A la découverte du cécifoot: "C'est du football adapté"
Créé en 2012, le club de cécifoot de Charleroi est l’un des rares en Belgique à permettre aux déficients visuels de s’exprimer sur un terrain.
- Publié le 04-05-2017 à 07h16
- Mis à jour le 17-08-2018 à 17h17
Créé en 2012, le club de cécifoot de Charleroi est l’un des rares en Belgique à permettre aux déficients visuels de s’exprimer sur un terrain.
Sport collectif d’opposition pour déficients visuels, le cécifoot permet à ceux qui ne voient pas de s’adonner à leur passion liée au ballon rond. Si le gardien de l’équipe est voyant, les quatre joueurs de champ ne le sont pas et portent un bandeau obscurcissant la vue totalement, histoire que tout le monde soit sur un pied d’égalité.
Le cécifoot, en Belgique, ne se développe que depuis très récemment et souffre de la concurrence du torball (deux équipes de trois devant marquer des buts en tirant avec les mains depuis leur camp), plus populaire en Flandre pour les déficients visuels. Pourtant, le cécifoot mérite d’être connu. C’est la conclusion principale qu’on a tirée après avoir assisté, à la fin des vacances de Pâques, au premier tournoi international organisé par le club Cécifoot Charleroi.
Relevé par les présences de Marburg (Allemagne), Sanremo et Crema (Italie) ou encore RNG (Grande-Bretagne), le tournoi a donné l’occasion de voir quelques-uns des meilleurs joueurs de la planète, si l’on excepte les Brésiliens qui dominent ce sport.
Les joueurs bluffent tout un chacun par leur maîtrise du ballon (rempli de grelots pour le repérer), leur technique en mouvement, leur vitesse d’exécution, leur engagement mais aussi leur fair-play. Un régal pour les spectateurs d’un sport toujours à la recherche d’adhérents.
“On manque de joueurs”, regrette ainsi Michel Bertinchamps, entraîneur du Cécifoot Charleroi. “Certains ont essayé mais ne sont pas prêts à faire le deuil de leur acuité visuelle. Il faut parfois aller chercher les joueurs chez eux. Ils peuvent pourtant retirer des enseignements pour la vie en dehors du football.”
Motivé, il faut l’être pour faire partie de l’un des rares clubs du pays. Les joueurs doivent parcourir des kilomètres en train pour assister aux entraînements. C’est le cas de David Dortu, 32 ans, qui habite la région de Visé et se farcit 1 h 50 de train aller et retour pour s’adonner à sa passion. Mais cela porte ses fruits, puisque le jeune trentenaire est également membre des Belgian Blind Devils.
“Je travaillais dans une société qui a fait faillite”, narre-t-il. “C’est déjà difficile de trouver un travail mais quand on a un handicap visuel, cela l’est d’autant plus. Je me suis donc retrouvé six mois sans activités. Puis j’ai surfé sur Internet et je suis tombé par hasard sur le cécifoot. La première fois, c’est compliqué.”
Depuis qu’il a entamé la pratique de ce sport, il y a quatre ans, David Dortu a beaucoup progressé.
“Le cécifoot, c’est du football… adapté. Il faut avoir une bonne condition physique, être bien concentré, savoir écouter les consignes des coaches et avoir une bonne technique balle au pied. C’est plus facile pour les plus doués, techniquement. Mais avec du travail, tout est possible. C’est fair-play mais on râle aussi ! On monte sur un terrain pour gagner le match.”
Blessé au nez pendant le tournoi, le Liégeois est remonté sur le terrain, sans faire de cinéma, sans pleurnicher. “Je me ferai opérer après le Championnat d’Europe, en août.”
Absolument rien ne peut empêcher un cécifooteux de s’adonner à sa passion. Une belle leçon…
En savoir plus Email
cecifoot.charleroi@outlook.be
Calendrier Match prévu le 13 mai lors de la journée des personnes extraordinaires à Marcinelle, sur le site provincial
"Cela donne un sens à leur vie"
Ancien préparateur physique de Charleroi pendant de longues années, Michel Bertinchamps, qui s’occupe actuellement des Dames du Sporting d’Anderlecht, est un nom connu dans le milieu du ballon rond… et du cécifoot. Diplômé de l’école des entraîneurs, il est en effet le coach du club de Charleroi mais il en est aussi l’une des chevilles ouvrières.
“Mon fils est très mal voyant”, nous confie-t-il quand on lui demande pourquoi il s’occupe de cécifoot. “Un professeur d’éducation physique lui a proposé un sport adapté. On a pris contact avec un club à Bruxelles. Je n’y croyais pas trop au début mais il progressait. On a alors créé une équipe de cécifoot à Charleroi et on a participé au Championnat de France, où on a terminé 2e.”
Jean-Michel, puisque c’est de lui qui s’agit, est maintenant capitaine de son équipe. Fin technicien, il se donne à fond sur les pelouses. “Seul sur un terrain, je ne parviendrais à rien faire”, explique Jean-Michel.
Son père sera toujours présent pour le soutenir.
“Avec deux enfants déficients visuels, je ne partais pas dans l’inconnu en débarquant dans le cécifoot” , raconte Michel Bertinchamps. “J’ai bien entendu adapté les entraînements. Au début, les joueurs me faisaient des remarques du style : ‘On ne voit pas !’ (sourire).”
À force de travail et de remises en question, la sauce finit par prendre. Et les bonnes relations entretenues par Michel Bertinchamps avec le Sporting Charleroi bénéficient au club de cécifoot, qui profite de l’aide de la Fondation du club carolo quand cela se révèle possible.
“Qu’est-ce qui fait un bon joueur de cécifoot ? C’est difficile de répondre. Je dirais que si le joueur a eu l’occasion avant d’être déficient visuel de jouer, c’est certainement un avantage. Il se repère plus facilement sur un terrain, comme le fait très bien mon fils, et peut apprendre la conduite de balle.”
Les cécifooteux, sur un terrain comme en dehors de ceux-ci, forcent l’admiration.
“Ils ne pratiquement pas seulement ce sport pour s’occuper, ils sont compétiteurs. Cela donne un sens à leur vie.”
À la place d’un joueur
Déjà impressionné par l’aisance ballon au pied de ces footballeurs, on se demande comment on pourrait rivaliser avec eux. Déjà qu’en temps normal, il nous est relativement difficile de contrôler un cuir, mettre un bandeau obscurcissant totalement la vue dérouterait même les plus grands techniciens. Qu’à cela ne tienne : pour mieux appréhender les difficultés du cécifoot, rien de tel que de se mettre à la place de ceux qui en font.
On nous prête alors un bandeau noir. On se met au milieu du terrain de quarante mètres, en face du goal où le gardien nous attend. Le pauvre, il aura le temps de prendre froid avant de nous voir arriver. L’un des entraîneurs du Cécifoot Charleroi nous explique alors les rudiments de la discipline et nous donne quelques consignes : mieux vaut en effet contrôler le ballon de l’intérieur des pieds. Sinon, il peut nous échapper. Cela ne manquera pas d’arriver. Après avoir mis le bandeau, on perd déjà nos repères. Mais on commence à avancer, à une allure qu’on espère rapide mais qu’on devine lente. Les premiers mètres se passent, disons, correctement, et on commence à se sentir à l’aise. Mal nous en a pris.
En raison d’un pied gauche qui nous sert plus à monter dans le bus ou à avancer sur un vélo à la salle de sport, le ballon s’échappe inexorablement. Commence alors la difficile mission de le retrouver. On lance nos jambes dans tous les sens, puis on écoute nos instructeurs : "Gauche, droite, un mètre devant…"
Au prix de moult difficultés et au bout de très longues secondes, on retrouve le cuir, presque par hasard. Mais, alors, là, c’est le noir total : où peut-on bien se trouver sur le terrain ? Impossible de le savoir. On écoute alors nos (très) patients et sympathiques instructeurs : "Trois mètres, à gauche, à droite, tout droit…"
Inutile de préciser que l’allure est plus saccadée encore qu’une course-poursuite dans la série Derrick. On entend alors : "Tire". On veut faire bonne figure et on donne tout ce qu’on a. Même si c’est du pied gauche et qu’on ne sait plus où on se trouve sur le terrain. On enlève alors le bandeau en découvrant qu’on a tiré en touche. C’est pas gagné et ne permet que d’apprécier d’autant plus les cécifooteux.
On nous propose donc un exercice plus simple : le pénalty. On se retrouve à neuf mètres d’un goal de hockey. Pied d’appui à côté du ballon, main droite sur le cuir : on est prêt à entendre l’instructeur qui tapote sur les montants afin qu’on situe mentalement le goal. Par après, il se met au milieu de celui-ci et donne de la voix. On peut dès lors y aller. C’est le moment, c’est l’instant de gloire : on tire. On enlève le bandeau, prêt à fêter le but, mais le gardien, tout sourire, nous fait redescendre sur terre. "Ce n’est pas goal mais, au moins, c’était cadré", lâche-t-il.
En somme , ce n’est toujours pas gagné. Deux cécifooteux de Charleroi proposent ensuite une mise en situation : quelques passes suivies d’actions. Difficile, sans la vue, de contrôler le ballon et de faire une passe dans les pieds de son partenaire. Les vieux réflexes du football classique prennent le dessus : les bras traînent pour ceinturer l’adversaire. On se reprend en mains et on essaye de prendre le ballon en se repérant grâce aux grelots enfermés dedans, tout en s’annonçant aux joueurs via quelques "voy". Heureusement, notre ouïe est assez bonne pour ne pas se situer à 35 mètres de l’action mais force est de reconnaître qu’on n’est pas au niveau. Loin de là, même. La pratique du cécifoot, c’est tout un art en effet. Et ceux qui s’adonnent à leur passion forcent l’admiration…
Objectif JO 2020
Reconnue l’année dernière par l’Union Belge, l’équipe nationale de cécifoot nourrit un bel objectif l’été prochain : réaliser un top 4 au Championnat d’Europe qui se déroulera en Allemagne, ce qui qualifierait les Belgian Blind Devils pour la Coupe du Monde 2018. En somme, une préparation idéale avant l’Euro 2019, lors duquel une place en finale permettrait d’accéder aux Jeux Paralympiques de 2020, à Tokyo.