Arbitres achetés, matches truqués: ce que les écoutes téléphoniques révèlent du Footgate
Les écoutes confondantes du GSM de l’agent de joueurs.
- Publié le 31-10-2018 à 07h46
- Mis à jour le 31-10-2018 à 14h23
Les écoutes confondantes du GSM de l’agent de joueurs.
"Le plus important, c’est que l’Antwerp gagne", insiste l’agent de joueurs Dejan Veljkovic auprès de Bart Vertenten qui, le surlendemain, doit arbitrer le match de relégation Antwerp-Eupen. Méfiant, Veljkovic n’en dit pas plus. "On ne sait jamais qu’on serait sur écoute."
Les enquêteurs - qui l’écoutent depuis des mois - n’en reviennent pas. Comme ils n’en reviendront pas quand le scandale éclatera le 11 octobre, d’entendre Veljkovic nier en bloc et soutenir qu’il n’a rien à voir avec la prétendue corruption du football belge. Non. Il n’a certainement jamais demandé de truquer des matches. Et non, il n’a approché personne !
Notre confrère Bjorn Maeckelbergh, du Laatste Nieuws, a pu se procurer des informations exclusives : les écoutes téléphoniques sur les GSM de Dejan Veljkovic.
Pièce essentielle dans le dossier du Footgate, le document hallucinant. Le voici.
Le 11 octobre, l’audition de Bart Vertenten dure trois heures.
D’abord les généralités. Vertenten, 30 ans, poursuit des études de radiologie et est arbitre Fifa depuis 2014. Sa fiancée, Hetty, travaille chez Sport Vlaanderen, l’administration sportive de la Région flamande. Non, Hetty ne se plaint pas de ne pas le voir souvent. Elle-même court des marathons.
Puis, les enquêteurs amènent le jeune arbitre à leur parler de Dejan Veljkovic. Vertenten commence par dire qu’ils se connaissent mais ne se voient pas souvent. "On ne se connaît pas si bien au fond."
Mais Vertenten avoue de la sympathie pour Veljkovic, parce qu’il "s’occupe aussi d’arbitrage".
Poussé dans ses retranchements, Vertenten admet qu’ils sont allés au restaurant, Veljkovic avec sa femme Marija, Vertenten avec Hetty.
Veljkovic, dit Vertenten, ne parle que de trois choses : football, football et football. Puis l’audition se déplace sur l’autre arbitre, Sébastien Delferière, "un grand ami, un ami de la famille".
Dejan Veljkovic lui non plus ne sait rien d’une prétendue corruption dans le football belge. Il n’a jamais dit à Vertenten de "faire en sorte que l’Antwerp gagne". "Je lui ai seulement dit que ce serait mieux si l’Antwerp gagnait", nuance Veljkovic qui déplace le sujet : il n’y a selon lui qu’un point sur lequel on pourrait trouver à redire, sa comptabilité. "Les factures sont au nom de ma société. Mais c’est possible qu’il y ait quelques erreurs."
C’est alors que Joris Raskin, le juge d’instruction, tire son premier missile : pourquoi a-t-il donné 10.000 euros cash à Delferière ? Vejlkovic aurait répondu que Delferière n’avait pas assez d’argent pour sa nouvelle voiture. "Mais Séba, se reprend-il, allait me rembourser."
C’est faux. Et le juge le sait grâce aux écoutes et un SMS intercepté : les 10.000 euros de Veljkovic ont aidé Delferière à sponsoriser son école de football.
C’est vraiment par hasard que le parquet fédéral, qui enquêtait au départ sur des soupçons de fraude dans des transferts de joueurs, est tombé sur la corruption. Ce qui a tout déclenché : le trop grand nombre de contacts téléphoniques entre Dejan Deljkovic et deux des plus influents arbitres du pays.
Pour donner une idée : des dizaines avec Vertenten, des centaines avec Delferière. Ils se téléphonent à tout moment, parfois plusieurs fois par jour. Les écoutes montrent leur proximité, leur intimité. Ils parlent de tout, l’hospitalisation de la fille de Delferière, sa blessure au genou, et football. Et d’autres choses plus… utiles.
Veljkovic demande à Delferière s’il sait quels matches il arbitrera à telles dates. Delferière répond qu’il demandera à Johan Verbist, grand coordinateur de l’arbitrage belge.
Pour les enquêteurs, Sébastien Delferière s’est laissé corrompre en acceptant des cadeaux de Veljkovic
Dans leur P.-V., les enquêteurs relèvent que "cette fois précise, Verbist garde le secret".
Des écoutes, il ressort que Delferière accepte des cadeaux. Non sans contrepartie. En février 2018, l’arbitre téléphone à Veljkovic. Renvoi d’ascenseur, pensent les enquêteurs. Delferière explique qu’il se rend l’après-midi à l’Union belge pour Sofiane Hanni. Hanni ? Un joueur de l’écurie Veljkovic, qu’Anderlecht a transféré pendant le mercato d’hiver au Spartak Moscou. Hanni doit comparaître pour un coup volontaire à la tête d’un joueur du Standard.
Delferière promet : "Je vais essayer qu’Hanni ne soit pas suspendu. Comme cela, il pourra immédiatement jouer quand il reviendra en Belgique", précise l’arbitre à Veljkovic. Tous deux sont sur écoute. Le joueur de Veljkovic ne fut pas suspendu.
Petits cadeaux entre amis
Pour les enquêteurs , Delferière s’est laissé corrompre en acceptant des cadeaux de Veljkovic.
L’ouverture d’un compte (avec un peu d’argent versé, 500 euros) à la naissance de son fils. Veljkovic est intervenu dans l’achat par Delferière d’un VW Tiguan, et de billets pour la soirée de gala du Soulier d’Or.
Quand Delferière fait allusion à de petits problèmes de compte en banque, Veljkovic lui demande de combien il a besoin. Sébastien Delferière répond que ce ne sera pas nécessaire. Mais la démarche a existé.
Les enquêteurs entendent Veljkovic proposer des week-ends avec épouses à Belgrade. À un moment, l’agent de joueur demande à l’arbitre s’il aimerait recevoir une télé grand écran. Delferière refuse. Parce qu’il en a déjà une chez lui. "Alors, une machine à café ?", reprend Veljkovic.
Et Bart Vertenten ? Veretenten téléphone moins à Dejan Veljkovic. Quand même des dizaines de fois. Et si Veljkovic ne simule pas, le ton des conversations dénote qu’ils sont vraiment grands amis.
Encore une conversation écoutée. Début 2018, Veljkovic annonce à un ami serbe qu’"il est allé manger avec le docteur, celui qui est arbitre". Veljkovic se fait soudain méfiant. Il est imprudent de causer au téléphone. Il parle à demi-mot, dit que : "L’arbitre m’a clairement dit qu’il était d’accord. Il comprend ce que Dejan veut."
Une autre écoute porte sur une conversation où il est question d’un match FC Malines-Sporting de Charleroi. Dans l’entretien, Veljkovic garantit Thierry Steemans - administrateur du FC Malines - que c’est bien Vertenten qui arbitrera samedi et qu’il (Veljkovic) le rencontrera d’ici là, déjà lundi. La rencontre a dû avoir lieu. Coup de fil suivant de Devan Veljkovic : "Bart a bien compris ce qu’il devait faire pour le match de samedi."
Les enquêteurs entendent Veljkovic dire à Vertenten que s’ils devaient par hasard se croiser après la rencontre, Vertenten devait faire semblant de ne pas le connaître.
"Perfect", (parfait), répond Vertenten.
Tout cela, pour les enquêteurs, est évidemment confondant.
"L’Antwerp doit gagner, hein !"
Dejan Veljkovic a appelé l’arbitre Vertenten avant le match Antwerp-Eupen.
Les derniers jours, tout s’accélère. Les deux candidats à la relégation sont le FC Malines et l’AS Eupen, qui rencontrent à domicile Waasland Beveren et Mouscron. L’essentiel : inscrire un maximum de goals, Malines et Eupen ayant le même nombre de points. C’est ce qui les départagera. Empêchera l’un de tomber en deuxième division.
L’enjeu est encore plus grand pour Malines. En cas de relégation, son budget se verrait réduit de 17 à 11 millions d’euros.
Heureusement il y a Dejan Veljkovic. Le grand ami du club où il a ses entrées : le courtier serbe y a placé six joueurs. Il a lui aussi tout intérêt au maintien du Malinwa en D1.
Le 3 mars, l’arbitre d’Antwerp/Eupen n’est autre que Bart Vertenten.
Deux jours plus tôt , Vertenten manque un appel de Veljkovic. Vertenten le rappelle. La conversation est sur écoute. Selon les sources toujours, Veljkovic dit à l’arbitre que le match de samedi doit être un bon match. "Antwerp moet winnen, hé" (L’Antwerp doit gagner, hein !)
Les enquêteurs entendent Vertenten répondre qu’il n’y aura probablement pas d’arbitrage vidéo. "C’est encore plus facile", ajoute le jeune arbitre. Veljkovic répond : "Oui c’est mieux".
Selon plusieurs sources, Veljkovic rappelle plusieurs fois qu’il est important que l’Antwerp gagne. Il ne dit rien de plus parce qu’au téléphone," on ne sait jamais si on n’est pas sur écoute".
Ça va même plus loin. Veljkovic explique qu’il va faire du lobbying dans les médias sportifs pour bien présenter l’arbitrage.
Dejan Veljkovic flatte l’ego de Vertenten : "Je l’ai dit, hein. Tu dois devenir le meilleur maintenant que Sébastien est blessé".
Les deux se promettent encore de rester en contact. Veljkovic rappelle une énième fois qu’il est important qu’Antwerp gagne samedi.
Pendant la rencontre, Bart Vertenten siffle une faute imaginaire. L’Antwerp gagne 2-0.
Le soir, Veljkovic téléphone à Thierry Steemans, un des responsables de Malines. Il lui dit qu’il vient juste de rentrer chez lui car avant de quitter Anvers, il a bu un café avec Vertenten. Dans la conversation : "Ce penalty était fantastique", jubile Veljkovic.
Après minuit, Dejan Veljkovic téléphone à Mats Rits, un joueur de Malines. Comme à Steemans, Veljkovic raconte à Rits qu’il a bu un bon café avec-qui-tu-sais. "Il était pour l’Antwerp, dit Veljkovic. C’est discutable mais il l’a finalement sifflé, ce penalty".
Pour l’instant, les suspects détenus dans le dossier n’ont reçu que des extraits des écoutes. Leurs avocats demandent à avoir accès à l’intégralité, des extraits étant sujets à interprétations.
Hier, la chambre d’accusation d’Anvers a libéré sous conditions le dirigeant du FC Malines Olivier Somers. Cinq autres personnes restent en prison dont Mogi Bayat. Tous demeurent présumés innocents