Wilmots et Borkelmans se lâchent: "On est des patriotes!"
Réunis pour la première fois depuis deux ans, Marc Wilmots et son ancien adjoint Vital Borkelmans se défendent après quelques critiques virulentes. Et contre-attaquent aussi.
- Publié le 30-06-2018 à 07h38
- Mis à jour le 30-06-2018 à 09h37
Réunis pour la première fois depuis deux ans, Marc Wilmots et son ancien adjoint Vital Borkelmans se défendent après quelques critiques virulentes. Et contre-attaquent aussi L’actuel beau parcours des Diables en Russie a relancé, parfois avec une certaine virulence, les critiques envers Marc Wilmots. Certains joueurs et certains dirigeants de l’Union belge n’ont pas hésité à égratigner celui qui était notre sélectionneur lors des deux précédents grands tournois. Pour la première fois depuis la fin de leur collaboration après l’Euro 2016, Marc Wilmots et son ex-adjoint Vital Borkelmans ont été réunis par nos confrères du Nieuwsblad pour une longue interview.
C’est au Crowne Plaza de Diegem, l’hôtel où les Diables se réunissaient pendant l’ère Wilmots, que les deux hommes se sont retrouvés. "Comment va mon bon ami ?" interroge Wilmots en tapant sur la cuisse de Borkelmans. Il lui parle de son travail en Jordanie où il est devenu sélectionneur il y a quelques mois. La conversation dévie rapidement sur la Coupe du Monde : "Tu as vu le numéro 5 de la Colombie, Vital ? Il ne s’appelle pas Wilmots mais Wilmar (Barrios). Un joueur de Boca Juniors mais il va vite se retrouver en Europe. Pendant le match, je n’ai fait attention qu’à lui." Borkelmans feuillette un carnet : "Oui, le numéro 5. J’avais aussi noté son nom, coach."
Avec quel sentiment suivez-vous les Diables pendant cette Coupe du Monde ?
Wilmots : "Je suis un patriote et je supporte donc les Diables. Sur les prestations de l’équipe, on ne peut pas dire grand-chose pour l’instant (NdlR : l’interview a été réalisée avant le match contre l’Angleterre) . Ils ont franchi le premier tour, premier objectif atteint. Le reste, c’est du bla-bla."
Borkelmans : "Cela m’a dérangé après le match contre le Panama. Un premier match dans un tournoi est toujours stressant. Seule la victoire compte, donc. Mais ça râlait déjà en disant que ce n’était pas bon."
Wilmots : "On a vécu ça, aussi, pendant notre Coupe du Monde. On arrivait de la 55e place mondiale, on jouait notre premier tournoi en douze ans mais on devait directement devenir champions du Monde. Sommes-nous devenus fous ?"
Vous ne croyez pas la génération dorée capable de gagner la Coupe du Monde ?
Wilmots : "Au Brésil, c’était trop tôt. Espérons que ça réussisse cette fois. Ce serait top. Les joueurs ont grandi, notamment parce qu’ils ont choisi les bons clubs. Ils ont aussi joué deux tournois. Ils sont prêts à peut-être gagner la Coupe du Monde. Peut-être."
Borkelmans : "Coach, quand je vois jouer la petite tutu maintenant, c’est le surnom qu’on donne à Eden Hazard, je savoure quand même. Pareil pour Lukaku. Contre le Panama, il a touché huit fois le ballon en première mi-temps et, à la fin, il avait marqué deux fois. Impressionnant."
Wilmots : "Qu’est-ce que j’ai toujours dit sur nos attaquants ? Laissez-leur cinq ans. Romelu a maintenant 25 ans et il connaît tous les trucs."
Borkelmans : "Son premier but contre la Tunisie en était le parfait exemple. C’est exactement la même phase qu’à l’Euro contre l’Italie. Il fait la même course, de l’intérieur vers l’extérieur. Contre l’Italie, il avait tiré sur la barre. Cette fois, il a parfaitement conclu."
Wilmots : "Quelle pression n’ai-je pas reçue après ce match contre l’Italie pour ne plus l’aligner ? Tout le monde voulait l’écarter de l’équipe mais Vital et moi lui avons maintenu notre confiance."
Borkemans : "Et il est toujours resté dans l’équipe."
Wilmots : "95 % du pays était contre moi. Mais il bossait dur à l’entraînement et il était le meilleur finisseur que nous avions."
Lukaku lui-même ne semble pas penser la même chose. "J’avais le sentiment à 100 % que Wilmots ne voulait pas me laisser jouer", a-t-il même déclaré.
Borkelmans : "Je ne comprends pas pourquoi Romelu a dit ça. Après tout ce que le coach a fait pour lui. On l’a quand même toujours soutenu, non ? Même quand il était sur le banc à Everton, on le gardait dans l’équipe."
Lukaku fait référence à un incident avant le match de la qualification à l’Euro disputé à Andorre. Il dit avoir été écarté de l’équipe pour "la plus bête raison du monde". Que s’est-il passé ? "Si Wilmots en a dans le pantalon, il le racontera", a-t-il même ajouté.
Wilmots : "En ce qui concerne ce qu’il y a dans le pantalon, j’en ai (rires). Ceux qui me connaissent le savent. Très honnêtement : je ne sais pas de quoi Romelu parle. J’ai essayé de le contacter pour le savoir mais il ne m’a pas rappelé. J’ai même joint Mario Innaurato (NdlR : préparateur physique des Diables à l’époque) pour savoir s’il s’était passé quelque chose que je n’avais pas vu. J’avais envisagé ce match à Andorre comme un amical. Je voulais voir qui pouvait être éventuellement la doublure de Lukaku en cas de blessure. C’est pour ça que Depoitre a joué. Peut-être que Romelu a pensé que je n’avais pas confiance en lui. C’est peut-être ça qu’il voit comme la ‘plus bête raison du monde’."
Borkelmans : "Quand il parle d’en avoir dans le pantalon… S’il en a, il n’a qu’à le dire lui-même. Mais bon, pas de mauvaises choses à propos de Romelu. Il mérite son succès. Il travaille très dur pour progresser."
Wilmots : "Dans sa tête, il veut devenir meilleur buteur du tournoi. Il a toutes les qualités pour y parvenir."
Georges Leekens a dit récemment à la télé flamande que 5 % du succès actuel de l’équipe est encore son mérite. Et vous, c’est combien de pour-cent ?
Borkelmans : "On ne participe pas à ça."
Wilmots : "Ça ne m’intéresse pas du tout. À quoi joue-t-on ? Moi, je dis : 37 victoires, 2 qualifications et 2 quarts de finale. Ce qu’on a fait, aucun coach après nous ne le fera. Nous avons laissé une très belle machine."
Borkelmans : "Thierry Henry l’a dit : le staff actuel a reçu une Rolls-Royce entre les mains. C’est un compliment pour notre travail."
Wilmots : "Voilà. C’est agréable de recevoir une Rolls-Royce comme cadeau."
De son côté, Martinez a été moins tendre. Quand on lui a demandé ce qu’il ferait de différent de vous lors de sa première conférence de presse, il a répondu : "Est-ce que vous avez quelques heures ?" Ce n’est pas vraiment un compliment, ça.
Borkelmans : "Lors de sa présentation, Martinez m’a aussi demandé : ‘Qu’est-ce qui ne s’est pas bien passé ?’ Je lui ai répondu : ‘Et vous, qu’est-ce qui ne s’est pas bien passé à Everton ?’ Il voulait aussi savoir ce que je pensais de Witsel. Ma réponse a été : ‘Il sera le premier que vous écrirez sur votre feuille de match.’ Tout le monde se moquait de nous avec Witsel. Et maintenant, ils disent ce qu’on dit depuis cinq ans : il est le patron autour duquel il faut construire."
Wilmots : "Jeu de position, technique, conservation du ballon, jeu de tête… C’est un pion essentiel qui pense à l’équipe avant de penser à lui."
Martinez a choisi une autre tactique que vous.
Wilmots : "J’optais pour un 4-2-3-1 ou un 4-3-3. Pourquoi ? Parce que je suis toujours convaincu que Vertonghen, Vermaelen, Kompany et Alderweireld sont nos meilleurs défenseurs. Entre-temps, Meunier est arrivé. Mais il reste toujours un problème à gauche. Dans le football de clubs, tout le monde jouait avec une défense à quatre. Depuis lors, Chelsea joue avec trois hommes et Tottenham a aussi essayé. Pour moi, le 4-3-3 reste le système où tu joues le plus en bloc. Les espaces restent petits. C’est dangereux si une moitié de ton équipe pense à attaquer et l’autre moitié à défendre. On encaisse plus de buts actuellement. Dans nos deux campagnes, nous avions encaissé le moins et marquer le plus. Et ne venez pas dire que c’était contre de mauvaises équipes."
Borkelmans : "La Serbie, la Croatie, l’Écosse, le Pays de Galles… C’est quand même autre chose que la poule actuelle."
Wilmots : "Le système actuel est fait pour donner le plus de liberté possible à Hazard et Mertens. Contre la Tunisie, cela a parfaitement fonctionné grâce aux reconversions rapides. Il n’y a pas trois équipes dans le monde qui jouent mieux le contre que la Belgique. Mais un 3-4-3 contre le Brésil ? Contre Willian, Neymar, Coutinho et Jesus en pointe ? Je veux encore le voir."
Il y a des critiques des joueurs sur votre approche tactique. D’Hazard après le Mondial et de Courtois après l’Euro.
Wilmots : "Je veux bien avoir une discussion avec tout le monde pour entendre ce que j’ai fait comme erreur. Que pouvez-vous faire quand huit joueurs déclarent forfait en défense ?"
Vous estimez ne pas avoir fait d’erreur ?
Wilmots : "Bien sûr que si. Avec du recul, tu peux dire que j’aurais mieux fait de mettre Ciman plutôt que Denayer contre le Pays de Galles. J’ai longtemps hésité. Mais on n’avait pas beaucoup de relève et on a choisi Denayer. Aussi pour préparer l’avenir."
C’est surtout avec Courtois que la relation semble la plus compliquée aujourd’hui. Que pouvez-vous dire de la plainte du papa de Thibaut ?
Wilmots : "J’attends une convocation officielle. Malheureusement, elle n’est pas encore venue. Mais, écoutez ce que j’ai dit : ‘Des journalistes français prétendent que… (NdlR : le père de Courtois dévoilait les compositions d’équipe aux journalistes)’. Moi, je ne l’ai pas prétendu. Je suis calme et détendu avec ça."
Terminons avec Gérard Linard, le président de l’Union belge. Il a dit récemment que c’était "tous les jours la guerre" avec vous.
Borkelmans : "Je ne comprends pas. Linard était celui qui demandait toujours conseil au coach. Et maintenant, il lui plante un couteau dans le dos."
Wilmots : "C’est quoi, faire la guerre ? Nous sommes des patriotes et nous voulons le meilleur pour la Belgique. Combien de fois n’avons-nous pas discuté du prix des tickets ?"
Borkelmans : "Regardez combien de supporters il y avait dans le stade lors des derniers matches à Bruxelles. Le coach avait donc raison."
Wilmots : "Pareil avec les maillots. Ceux avec le design cycliste. On m’a demandé si je les trouvais beaux et j’ai répondu : ‘Vraiment pas .’ Est-ce pour ça que je faisais la guerre ? Alors, qu’on ne me demande pas mon avis."
Borkelmans : "Ces gens ne pouvaient tout simplement pas nous suivre. Le coach, les joueurs et le staff médical jouaient une catégorie au-dessus. Je me souviens d’une négociation avec Brussels Airlines, ici, dans cet hôtel. La Fédération n’y arrivait pas : ‘Oui, non, peut-être…’ Jusqu’à ce que le coach ne décide. On pourrait écrire des livres sur la Fédération."
Wilmots : "Les dirigeants ne montrent maintenant aucun respect pour notre travail. J’avais apparemment trop peu d’expérience pour une Coupe du Monde. On joue pour l’instant la première Coupe du Monde où je ne suis pas en trente ans…"