préféré continuer à m'épanouir en Ligue 2. Mon but était de trouver un club qui voulait monter, avec de bonnes infrastructures. A Arles-Avignon, j'ai passé trois saisons magnifiques, car c'est là que j'ai retrouvé le plaisir de jouer. J'y ai effectivement été élu trois fois meilleur gardien du championnat. Puis Angers s'est manifesté et c'est un club qui jouait chaque année la montée, mais la ratait de peu. Je me suis dit que c'était peut-être la bonne équipe. Le discours avec le coach, le président et le directeur sportif était très clair et j'ai eu un bon feeling. Au final ça s'est bien passé puisqu'on est monté dès la première année. C'était parfait.
13 | Comment ça se passe, au moment où Bruges vous approche ? Vous aviez dit vous-même ne pas vous attendre à partir d'Angers cet hiver…
Non, je ne m'y attendais pas. On restait sur six mois exceptionnels pour un promu, on était deuxième du classement derrière le PSG. Après, Bruges a contacté mes agents et ils ont fait part de leur intérêt. Mes agents ont directement dit qu'il fallait qu'Angers soit d'accord et j'en ai parlé avec le coach et le président en expliquant que j'avais l'opportunité de rejoindre un club qui joue le titre et la Coupe d'Europe chaque année. A trente-trois ans (il ne les fêtera que le 3 avril prochain, NdlR) c'est une opportunité extraordinaire, je me suis battu pendant de longues années pour retrouver mon niveau. Le club a dit qu'il était hors de question de me bloquer, car j'avais rendu des services mais il y avait tout de même une condition: que l'offre de Bruges soit suffisamment intéressante pour Angers et qu'ils puissent trouver un autre gardien avant de me laisser partir. Donc j'ai laissé les clubs travailler, j'ai continué à me concentrer sur Angers, mais quand tout le monde est tombé d'accord, le transfert s'est finalisé rapidement.
14 | Il y a eu beaucoup de critiques en France suite à votre départ dans un championnat de moindre importance… Certains méprisaient votre choix.
Je ne pense pas qu'il y avait du mépris, mais plutôt de la déception de me voir partir alors qu'on était deuxième du classement. En France, le championnat belge n'est pas suivi et donc, certains supporters se demandaient pourquoi partir du club deuxième de Ligue 1 pour la Belgique. J'ai simplement répondu que je rejoignais un club qui jouait la Coupe d'Europe et le titre. Sportivement, la probabilité était plus grande de jouer le haut du tableau à Bruges. Même si Angers était deuxième, le véritable objectif était le maintien. Après, financièrement, l'offre de Bruges était meilleure, mais c'est surtout sportivement que le choix était évident. D'ailleurs les dirigeants d'Angers m'ont défendu par la suite, car je n'avais pas mis la pression pour partir, j'avais simplement envie de prendre cet énorme cadeau qu'on m'offrait mais j'étais prêt également à finir la saison en France.
15 | Vous avez reçu d'autres offres ? On a lu certaines rumeurs sur le PSG et une place de deuxième gardien…
Certains médias l'ont écrit mais bon, la vérité, c'est que j'avais surtout le choix entre une prolongation de contrat à Angers et une nouvelle aventure au FC Bruges. Le reste n'était pas vraiment concret…
16 | Et puis vous étiez plutôt supporter de Marseille…
En effet, dans mon quartier quand j'étais jeune, l'OM avait une meilleure cote que le PSG.
17 | Ce choix de venir jouer le titre et la Coupe d'Europe en Belgique a-t-il pu être influencé par vos années passées sur le banc ou en revalidation ? Comme une volonté de rattraper le temps perdu ?
J'avais surtout goûté aux soirées européennes. Et forcément, dans ce cas, on a envie d'y participer à nouveau. Les stades, l'ambiance, la pression, l'adrénaline… Tout le monde a envie de jouer la Ligue des Champions. Même si je n'ai joué qu'un match de C1 dans ma carrière, j'ai été plusieurs années de suite sur le banc et j'ai vécu le stress d'une qualification en quart de finale. Ces soirées-là, avec cette musique, j'ai envie de les revivre. J'ai aussi joué en Europa League avec Lille et ce sont des compétitions auxquelles je voulais goûter à nouveau. Quand un club vous approche alors que ça fait plus de dix ans qu'ils jouent la Coupe d'Europe, tout en visant le titre… Tout le travail fait pendant plusieurs années pour retrouver mon niveau, en passant par la Ligue 2, a fini par payer et c'était l'occasion de le concrétiser via ce transfert. Et ce n'est pas fini parce que maintenant, il faut atteindre les objectifs de ce nouveau club.
18 | Vous gardez quoi comme souvenir de votre unique match disputé en Ligue des Champions ?
Qu'on a perdu (rires). C'était contre la Roma, on a perdu 1-0 sur un but de Panucci de la tête. Mais je retiens surtout que c'était une belle marque de confiance du club. Il m'ont fait goûter à un match de Ligue des Champions en tant que titulaire. On était déjà qualifié pour les huitièmes de finale et le coach a pris la décision de me titulariser à la place de Canizares. C'était une belle satisfaction de jouer ce match.
19 | Vous le savez sans doute mais en Belgique il n'y a qu'une place directement qualificative pour la Champion's League. Le deuxième du championnat a un tour préliminaire très difficile à disputer.
Oui, je me suis un peu renseigné et j'ai vu que Bruges avait dû affronter Manchester United en barrages cette saison. C'est comme ça, il faudra faire avec...
20 | Vous avez également dû apprendre à connaître le système des Playoffs…
C'est compliqué ! Dans tous les autres championnats, le premier est champion à la fin de la phase régulière. Mais les Playoffs laissent la porte ouverte à un grand sprint final. On m'a expliqué le système et maintenant je l'ai bien dans la tête. A nous de faire le maximum, comme les cinq autres équipes qui sont qualifiées.
21 | A Bruges, vous retrouvez la même atmosphère qu'à Valence, qui était aussi un club avec des objectifs importants ?
On voit tout de suite qu'on est dans un grand club, on est mis dans de bonnes dispositions, avec de bonnes installations et une technologie à notre service. Après, la pression est là mais elle était également présente à Angers, car se battre pour le maintien, ça n'est pas plus facile que de se battre pour le titre.
22 | Le fait d'être coaché ici par un ancien grand gardien a-t-il pu influencer votre décision ?
Pas vraiment, mais c'est un "plus", oui. Un bonus intéressant à prendre pour moi comme pour les autres gardiens du club, car on peut profiter de son expérience et de ses idées.
23 | Vous pouvez nous expliquer la méthode Preud'homme ?
C'est quelqu'un qui est proche de ses joueurs, qui fonctionne beaucoup à la confiance. Il est souriant aux entrainements, abordable et ouvert à la discussion. Ca crée une relation de confiance et de sérénité. Ce sont des choses importantes pour un groupe. Je pense qu'il a laissé une bonne image dans tous les clubs où il est passé et des deux côtés du pays, ce qui n'a pas l'air simple d'après ce que j'ai pu comprendre.
24 | C'est aussi quelqu'un de très méthodique…
C'est un ancien gardien ! Les matches peuvent se jouer sur des détails et le coach étudie tout et utilise tous les moyens mis à sa disposition par le club. Nous, les gardiens, on est plus dans le détail. On analyse en profondeur les adversaires, savoir qu'untel préfère tirer de ce côté, qu'un autre centre souvent en retrait, etc. Ca se ressent sur ses meetings, sa façon d'être. Et puis il a cette rage de vaincre et c'est un point fort pour l'équipe.
25 | A quel coach pourriez-vous le rapprocher ?
Ranieri… Mais tous les coachs que j'ai eus protégeaient leur groupe comme le fait Preud'homme ici. C'est quelqu'un qui manage très bien son noyau et ne laisse personne de côté. Et ses choix sont respectés par tout le monde. D'ailleurs, ça se voit, car quand il y a un certain turn-over, les résultats restent constants. Ca prouve son bon management.
26 | Plusieurs jeunes joueurs composent votre ligne défensive, est-ce que vous avez un rôle spécifique vis-à-vis de vos équipiers ?
Le gardien doit toujours communiquer avec sa défense. Quand ils m'ont fait signer ici, c'était notamment pour apporter mon expérience donc oui, j'essaye de parler pendant les matches et de diriger la défense. Je suis comme ça. On a aussi un capitaine de grande expérience et qui a beaucoup de charisme. Dans tout groupe il est important d'avoir des leaders…
27 | Vous en faites déjà partie ?
Je viens d'arriver donc je ne vais pas dire que j'en fais partie mais le poste de gardien demande une prise de responsabilité et beaucoup de communication. Je dois être décisif à ma façon et prouver aux autres que je suis là et qu'ils peuvent avoir confiance en moi.
28 | A propos d'être décisif, vous avez encaissé 0,58 but par match de Ligue 1 cette saison et 0,62 but par match de Jupiler League alors qu'Angers en prend 1,8 depuis votre départ et que Bruges en encaissait 1,19 avant votre arrivée…
C'est le travail d'un groupe et pas uniquement du gardien. Tout le monde a pris ses responsabilités et bien défendu. Sur les matches que j'ai joués pour l'instant ici, je n'ai pas été à chaque fois mis à contribution, mais j'ai été décisif quand il le fallait. Si je prends l'exemple du match contre Saint-Trond, j'ai eu un face à face à jouer, que j'ai arrêté en deux fois, mais pour le reste je n'ai rien eu à faire. Alors oui, les chiffres que vous me citez sont flatteurs, mais on ne peut pas s'y arrêter, car tout va très vite, au poste de gardien. On n'a pas le droit à l'erreur, on peut tout arrêter jusque la nonantième minute et faire perdre son équipe sur une erreur dans les arrêts de jeu. Il faut se remettre en question tout le temps, continuer à travailler et prendre du plaisir.
29 | Après une dizaine de matches en Belgique, que pouvez-vous dire du niveau de jeu ?
C'est une compétition très ouverte et assez tournée vers l'offensive. Il y a de belles équipes dont une qui m'a beaucoup plu quand j'ai regardé un peu les matches, c'est Charleroi. Une équipe qui joue beaucoup au ballon, un groupe qui donne l'impression de prendre beaucoup de plaisir, un coach qui m'a fait bonne impression, même si je ne le connais pas. Globalement, c'est un championnat plaisant à suivre pour les spectateurs et on voit que les stades sont souvent remplis. On a aussi pu voir La Gantoise bien représenter la Belgique en Ligue des Champions. Pour moi, c'est un bon championnat qui ne cesse de grandir.
30 | Ce dimanche, vous allez disputer votre première finale… Vous l'appréhendez comment ?
En pro, oui ce sera ma première finale en tant que titulaire mais j'ai joué la finale de la Gambardella (NdlR: Coupe de France des U19). C'est évidemment super de jouer une finale de Coupe. Il y a un titre à la clé et on jouera dans un stade de 50.000 personnes. On m'a aussi expliqué que Bruges-Standard, c'était le meilleur public de Flandre contre le meilleur public de Wallonie donc, je m'attends à une très bonne ambiance. C'est excitant car il y a un titre et un ticket européen à la clé…
31 | Dans l'équipe d'en face, il y aura un gardien qui a fait encore plus de bruit que vous en arrivant cet hiver…
Ah mais Victor Valdés n'est pas comparable à moi ! Valdés, c'est le top mondial, une grosse carrière, un gros palmarès. Je vais le revoir, j'ai déjà joué contre lui en Espagne. Pour la Belgique c'est une super publicité de pouvoir attirer un joueur de cette classe. Pour le Standard c'est un super atout, il va apporter son expérience aux autres gardiens. En France, le PSG a fait venir Zlatan et Di Maria. En Belgique, le Standard a fait venir Valdés. Chapeau.
32 | Ce serait également votre premier trophée professionnel…
Pas tout à fait car j'ai remporté la Supercoupe d'Europe avec Valence, contre Porto, même si j'étais déjà blessé à l'époque. C'était quelques semaines après mon arrivée et mon accident. C'est sûr que ce serait magnifique de pouvoir conserver ce trophée, surtout devant nos supporters qui ont acheté très rapidement tous les tickets mis en vente…
33 | Remporter ce deuxième trophée collectif chez les pros, alors que les années passent et que vous avez mis du temps à retrouver votre meilleur niveau, ce serait une forme de soulagement ?
Pas nécessairement un soulagement, car j'ai pris du plaisir aussi à décrocher le maintien dans certains clubs par lesquels je suis passé. Mais c'est sûr que c'est bien de laisser une trace et de poser son nom sur un palmarès. Et puis, remporter un trophée deux mois et demi après mon arrivée, ce serait beau.
34 | Lors de cette finale, le Standard aura une vraie soif de revanche et devra sauver sa saison !
C'est une finale, c'est une autre compétition. On ne pense pas vraiment "Playoffs 1" ou "Playoffs 2". Une équipe remportera un titre et l'autre sera déçue quoi qu'il arrive, peu importe le contexte en championnat. Avant de louper ces Playoffs, le Standard était bien revenu dans le coup donc ce sera malgré tout compliqué.
35 | C'est aussi une équipe que Preud'homme connait bien…
Oui, comme il connait toutes les équipes. Il l'a coachée, donc il connait peut-être certains joueurs mais les deux équipes vont de toute façon s'étudier.
36 | Une finale peut toujours se terminer aux tirs au but. C'est un exercice que vous appréciez ?
(Il réfléchit). On est obligé. S'il y a tirs au but, il faudra bien les jouer, mais c'est dommage qu'une finale se joue sur les tirs au but. Je ne me mets pas une pression supplémentaire avec ça.
37 | Vous avez côtoyé Mickael Landreau à Lille qui en avait fait une spécialité…
Le penalty, c'est au feeling. On choisit un côté et ça sourit ou pas… Contre La Gantoise j'ai pu en arrêter un, contre Genk je n'ai rien pu faire. C'est la loterie !
38 | L'année dernière, Bruges avait laissé beaucoup d'énergie dans l'épopée européenne. Cette saison vous avez presque cet avantage de pouvoir vous concentrer sur les Playoffs et la finale de Coupe exclusivement.
Les Playoffs, ce sont des matches très rapprochés et d'une grande intensité. Avec un enjeu direct, car on peut vite gagner ou perdre des points contre des concurrents pour le titre. Donc oui, ne pas devoir aller en Ukraine le jeudi pour revenir jouer le week-end, comme ils l'ont fait l'année dernière, ça évite la fatigue et ça limite les blessures. On va pouvoir soigner notre récupération et faire attention à notre hygiène, car tout va se jouer sur ces dix matches et ça serait bête de passer à côté.
39 | Parlons un peu de l'Euro, est-ce que vous pensez à aller voir des matches ?
Pourquoi pas, avec mon fils.
40 | Quand on voit que le troisième gardien de l'équipe de France est Ruffier ou Costil, il n'y a pas une petite pointe de déception pour vous de ne pas entrer en ligne de compte ?
Non ! C'est vrai qu'on m'a fait remarquer que ce poste de troisième gardien était souvent réservé à quelqu'un d'expérience mais non, il y a une hiérarchie qui est établie en France. C'est Lloris, Mandanda et Costil, puis il y a encore Ruffier et Areola. Ce n'est pas dans ma tête, même si on fait le doublé avec Bruges. Je n'ai jamais été pré-convoqué ces derniers temps, mais il faut dire que je viens d'un club qui était encore en Ligue 2. il y a quelques mois. Ma seule préoccupation est d'être performant en club, ce qui est un devoir quand on a un contrat et que des supporters se déplacent et payent pour venir vous encourager.
41 | Les Diables rouges vont affronter Ibrahimovic. Vous avez rendu une clean sheet face à lui, même s'il n'avait disputé que dix-huit minutes contre Angers… Vous avez un tuyau à donner à Thibaut Courtois ?
Non, mais Thibaut Courtois, c'est un gardien de classe mondiale, ce serait manquer de respect et d'humilité que de lui donner des conseils. Après, la Belgique est numéro 1 FIFA, il n'y a que des grands joueurs, qui évoluent dans des grands championnats. Mon pronostic, c'est que les Diables rouges vont remporter l'Euro. Après, ça sera ouvert, car il y a l'Italie, l'Espagne, l'Allemagne et bien sûr la France à domicile - que je soutiendrai évidemment - donc ce sera difficile mais quand je vois des De Bruyne, Hazard, Kompany, Mertens, Lukaku, Courtois… Ce sont des joueurs expérimentés et qui sont très, très forts…
42 | Justement, Courtois vous le placez à quel niveau de la hiérarchie mondiale actuelle ?
Dans le top 5 ! Devant lui je citerais peut-être Neuer, Buffon, Cech… (il réfléchit)... De Gea et Courtois. Ah et il y a encore Lloris et Oblak, qui fait une grosse saison à l'Atletico, sans oublier Bravo qui a été champion avec le Chili. Mais ceux-là, c'est sans doute pour le top 5 "bis". On a même découvert Sels, qui a fait de gros matches en Ligue des Champions, alors qu'il n'a que vingt-trois ans, Areola, Donnarumma, le gardien du Milan AC, qui n'a que dix-sept ans…
43 | Vous avez cité Hazard un peu plus tôt, c'est un joueur que vous avez vu exploser. Vous étiez notamment titulaire quand il s'est révélé à la France dans un match de Coupe contre Lyon, puis à l'Europe dans un match d'Europa League contre le Genoa…
C'était quelqu'un qui avait une facilité à éliminer son adversaire. Très rapide et puissant malgré son gabarit. Quand je suis arrivé à Valence et qu'on me posait des questions, je parlais souvent d'un petit qui était très fort. On me demandait "Qui ça ? Pablo Aimar ?" et je répondais "Non non, David Silva". Il ne s'était pas encore révélé et j'avais notamment vanté ses mérites avant son prêt à Eibar. Je me souviens que la balle ne bougeait pas de son pied gauche. Et plusieurs années plus tard, il est champion du monde et joue à Manchester City. A Lille, j'ai revécu la même chose, je prenais du plaisir à expliquer aux gens qu'il y avait un jeune de dix-sept ans qui était au dessus du lot. Ce sont les deux joueurs qui m'ont vraiment impressionné aux entraînements. Deux jeunes qui écoutaient les anciens, ce qui n'est pas toujours le cas. Et aujourd'hui, ce sont des joueurs de classe mondiale.
44 | Un autre joueur belge que vous connaissez un peu, c'est Michy Batshuayi. Qui lui, contrairement à Zlatan, vous a mis un but cette saison…
Ah oui, sur penalty ! En France, il est surtout critiqué parce qu'il garde beaucoup son ballon. Ca doit être énervant pour ses équipiers mais c'est sûr que c'est un joueur très important pour l'OM. Après, je ne suis pas dans le vestiaire marseillais mais quand je regarde la Ligue 1 sur mon canapé, je vois que les commentateurs sont unanimes: c'est un bon joueur, mais il garde trop son ballon.
45 | Et un dernier Diable rouge que vous connaissez bien et qui est en balance pour l'Euro: Thomas Meunier…
Thomas ? Il va y aller à l'Euro, c'est sûr! Il a tout le temps été appelé, c'est un super gars, avec une excellente mentalité et qui a un apport offensif important… En plus, il parle français, néerlandais, il n'aura aucun problème dans le vestiaire. Ses performances font qu'il est là et qu'il postule pour être dans les 23.
46 | Vous passez vos diplômes d’entraîneur en France et si vous n'aviez pas été footballeur, vous auriez aimé travailler avec des jeunes, dans l'éducation. Votre reconversion comme coach semble toute trouvée…
Je passe mes diplômes pour être entraîneur, effectivement. Puis on peut se spécialiser, notamment comme entraîneur des gardiens, ce qui me plait beaucoup. J'aime faire profiter de mon expérience et cette formation me permet aussi de garder un lien avec les clubs amateurs puisque je suis amené à y donner des formations. Pour ces petits clubs, c'est intéressant d'accueillir un pro et moi, ça me permet de rester connecté au monde réel. Pour les gens, être footballeur pro est synonyme de gros contrats, de filles, de soirées, etc. Mais là je suis surtout serein et posé, je profite de cette occasion pour donner des formations à des petits. Au final, tout le monde est gagnant, car ça me fait plaisir, ca donne du plaisir et de la publicité aux clubs où je vais et je prends de l'expérience en vue du diplôme.
47 | Quelle est la plus belle ville entre Angers et Bruges ?
Je n'habite pas à Bruges et je n'ai pas encore eu le temps de la visiter, mais je sais que c'est la Venise du Nord. Et Angers est une très belle ville également, mais je n'ai pas suffisamment vu Bruges pour choisir entre les deux.
48 | Racontez-nous cette fois où vous vous êtes blessé aux mains avec un pétard…
C'était un 14 juillet, je devais avoir treize ou quatorze ans. On jouait avec des pétards dans un jardin et il n'y avait plus de mèche sur l'une des fusées, mais je ne voulais pas la gaspiller. J'étais avec des copains et les parents faisaient un barbecue à côté. Forcément, sans mèche, ça a brulé tous mes doigts. Puis sur la route de l'hôpital, j'avais la fenêtre ouverte avec mes mains à l'extérieur de la voiture tellement ça brûlait. J'ai eu d'énormes bandages, comme des gants de boxe. Ca m'apprendra !
49 | Arriver au pays des frites, de la bière et du chocolat en pleine saison, quand vous devez surveiller votre hygiène de vie, c'est frustrant ou est-ce que vous n'êtes pas facilement tenté ?
Non, ça va. Déjà, je n'ai jamais touché à l'alcool. Après, c'est toujours agréable d'être dans une ville avec une bonne gastronomie, comme en France où on a aussi la chance de bien manger. Heureusement, on peut ne pas se priver de tout non plus, mais il faut éviter de se goinfrer, c'est sûr.
50 | On se moque parfois de l'accent français par rapport aux noms néerlandophones, vous en avez déjà fait les frais dans le vestiaire ?
Pour l'instant, ils se moquent surtout de mon anglais. Mais c'est de bonne guerre, c'est amusant et c'est important d'avoir une bonne ambiance dans le groupe, vu le temps qu'on passe ensemble.
> Entretien: Aurélie Herman et Nicolas Christiaens