Claude Makelele: les yeux dans le Bleu
L’ex-international français se livre peu. Pour nous, le T1 d’Eupen a accepté de le faire plus longuement.
- Publié le 15-09-2018 à 10h56
- Mis à jour le 15-09-2018 à 11h08
L’ex-international français se livre peu. Pour nous, le T1 d’Eupen a accepté de le faire plus longuement.
Claude Makelele, est-il compliqué de passer du stade de joueur de niveau international à celui d’entraîneur ?
"Cela commence par une réflexion personnelle. Le métier d’entraîneur demande que l’on maîtrise divers paramètres. Ce qui n’est pas le cas d’un joueur. Il faut devenir un médiateur. Savoir être un peu politique. Se situer. Veut-on être un homme de terrain ? Ou plutôt quelqu’un qui manage ? Je me suis assez vite trouvé. J’ai l’âme d’un formateur. Déjà joueur, quand j’ai commencé à prendre de l’expérience, je me suis volontiers occupé de mes jeunes équipiers. Je me souviens notamment, lorsque j’ai vu arriver Didier Drogba à Chelsea, je l’ai tout de suite emmené à la musculation. Il a compris en s’engageant dans le championnat anglais pourquoi j’avais insisté sur certains points liés à son impact physique."
Un joueur ne se préoccupe finalement que de lui. Un entraîneur doit penser à tout. N’est-ce pas là, la différence fondamentale ?
"Bien sûr. Maintenant, si vous voulez parvenir au plus niveau de jeu, non seulement il convient de réunir une somme de qualités, mais il est également nécessaire de travailler dur et de consentir de gros sacrifices. Par contre, quand on embrasse la carrière de coach, on n’a plus de vie ! L’entraîneur devient totalement tributaire des joueurs. Ce que nous réalisons a aussi un impact direct sur le travail fourni par les salariés du club. Sur l’image que projette le blason au niveau de la ville. De la région. Ces éléments-là n’intéressent jamais le grand public. Pourtant, ils existent."
Quand vous voyez votre ami et ancien équipier Zinedine Zidane hériter quasiment sans transition du Real Madrid, cela ne vous titille pas ?
"Dans ma vision, je sais que j’arriverai aussi à un stade similaire. Actuellement, le contexte eupennois me convient. Je peux donner libre cours à mon côté éducateur, comme je le disais. Le fait d’avoir été lancé dans le grand bain par M. Suaudeau au FC Nantes représente un atout. Jean-Claude Suaudeau était un remarquable formateur. Il m’a beaucoup influencé."
Est-ce l’entraîneur qui vous a le plus marqué ?
"Tous m’ont appris quelque chose. Comment pourrait-il en être autrement quand on a eu la chance d’évoluer sous la houlette de gens comme Del Bosque, Mourinho, Blanc ou Ancelotti ?"
José Mourinho est le plus starifié. Qu’a-t-il de particulier ?
"Vous vous doutez bien que les gens que je viens de citer sont des techniciens de très grande valeur. Forts. Tactiquement et psychologiquement. Concernant spécifiquement Mourinho, ce qui m’a épaté chez lui, c’est sa faculté de s’adapter à la mentalité des joueurs. Il ne faut pas oublier que nous vieillissons. Par contre, le vestiaire, lui, il rajeunit. On voit arriver des gamins. Il peut y avoir des conflits de générations. Mourinho s’adapte à ces choses-là. Sa vision du foot est sans cesse portée vers le futur. Il anticipe."
Pouvez-vous comparer votre travail à Eupen à celui de quelqu’un qui bosse à Manchester, au Real ou à la Juventus ?
"Non. Dans tous ces clubs, qui se hissent chaque année au moins en quarts de finale de la Ligue des Champions, on est sûr d’une chose : les gars sont des compétiteurs dans l’âme. Ils ne pensent qu’à gagner. Ils ne vivent que pour gagner. Outre évidemment la préparation des rencontres et ce que cela implique, la tâche du coach consiste à les garder éveillés toute l’année. Et à maintenir leur niveau physique au sommet. Veiller enfin au respect de la hiérarchie. Ce qui demande que l’on se montre toujours sincère vis-à-vis d’eux."
Il y a aussi la gestion de la pression. Elle doit être terrible...
"Vous savez pourquoi mon fils déteste le football ? Il me l’a dit : parce que quelque part, le foot lui a volé son papa. En clair, il ne me voyait jamais. Lorsque vous jouez à Chelsea ou au Real, vous disputez un match tous les trois jours : championnat, Coupe nationale ou encore Ligue des Champions. Il y a, inévitablement, les convocations en équipe nationale. Pour la famille, il s’avère dès lors essentiel de se construire de bons moments en privé."
De ce point de vue-là, à Eupen, vous êtes plus relax, non ?
"C’est différent, bien sûr. Mais je suis ici pour mener à bien un projet."
Précisément, on parle toujours du "projet eupenois", mais quel est-il dans les faits ?
"Ah… Le projet eupenois. Il s’est modifié en cours de route. Il a été remodelé. Au départ, on m’a proposé une baguette (NdlR, il évoque un "pain français") . Puis je me suis retrouvé avec une demi-baguette. J’ai dit : ‘Ok, je prends la demi-baguette, mais que tout le monde en tienne compte et qu’on se parle vrai .’ Partant de là, je savais que lors des transferts, je n’aurais ni le premier ni le deuxième choix, mais le troisième."
Ce qui explique le début de championnat laborieux ?
"Pas uniquement. Il y a aussi le fait que onze nouveaux sont arrivés. Les défaites se succédant, l’impératif était de garder l’équipe connectée. Ne pas trop s’appesantir sur le négatif."
"Je suis passionné par les docus animaliers"
Avec son 6 sur 6, consécutif aux succès obtenus à Mouscron et face au Standard, l’AS Eupen respire. De bon augure avant de se rendre à Beveren. Son entraîneur, Claude Makelele, s’est-il un moment senti menacé ?
"La menace, elle fait partie du métier", répond-il. "Elle existe pour n’importe qui. Même pour celui qui se trouve en tête. Franchement, pour répondre à votre question, en ce qui concerne, non."
Le coach de l’AS Eupen s’attendait à un démarrage délicat. Pas seulement en fonction de son effectif.
"En suivant le journal du mercato, je me suis dit que le niveau allait être plus relevé cette année. Ce que je trouve important, c’est de voir redébarquer bon nombre de joueurs qui ont évolué dernièrement dans des championnats plus huppés que le nôtre. Peu importe qu’ils reviennent pour se relancer. Leur présence relève le niveau. Pour le titre, je crois que Bruges va devoir faire face à une grosse concurrence."
Le saviez-vous ? Claude Makelele nourrit une autre grande passion en dehors du foot.
"Oui, je suis un amoureux de la nature. J’adore me promener. Je suis également accro aux documentaires animaliers. On apprend énormément en étudiant le comportement des animaux. On me demande parfois s’il n’est pas dépaysant d’habiter Eupen après avoir séjourné à Londres, Madrid et Paris. Pas du tout ! Je ne suis pas jet-set. Même si, par la force des choses, lorsque j’étais marié (NdlR : avec le mannequin Noémie Lenoir), j’ai un peu fréquenté le milieu. Je suis différent de mon ancien équipier, David Beckham (rires). Lui et Victoria ont fait un choix de vie qui n’est pas le mien. Sincèrement, la tranquillité eupenoise me permet de m’évader, de méditer. D’étudier la bible. J’essaye d’y déchiffrer les vrais messages qui s’y trouvent."