Paternalisme, esprit revanchard… Pourquoi le duel France-Belgique sera si spécial
- Publié le 09-07-2018 à 10h34
- Mis à jour le 10-07-2018 à 06h45
Le match de mardi sera encore plus passionnel que celui contre le Brésil.Mardi soir, à 20 h, les Diables Rouges affronteront les Bleus dans un match aux allures de finale. Le jeu est ouvert, tout semble possible, ce sera épique. Mais l’enjeu dépasse déjà, de loin, la simple rencontre sportive : se frotter aux Français à un stade éliminatoire de la Coupe du monde nous projette en dehors de l’univers ludique du football, sa tactique et ses passions classiques. De manière irrationnelle, c’est notre identité de Belges francophones qui est mise à l’épreuve. Deux collectifs de joueurs vont se défier pendant les 90 minutes réglementaires, et deux pays aux rapports ambigus également.
"Les Belges sont nos frères"
La France se voit comme une grande sœur pour la Belgique, il lui arrive même de céder au paternalisme à l’égard de ses voisins du Nord aux accents étranges. Pourtant, il existe aussi une affection réelle dont les liens viennent d’être resserrés par la victoire arrachée au Brésil vendredi dernier. "C’est formidable ce qui se passe. Les Belges sont nos frères , s’enthousiasmait un journaliste de la chaîne d’information française CNews après l’exploit des Diables. J’avais pleuré pour eux lors de la finale perdue à l’Euro en 1980. Ce n’est pas toujours facile pour eux. Il y a les Flamands, les Wallons… Mais, là, il n’y a plus de clans. L’osmose dans cette équipe est parfaite."
Thierry Henry a tout fait…
Cette admiration pure pour l’équipe belge a toutefois vite été ternie par une pointe de condescendance. Si la Belgique gagne, c’est un peu, voire beaucoup, grâce à la France… On le sait, le meilleur buteur de l’histoire des Bleus, Thierry Henry, assiste Roberto Martinez dans le staff technique belge. Et si l’on se fie à ce qu’écrivent certains médias français, il a insufflé à Eden Hazard, Romelu Lukaku ou encore à Kevin De Bruyne la mentalité de "winner" qui leur manquait. "Outre l’aspect purement technique, Thierry Henry tient aussi un rôle de source d’inspiration pour les Belges, qui boivent les paroles d’un homme qui a beaucoup gagné quand eux échouaient inéluctablement dès que le niveau s’élevait", lit-on, par exemple, sur le site web de TF1.
L’impact du coaching discret de Thierry Henry sur la détermination des joueurs belges est en effet réel et très apprécié. Toutefois, la Belgique n’avait pas attendu son arrivée pour s’imposer à elle-même un très haut niveau d’exigence footballistique. On se souviendra, notamment, que Marc Wilmots, le précédent entraîneur des Diables Rouges, avait refusé de célébrer sur la Grand-Place de Bruxelles le retour des Belges de la Coupe du monde au Brésil. Pour lui, être arrivé en quarts de finale ne pouvait pas être considéré comme un succès conforme à la valeur de l’équipe belge.
Des Français "prétentieux"
Donc les Français ont tendance à voir leur ombre protectrice dans les succès belges, et cela peut agacer certains. C’est le cas du Premier ministre belge, Charles Michel. A cause du sommet de l'Otan qui se tient à Bruxelles, il ne sera pas à Saint-Pétersbourg pour assister à la demi-finale aux côtés d’Emmanuel Macron. Il a cependant confié ce week-end au "Journal du dimanche" (JDD) que "les Belges trouvent les Français souvent prétentieux". Cette phrase, qui reste tout de même diplomatique, n’en illustre pas moins un sentiment partagé en Belgique francophone, et aussi une forme de schizophrénie. Nous sommes abreuvés par la culture française, ses écrivains, ses intellectuels. Tout cela s’impose à nous naturellement par le partage d’une même langue et nous enrichit. Mais, dans un même mouvement, le Belge francophone peine à se définir par rapport à cet héritage précieux qui, pour être défini ailleurs, ne lui appartient pas tout à fait.
L’affirmation de la "sous-culture"
Par conséquent, les Belges veillent scrupuleusement à marquer leurs différences, à rappeler que le rayonnement de la France ne les a pas empêchés de construire un modèle sociétal différent fondé sur la décentralisation et la reconnaissance des communautés linguistiques, par opposition à la France jacobine qui uniformise. Vaincre les hommes de Didier Deschamps serait l’affirmation inconsciente, mais éclatante et sublime, de la valeur de cette "sous-culture" dans laquelle la Belgique francophone baigne. Il y a de l’identité dans le foot.
Javaux en vareuse des Diables
Pour tout cela au moins, le duel sportif de mardi sera vécu en Belgique de manière bien plus passionnelle que le match contre le Brésil qui était pourtant candidat au titre mondial. "Cet amour-haine vis-à-vis de la France est tellement présent, qu’en 1998, les trois-quarts des Belges francophones soutenaient le Brésil face à la France lors de la finale, commente Jean-Michel Javaux, ancien président d’Ecolo et grand amateur de football. Beaucoup soutenaient pourtant des clubs français - le PSG, Marseille… - mais avec l’équipe nationale, ça ne passe pas. D’ailleurs, si on gagne mardi, je mettrai mon maillot des Diables pendant mes vacances en France…"