Grün à Van Loen: "Les Néerlandais me traitent encore de salopard, John !" (VIDEO)
- Publié le 10-12-2015 à 13h12
Entretien exclusif entre le directeur de Qarabag, John Van Loen, et son bourreau Georges Grün, 30 ans après son but légendaire À trois semaines près - le 20 novembre -, cela fait 30 ans que Georges Grün (53 ans) a marqué le but le plus important de l’histoire du football belge. Grâce à ce 2-1 aux Pays-Bas, les Belges partaient au Mexique pour y atteindre les demi-finales du Mondial.
Sans l’ex-Anderlechtois John Van Loen (50 ans), le conte de fée n’aurait pas eu lieu. L’attaquant néerlandais avait négligé sa tâche défensive face à Grün, une erreur qui le poursuit jusqu’à ce jour.
En tant que directeur technique de Qarabag, Van Loen était d’accord de rencontrer son bourreau belge dans l’hôtel de l’équipe à Bruxelles, mais suite à un changement de programme, il est resté en Azerbaïdjan. Nous avons donc reconstitué le but de Grün via Skype .
Guy Thys, l’espion
Le 16 octobre 1985, la Belgique gagne le match aller contre les Pays-Bas par 1-0. Après avoir provoqué l’exclusion de Wim Kieft, Franky Vercauteren inscrit le seul but du match.
Le 20 novembre, dans le Kuip de Feyenoord, le score est de 0-0 à la mi-temps. Guy Thys se méfie de la montée d’un certain Van Loen, un géant de 20 ans d’Utrecht qui avait déjà inscrit 12 buts en championnat. En passant par le vestiaire local, il voit via la porte entrouverte Van de Korput dans la douche. "Cela signifie que Van Loen va monter", se dit Thys. "Je fais monter Grün pour le neutraliser."
Van Loen : "C’est vrai, Georges ? Est-ce que ce Thys était un espion ? Et tu ne pouvais jouer que si je jouais ? Ridicule."
Grün : "Merci Beenhakker, votre coach fédéral. Sinon, je serais resté sur le banc tout le match. Je n’avais que deux minutes pour m’échauffer. Je suis monté à la 47e. Alors qu’il faisait -7 degrés."
Van Loen : "Oui, le terrain ressemblait à du béton armé. Impossible de jouer au foot. Pourtant, on avait des gars comme Rijkaard, Tahamata, De Wit, Gullit… van Basten et Kieft étaient suspendus."
Le chantage de franky
Dès sa montée au jeu, Grün gagne tous ses duels aériens contre Van Loen, mais les Pays-Bas marquent deux fois, à la 60e et la 72e (2-0). Le public danse la polonaise et chante : "Wij gaan naar Mexico, on va au Mexique!"
Van Loen : "Je n’en touchais pourtant pas une contre Georges. Il était meilleur que moi."
Grün : "Pourtant, je ne mesurais qu’1,85m et toi 1,95m. Mais je sautais plus tôt que toi."
Van Loen : "J’étais encore jeune. J’avais déjà été cité à Anderlecht. À un certain moment, Vercauteren est venu chez moi et m’a dit : N’osez pas gagner. Sinon, je ferai de sorte que tu ne viennes jamais à Anderlecht.’ "
Grün : "Je me souviens surtout de la bourde tactique de Beenhakker. Après le 2-0, il avait posté Gullit au libero ! Vous étiez acculés."
Les Diables poussent, se créent de grosses occasions mais ratent. Jusqu’à cette 85e minute. Vandereycken lance Gerets, dont le centre est repris de la tête par Grün. Van Loen est en retard, Spelbos ne parvient pas à sauver les meubles.
Grün : "J’ai fait cette reprise de la tête le plus fort possible, sans réfléchir. J’avais même peut-être les yeux fermés. Je voulais laisser Van Breukelen sans réaction."
Van Loen : "C’était ma faute, c’est clair. Mais j’ai essayé de mettre cette faute sur le dos de Gullit, qui était également dans les environs. (rires) Et d’ailleurs, Rijkaard a encore raté une énorme occasion."
Fête dans la piscine
Dès que l’arbitre anglais, M. Courtney, a sifflé la fin du match, Beenhakker rentre seul au vestiaire, suivi par une caméra dans le long tunnel des joueurs. Les Belges font la fête.
Grün : "Il y avait une petite piscine dans le vestiaire visiteur du Kuip . On a bien chanté là-dedans. Et on a poursuivi la fête dans le car. Mais il n’y avait pas de fête prévue dès le retour à Bruxelles. Bizarre."
Van Loen : "Moi, je me souviens m’être assis sur le terrain, avec les mains devant le visage. J’avoue que c’était une pose pour les photographes."
Le lendemain, Van Loen se fait descendre par les journaux néerlandais : "On ne va pas au Mexique à cause de Van Loen ! " était un des titres.
Van Loen : "Une semaine plus tard, on m’a envoyé un poster géant avec la photo du but de Georges. À partir de ce match-là, j’ai mis une sorte de carapace. Dans ma carrière, on m’a versé des kilos de merde sur la tête. J’en suis toujours sorti plus fort. Je n’ai pas passé de nuits blanches, contrairement à d’autres. La vie continue."
Grün : "Tu as bien raison. Mais je dois dire que ce but, on m’en parle encore tous les jours. Même aux Pays-Bas. Je suis un passionné de la pêche. Je vais parfois en Zélande. Quand je dois épeler mon nom, les gens me lancent : Jij bent die smeerlap van 1985 ! Tu es le salopard de 1985." (rires)
Van Loen : "Moi, c’est surtout quand je suis de passage en Belgique. De temps en temps, je vais dans un resto à Anvers avec ma femme. Après un petit temps, les gens me reconnaissent et me font la remarque. Je leur dis: Grâce à moi, vous avez été quatrièmes au Mondial ! "
Grün : "Il faudrait qu’on se voie une fois en vrai, John ! Si tu veux une fois venir pêcher avec moi quand je suis aux Pays-Bas…"
Van Loen : "Volontiers ! Ou on peut aller voir un match ensemble à Anderlecht…"
"Je détestais Crasson"
Son surnom : Réverbère , Van Loen le doit à son passage manqué à Anderlecht, en 1990
Van Loen a joué pendant une saison à Anderlecht, en 1990, quand Grün était déjà parti à Parme. Le Néerlandais n’y est resté qu’une saison et n’a marqué que trois buts. Son surnom - Le Réverbère - date de cette époque. "Je n’étais pas un beau joueur de foot, pas quelqu’un pour qui les gens venaient au stade."
Toutefois, Anderlecht a remporté le titre et Van Loen - acheté pour 1,75 millions - a été transféré à l’Ajax et ensuite à Feyenoord. En tout, il a joué sept matches en équipe nationale, dont 11 minutes à la Coupe du Monde 1990 contre l’Irlande.
L’Anderlecht de cette époque était une grande équipe, avec de Mos comme coach et Nilis, Degryse et Oliveira comme vedettes.
"Je me souviens surtout de ce défenseur latéral. Crasson, c’est cela. Je le détestais profondément. Il savait parler le néerlandais - un peu comme Georges - mais il le refusait. Le matin, quand il serrait la main à tout le monde, je me retournais. Parle-moi d’abord en néerlandais , lui disais-je. Moi, j’aurais voulu parler le français, mais je ne connaissais que deux mots."
Un retour en Belgique en tant que coach le tenterait.
"Pourquoi pas ? Mon contrat se termine en juin. J’aurai travaillé pendant deux ans ici. Je me suis bien amusé - je bosse de 10 à 22 h, presque sept jours sur sept - et on a fait de grands pas en avant, surtout avec les jeunes. Mais ma famille me manque. J’ai eu une proposition de Chine, mais c’est si loin. Quand Preud’homme était à Twente, je lui avais proposé de devenir son T2 . On s’était rencontré à un tournoi de golf pour la bonne cause. Hélas ! son staff était complet…"
"Un miracle si Qarabag marque"
Van Loen ne croit pas que son équipe peut gagner, Grün se méfie des Azéris
Mathématiquement, Qarabag a encore toutes ses chances de se qualifier pour le prochain tour. "Mais je crois qu’Anderlecht va gagner facilement par 2-0 ou 3-0", dit Van Loen. "Ce serait même un miracle si on marque un but à Anderlecht. Surtout vu l’absence de notre vedette, Reynaldo, qui s’est déchiré les ligaments croisés…"
Grün n’est pas d’accord avec le pronostic du directeur technique adverse. "Qarabag est vraiment une bonne équipe. Ils sont parvenus à ennuyer tous leurs adversaires, y compris Tottenham" , rétorque-t-il.
Van Loen confirme : "On méritait de gagner contre Tottenham. Plus que contre Anderlecht. La deuxième mi-temps d’Anderlecht a Qarabag m’a impressionné. 1-3 n’aurait pas été volé. Un de vos buts a injustement été annulé. Un gars qui m’a impressionné par son physique, est cet attaquant de couleur. Okaka, c’est ça. Quel arbre !"
commentateur à Club RTL ce soir, Grün a écouté attentivement ce que Van Loen lui expliquait sur Qarabag.
"On est trop fort pour le championnat d’Azerbaïdjan. On a déjà huit points d’avance après quinze journées, on est presque champion. On a trop peu d’adversaires de haut niveau pour augmenter le nôtre."
Qarabag est le club le plus riche du pays . "On a installé une nouvelle pelouse de 300.000 euros. En principe, l’argent n’est pas un problème. Mais maintenant, c’est la crise en Azerbaïdjan, parce que le prix du pétrole a chuté de 60 %. Nos jeunes doivent s’entraîner avec des vieux ballons de la saison passée, et on attend toujours nos nouveaux vêtements de sport. On est invité pour des tournois en Europe occidentale, mais on doit refuser."
Grün, en blaguant : "C’est la crise, John ? Reviens aux Pays-Bas. Moi, cela fait 17 ans que je travaille pour la télévision."
Van Loen : "Tu es un grand connaisseur de foot, alors ? J’ai aussi été consultant. Mais aux Pays-Bas, cela ne rapporte pas beaucoup…"