Voici le bilan de santé du cyclisme allemand
Le Tour revient en Allemagne dix ans après les affaires de dopage qui avaient jeté le discrédit sur la discipline.
- Publié le 29-06-2017 à 11h48
- Mis à jour le 29-06-2017 à 11h51
Le Tour revient en Allemagne dix ans après les affaires de dopage qui avaient jeté le discrédit sur la discipline. Rassemblés dans l’une des innombrables salles du Messe de Düsseldorf où le Tour de France vient d’inaugurer ses quartiers pour les opérations préliminaires au coup d’envoi de la 104e Grande Boucle, Marcel Kittel, André Greipel, Nikias Arndt et Simon Geschke font face à un auditoire d’écoliers un grand sourire aux lèvres. Les quatre coureurs allemands répondent avec patience et sympathie aux interrogations d’enfants de moins de dix ans pour qui le cyclisme n’est pas indubitablement lié au mot dopage.
Douze ans après avoir visité l’Allemagne pour la dernière fois, le Tour revient dans un pays qui a pris le temps de panser ses plaies. Traumatisés par les multiples affaires de dopage qui n’épargnèrent pas ses stars (Ullrich, Jaksche, Sinkewitz, Schumacher, Kessler, Kohl…), les fans allemands semblent doucement retrouver la foi en une discipline qui avait un temps basculé dans l’oubli.
Bien loin des 9 millions de téléspectateurs qui s’installaient devant leur télévision pour supporter Jan Ullrich à la frontière des années 90 et 2000, les audiences de la télévision publique nationale chutèrent à moins d’1,5 million en 2010.
"Je n’ai jamais fait du vélo pour être reconnu en rue, mais il y a quelques années, je n’osais pas dire que j’étais coureur cycliste professionnel lorsqu’on me demandait quelle profession j’exerçais, confesse ainsi André Greipel, le sprinter de la formation Lotto-Soudal. Le cyclisme véhiculait une très mauvaise image auprès du grand public. Les choses ont, heureusement, changé…"
Si Düsseldorf ne semble pas encore vibrer toute entière au rythme du Tour, les organisateurs affirment attendre près d’un million de spectateurs ces samedi et dimanche pour les deux premières étapes d’un Grand Départ qui doit être celui de la réconciliation. Après quatre années de boycott (de 2011 à 2015), la télévision ARD a ainsi reprogrammé l’événement. Samedi et dimanche, elle diffusera en direct l’intégralité des deux premières étapes.
"Le dopage n’occupe désormais plus l’essentiel du discours médiatique", juge ainsi Tony Martin, le quadruple champion du monde du contre-la-montre. "On reparle à nouveau de sports dans les journaux sous la rubrique cyclisme. C’est le mérite de notre génération de coureurs, celle des Kittel, Greipel, Degenkolb et moi-même. Nos succès ont participé à relancer l’intérêt pour une discipline qui avait autrefois un peu disparu des radars médiatiques. Je ne pense pas que le niveau global du cyclisme allemand se soit jamais véritablement effondré, car les cyclistes actuels sont ceux qui ont été inspirés par les performances de Jan Ullrich. Le réservoir est donc important. Pour que cette vérité ne s’étiole pas dans les prochaines années, il était important de relancer la dynamique. Et Düsseldorf 2017 s’inscrit pleinement dans cette démarche. Le cyclisme va retrouver sa place d’ici peu."
Un Grand Départ dont il faudra encore savoir retirer les bénéfices. "Cet événement ne se suffit pas à lui-même, juge ainsi André Greipel. Le travail à accomplir dans son sillage immédiat est au moins aussi important que celui qui a permis d’attirer à nouveau le Tour de France dans notre pays. Il faudra profiter de la vague d’enthousiasme créée par ce moment fort, la faire vivre. Cela est nécessaire pour remettre les jeunes en selle, mais aussi aider les organisateurs de course à trouver les sponsors indispensables au financement de leurs épreuves."
Ce Grand Départ devra donc être celui d’un nouvel élan.
Les stars allemandes du peloton
1) Marcel Kittel 29 ans/Quick-Step Floors
Victorieux à neuf reprises cette saison (second coureur le plus prolifique depuis janvier après Valverde et ses onze succès), le sprinter d’Arnstadt prendra samedi le départ de son cinquième Tour de France. Avec ses larges épaules, ses cheveux blonds toujours peignés au millimètre et ses yeux bleus, Kittel possède un réel charisme que les médias allemands ont bien saisi. En couple avec la jolie Tess von Piekartz (internationale néerlandaise de volley-ball), celui qui pourrait quitter les rangs de la formation de Patrick Lefevere au terme de cette saison n’a pas sa langue en poche. Chantre de l’antidopage lors de ses premières années pros, il a désormais quelque peu lissé un discours que certains jugeaient parfois trop critique.
2) André Greipel 34 ans/Lotto-Soudal
Atout phare de la formation Lotto-Soudal dans sa quête de succès d’étape, Greipel a levé les bras sur chaque édition de la Grande Boucle depuis 2011 (onze succès d’étape en six ans). Une régularité qui va même plus loin puisqu’il s’est imposé au moins une fois sur chacun des douze derniers grands tours auxquels il a pris part. Surnommé le Gorille de Rostock en raison de son impressionnante musculature, celui qui a terminé 7e du dernier Paris-Roubaix possède pourtant une personnalité aux antipodes de l’image froide qu’il renvoie parfois. D’un naturel altruiste, il est ainsi très apprécié de tous ses équipiers.
3) John Degenkolb 28 ans/Trek-Segafredo
Auteur d’un fantastique doublé Milan-Sanremo/Paris-Roubaix en 2015, Degenkolb s’est vu stoppé dans son élan par un accident qui aurait pu lui coûter la vie en janvier de l’année suivante. En stage avec son équipe d’alors (Giant-Alpecin), le natif de Gera avait été percuté de plein fouet par une automobiliste britannique qui roulait sur la mauvaise bande de circulation. Opéré d’un doigt arraché dans cette mésaventure, l’ex-vainqueur de Gand-Wevelgem est toujours quelque peu gêné dans le maniement de sa poignée de frein. Vainqueur à dix reprises sur la Vuelta, il n’a encore jamais remporté une étape du Tour de France sur lequel il s’aligne pour la cinquième fois.
4) Tony Martin 32 ans/Katusha
Quadruple champion du monde du contre-la-montre, Tony Martin portera samedi le rêve de tous les amateurs allemands de cyclisme : voir l’un de leurs compatriotes endosser le premier jaune de ce 104e Tour de France au soir du chrono inaugural de quatorze kilomètres tracé dans les rues de Düsseldorf. "Porter cette tunique tellement prestigieuse dans son pays est ce qu’il peut arriver de plus beau à un coureur", a confié celui qui a rejoint cet hiver l’équipe Katusha après cinq saisons passées chez Quick-Step.
"L’intérêt médiatique reste mesuré"
La couverture du Tour n’est pas comparable avec celle des années Ullrich
"Ah bon, le Tour s’élance d’Allemagne cette année…" Dans un éclat de rires, Sébastian Kayser répond en une phrase ironique à notre question portant sur l’intérêt de son média pour ce Grand Départ. Journaliste au sein du très populaire Bild (1.500.000 exemplaires vendus chaque jour), il pose un regard critique sur la santé du cyclisme dans son pays.
"Je n’ai pas réellement le sentiment que cet événement suscite un énorme enthousiasme auprès du grand public. Mardi, lors d’un reportage dans une ville pourtant distante de moins de cent kilomètres de Düsseldorf, j’ai été assez étonné par le nombre de personnes qui ignoraient que la plus grande course du monde allait s’élancer d’Allemagne samedi. Si vous vous promenez dans le centre-ville de Düsseldorf, on ne peut pas dire non plus que toute la cité se soit mise à l’heure du Tour… La décoration est assez maigre et on est très loin de ce que j’avais pu voir à Utrecht, par exemple, il y a deux ans."
Ce jeudi matin , trois pleines pages seront pourtant consacrées à l’événement. "Mais même si la saison de football n’a pas encore repris, cela reste le sport roi auquel nous consacrons l’essentiel de notre espace. Une fois le Tour lancé, nous redescendrons très probablement à une seule et unique page. Kittel ou Degenkolb sont d’excellents coureurs à la réelle personnalité, mais ils ne peuvent cependant pas être considérés comme des stars. Si nous comptions un coureur allemand de ce statut, cela nous pousserait à suivre la saison cycliste de bien plus près. Pour cela, il faudrait qu’un de nos champions soit capable de rivaliser avec Froome ou Quintana pour la victoire finale à Paris. Nous sommes loin de la couverture de mise lors des années Ullrich même si l’intérêt pour la discipline est grandissant. La semaine dernière, 25.000 fans s’étaient ainsi réunis pour le Championnat d’Allemagne. Un beau succès."
Jan Ullrich n’est pas le bienvenu
Seul vainqueur allemand du Tour, il y a vingt ans, Jan Ullrich n’est pas le bienvenu à Düsseldorf. Son ancien équipier et ami Andreas Klöden a confié au quotidien Frankfurter Allgemeine que l’ancien coureur de la Telekom n’avait pas reçu d’invitation de la part d’ASO à l’occasion d’un anniversaire que l’organisateur de la Grande Boucle ne souhaite pas célébrer. Ullrich sera, en revanche, mis à l’honneur dans l’est du pays, à Bocholt, où une fête sera organisée en l’honneur de son succès final sur les Champs- Elysées. Il participera par la même occasion à une course caritative. Nommé directeur du Tour de Cologne, l’Allemand avait été contraint de se retirer sous la pression médiatique.