Philippe Gilbert: "Si je sais que je ne peux pas lever les bras sur une course, je n'y perds pas mon temps"
Le Wallon s’alignera cette année à Roubaix pour poursuivre son rêve : épingler chacun des cinq monuments du sport cycliste.
- Publié le 10-01-2018 à 11h02
- Mis à jour le 10-01-2018 à 14h05
Le Wallon s’alignera cette année à Roubaix pour poursuivre son rêve : épingler chacun des cinq monuments du sport cycliste.
L’objectif est à ce point affirmé qu’il possède même désormais son slogan : Strive for five (traduisez se battre pour les cinq). Installé à Calpe pour le second stage de l’équipe Quick Step, Philippe Gilbert pose, sur la Costa Blanca, les derniers jallons d’une saison 2018 qu’il espère monumentale. Déjà vainqueur du Tour de Lombardie (2009 et 2010), de Liège-Bastogne-Liège (2011) et du Tour des Flandres (2017), le Liégeois veut tenter de réaliser le Big Five en décrochant désormais Milan-Sanremo et Paris-Roubaix.
Philippe, à quel point est-il important, à vos yeux, de pouvoir refermer votre carrière en ayant épinglé la Primavera et l’Enfer du Nord à votre palmarès ?
"Comme je l’ai déjà affirmé depuis plusieurs années maintenant, enlever chacun des cinq monuments du sport cycliste constituerait un rêve que je veux tenter de concrétiser. Je demeure réaliste et mesure à quel point ce défi est ardu. Mais je le sais aussi réalisable. J’ai accompli plus de la moitié du chemin en gagnant en Lombardie, à Liège et sur le Tour des Flandres. J’aimerais désormais beaucoup compléter la série…"
Vous ne comptez qu’une seule participation à Paris-Roubaix, en 2007. Pourquoi avoir attendu votre seizième saison chez les pros pour réellement vous attaquer à cet objectif ?
"Tout simplement parce que l’Enfer du Nord est une épreuve particulièrement dangereuse sur laquelle plusieurs coureurs ont subi de graves chutes desquelles ils ne se sont jamais véritablement remis. Au contraire des authentiques spécialistes des pavés, j’ai la chance d’être plus polyvalent. Il me semblait donc logique de tenter d’enlever d’autres grandes courses avant celle-là."
Cela signifie-t-il donc que l’Amstel ou Liège-Bastogne-Liège seront, du coup, moins importants à vos yeux ?
"Les classiques flamandes et ardennaises sont très différentes. Sur les pavés, il est avant tout question de force alors que pour Liège, par exemple, il faut posséder de réelles qualités de grimpeur sur des ascensions de 10 à 12 minutes. Les Flandriennes imposent d’être agressif en course, de se battre sans cesse pour sa position. Si vous perdez six ou sept positions avant chaque virage, cela impose autant d’efforts qui se paient dans le final. J’ai dû retrouver cet état d’esprit en début de saison dernière. Mes qualités ont également évolué. Avec les années, je suis devenu plus résistant, chose importante dans la perspective de Roubaix où je m’alignerai avec ambition."
Même si son champ d’action s’est considérablement élargi, l’équipe Quick Step demeure la grande spécialiste des classiques pavées. En quoi cette expérience est-elle importante pour vous dans la perspective de Paris-Roubaix ?
"Le vécu du staff et de coureurs comme Lampaert ou Stybar est un réel atout. Je suis un spécialiste des courses d’un jour et je pense en connaître les grands principes (rire). Je n’ai peut être participé qu’une seule fois à Roubaix, mais je l’ai très souvent regardé à la télévision. Cela se joue souvent aux mêmes endroits, là où il est important d’être devant."
Envisagez-vous donc de pouvoir faire l’impasse sur les classiques wallonnes ?
"Rien n’est encore définitivement arrêté avec le staff, mais ce n’est pas en tout cas pas mon état d’esprit en ce début de saison. L’envie et la force mentale peuvent vous porter sur toute la période des classiques printanières mais certains éléments extérieurs jouent également un rôle crucial. Je pense à la météo. Si vous disputez le Ronde et Roubaix dans la pluie et le froid, le délai nécessaire pour récupérer de ces efforts s’allonge considérablement. Je n’ai plus disputé Liège-Bastogne-Liège depuis 2015 et cela reste une épreuve sur laquelle je vis des moments très forts et spéciaux. Cela me ferait mal au coeur de ne pas en être."
Comment, personnellement, pouvez-vous faire mieux en 2018 que lors de la saison écoulée marquée par vos succès au Tour des Flandres et à l’Amstel ?
"Je cours toujours pour gagner des grandes courses. Si je sais que je ne peux pas espérer lever les bras, je n’y perds pas mon temps (rires). Ma condition est actuellement déjà bonne et je suis impatient de m’aligner pour la première fois en course lors du Tour de Murcie (10 février) afin d’étalonner mon niveau face à la concurrence. Je participerai ensuite au Tour d’Algarve avant de m’aligner sur le week-end d’ouverture belge. Je voudrais ensuite briller sur les Strade Bianche, une épreuve que j’ai remportée en 2011 et que j’aime beaucoup. Je resterai alors en Italie, à Tirreno, pour préparer Milan-Sanremo."
Que vous inspire le nouveau parcours du Nieuwsblad qui empruntera l’ancien tracé du Tour des Flandres ?
"Je trouve cela très bien de revenir sur ces lieux de légende. Le Mur de Grammont et le Bosberg dans un final, c’est mythique ! Il est aussi plus propice à l’offensive. Depuis que cette épreuve a accédé au statut World Tour , elle est devenue une épreuve importante pour tout le monde."
Votre palmarès ne constitue-il pas votre plus gros atout dans cette quête des cinq monuments ?
"Il permet en tout cas de mettre la pression sur d’autres dans le final. Quand on a trop envie de gagner, c’est souvent là qu’on ne l’emporte pas."
Kittel, Boonen, Martin ou encore Trentin ont quitté l’équipe. Celle-ci est-elle aussi forte qu’en 2017 ?
"Pour reprendre une expression de Patrick Lefevere, la saison écoulée a été ‘un grand cru classé’ ( NdlR : 59 succès) . J’ai confiance en ce noyau rajeuni mais aussi très talentueux. Nous possédons un collectif solide. Des gars comme Alaphilippe ou Gavirai vont prendre un peu plus d’envergure encore. Dans dix ans, quand ils compteront peut être un palmarès long comme le bras, je serai alors content de pouvoir dire que j’ai été leur équipier (rires) . On ne peut pas avoir chaque année le même rendement, mais nous tenterons de faire au mieux."
L’insaisissable Primavera
Pour le Wallon, Milan-Sanremo constitue le monument le plus difficile à enlever.
La douceur de l’hiver azuréen a déjà emmené Philippe Gilbert à plusieurs reprises sur la côte ligure. En voisin, le résident monégasque emprunte très souvent le final de Milan-Sanremo au gré de ses entraînements. Une parfaite connaissance du terrain qui n’a pas encore porté le Liégeois vers un succès dans la cité des fleurs.
Philippe, vous avez déjà laissé entendre que Milan-Sanremo constituait, à vos yeux, le monument le plus difficile à remporter. Pourquoi ?
"Tout simplement car, même si vous y possédez de super jambes, vous n’avez aucune garantie de l’emporter ou même de monter sur le podium. À Liège ou en Lombardie, par exemple, si vous prenez le départ au sommet de votre condition, vous avez la quasi-certitude de disputer la finale. Eddy Merckx n’est pas du tout d’accord avec moi dans cette analyse puisqu’il a remporté la Primavera à sept reprises. Nos discussions sur le sujet sont donc souvent animées… (rires)"
Le scénario de l’année dernière a toutefois démontré que l’offensive pouvait y être récompensée. Le succès de Kwiatkowski vous a -t-il inspiré ?
"Oui, d’une certaine manière. Les directeurs sportifs analysent souvent le déroulement de la précédente édition au moment de valider leur sélection. De très nombreuses équipes s’y aligneront donc très probablement avec un attaquant."
Greg Van Avermaet a dit avoir pris beaucoup de plaisir dans la rivalité sportive qui vous a opposés l’année dernière. Partagez-vous ce sentiment ?
"Je ne le vois pas comme le seul adversaire sur mes objectifs. La liste est bien plus longue. En début de saison, j’ai toujours un regard attentif sur la performance de gars comme Sagan par exemple."
Vous fêterez cette année vos 36 ans. Avez-vous fixé une échéance à votre carrière ?
"Non, aucunement. Je continue de prendre beaucoup de plaisir sur le vélo et considère que je fais un super métier. Si la motivation et le niveau sont toujours là, je ne vois pas pourquoi je raccrocherais. Même si je venais à remporter à Roubaix et Sanremo… Il y a vingt ans, un coureur était vieux à 33 ans mais l’évolution du matériel et de l’entraînement ont permis de traiter son corps avec plus de soins. Je n’étirerai tout de même pas ma carrière aussi longtemps qu’un gars comme Rebellin par exemple (NdlR : à 46 ans, il a signé dans la formation Sovac-Natura4Ever pour 2018) . Ça c’est tout de même extrême…"
L’envie d’avoir envie
Un commentaire signé Quentin Finné.
L’histoire ne nous dit pas si la playlist qui ambiance le bus de la formation Quick Step au départ de chaque épreuve comprend, ou non, quelques morceaux de chanson française au milieu des derniers tubes internationaux. Si Philippe Gilbert n’est assurément pas le plus grand fan de Johnny, le Wallon lui rend toutefois indirectement hommage en plaçant au cœur de son discours un mot qui a fait l’un des plus grands succès du rocker : l’envie. À 35 ans et riche d’un palmarès de plus de septante victoires pros, le Liégeois n’a pas perdu une once de cette motivation qui l’a conduit à ses plus grands succès. Lundi, au retour d’un entraînement collectif de près de 180 kilomètres, il a ainsi voulu faire flirter son compteur avec les 200 bornes. Un signe parmi tant d’autres. Au milieu d’une formation Quick Step Floors considérablement rajeunie pour cette saison 2018, Gilbert continue de se nourrir de ses succès de prestige sans jamais s’en rassasier. Rassemblé avec ses partenaires autour "d’un pacte des loups" dont le staff de la formation belge a fait un authentique label, le vainqueur du dernier Tour des Flandres a tout du parfait chef de meute. Affamé…