Mondiaux de cyclisme: maintenir l'esprit d'équipe pour éviter que l’arc-en-ciel ne vire à l’orage
Comment faire cohabiter plusieurs leaders au sein d’une même équipe nationale ?
- Publié le 22-09-2017 à 08h29
- Mis à jour le 22-09-2017 à 08h30
Comment faire cohabiter plusieurs leaders au sein d’une même équipe nationale ? C’est la grande question qui se pose à la veille d’un Championnat du Monde couru selon la formule des équipes nationales. Comment faire cohabiter, l’espace d’une course, au sein d’une même formation, des coureurs qui sont adversaires tout le reste de la saison ? C’est aussi l’un des paramètres qui font le charme de la course arc-en-ciel.
"Dans un Mondial, quand vous voyez un petit groupe se détacher, il faut regarder qui court sur quel vélo et aussi quel cuissard porte tel ou tel coureur", affirme l’ancien sélectionneur José De Cauwer. "Cela vous permet de voir qui est équipier de qui toute l’année et pas ce jour-là. Sans oublier de tenir compte des transferts pour la saison suivante."
Dans chaque championnat ou presque est survenu un petit ou grand incident entre des coureurs appartenant à une même nation, qui se sont courus les uns derrière les autres, ou, au contraire, ont refusé plus ou moins ouvertement de prêter main-forte à un compatriote.
Plus d’un demi-siècle après, personne n’a oublié le drame Beheyt-Van Looy à Renaix, en 1963. Dans l’histoire du cyclisme belge, c’est une date indélébile, marquée au fer rouge.
L’accord secret des Norvégiens
Comme les Belges, qui présentent Greg Van Avermaet et Philippe Gilbert en fers de lance, la Norvège est un aigle à deux têtes. Mais, c’est un secret de Polichinelle, Alexander Kristoff et Edvald Boasson Hagen ne s’entendent pas du tout. Au point qu’au printemps dernier, le sélectionneur national est venu spécialement en Belgique pendant les classiques flandriennes. Un soir, il a réuni ses deux leaders dans un hôtel.
"Jurez-moi que vous n’allez pas vous courir l’un derrière l’autre à Bergen, où je ne prendrai qu’un seul de vous deux dans la sélection", a-t-il dit à Kristoff et Boasson Hagen qui ont bien été contraints de se serrer la main. À Herning, au championnat d’Europe, le second a attaqué, a été repris, et c’est le premier qui a gagné le sprint. La Norvège rêve à ce même scénario dimanche.
"L’important, dit De Cauwer, c’est de rester honnête et de communiquer. Avant la course, que chacun soit clair, mais aussi pendant et surtout à temps, pas quand c’est trop tard. Il faut que chacun dise les choses. C’est normal que Naesen ne roule pas derrière Gallopin qui sera son équipier l’an prochain, ou que Gilbert ne poursuive pas Alaphilippe qui roule aussi chez Quick Step. Il faut donc veiller à ce que la situation ne se produise pas. Que ce soit Naesen qui roule derrière Alaphilippe et Gilbert derrière Gallopin. Mais c’est difficile pour des coureurs comme Van Avermaet et Gilbert, qui ont un certain niveau, leur fierté, de se mettre au service d’un autre. Quand j’étais sélectionneur, je disais toujours à mes coureurs : ‘ Attention, la course est télévisée, des millions de Belges vont la voir. Si vous faites quelque chose de répréhensible, si vous trahissez l’équipe, ça se saura et ça vous poursuivra toute votre carrière ’. "
La défaite nationale de Varèse
La dernière fois que les Belges se sont sabordés, c’était à Varèse, en 2008, lorsqu’Alessandro Ballan triompha tandis que Jurgen Van Goolen, Nick Nuyens, Philippe Gilbert ou Greg Van Avermaet, abandonnaient le leader désigné, Tom Boonen, pour se lancer en vain à la poursuite des fuyards.
"Ce qui fait la force de notre équipe, c’est que Kevin De Weert, le sélectionneur, communique beaucoup", explique Jasper Stuyven. "Depuis des semaines, des mois même, on sait que nous aurons deux leaders et ce qu’on attend de nous. Pour le reste, le fait d’avoir couru plusieurs courses au sein d’une équipe nationale mixte, comme le Tour de Belgique, Hal-Ingooigem, ou le Circuit des XI Villes, renforce l’esprit d’équipe, crée des liens, instaure une excellente ambiance entre nous. Nous sommes aussi ici depuis mardi, alors que la plupart des autres équipes arrivent vendredi…"
Dix Mondiaux qui ont laissé des traces
Souvent, la course arc-en-ciel a suscité la polémique au sein d’une même équipe.
De nombreux incidents sont survenus aux Mondiaux au sein d’une même équipe nationale.
1928: Le 2e Mondial tourne à la déconfiture pour la Squadra. Les premiers campionissimi, Alfredo Binda, le tenant du titre, et Costante Girardengo, se marquent au cuissard, refusent de collaborer derrière le Belge Georges Ronsse échappé et finissent par se saborder.
1946: À deux tours de l’arrivée, à Zurich, Rik Van Steenbergen se lance en poursuite de son compatriote Marcel Kint échappé seul. L’Anversois, qui y laisse le gros de ses forces, ramène le Suisse Hans Knecht. Celui-ci démarre alors que les deux Belges discutent d’un accord financier. Seul Kint le rejoint, mais il sera battu.
1963: Le sprint le plus tumultueux de l’histoire des Mondiaux. Rik Van Looy est l’incontestable leader d’une équipe belge qui lui a juré fidélité (mais avait-elle le choix ?). Dans les derniers mètres, Benoni Beheyt déborde l’Empereur d’Herentals. La polémique à propos de la trahison du Flandrien, que la police doit protéger après la course, va faire rage pendant des mois et même des années. Elle coûtera sa carrière à Beheyt. À 26 ans, il se retire…
1966: Sur le circuit du Nürburgring, Rudi Altig profite de l’opposition entre les deux Français Raymond Poulidor et Jacques Anquetil. Ce dernier préfère voir l’Allemand, son équipier chez St-Raphael, s’imposer.
1972: À Gap, l’Italien Franco Bitossi, échappé, semble devoir gagner quand son compatriote Marino Basso, qui a lancé le sprint, le déborde à 10 mètres. Au pied du podium, Bitossi, 2e, est victime d’une crise de nerf.
1973: À Montjuich, Eddy Merckx s’isole au commandement mais, au prix d’un gros effort, Freddy Maertens revient sur lui, emmenant Felice Gimondi et Luis Ocana dans sa roue. Le Flandrien promet alors au Bruxellois de lui lancer le sprint. Lors de celui-ci, Merckx plafonne et coince. Gimondi déborde alors Maertens surpris. La rivalité et le ressentiment entre les Belges dureront des années.
1975: Merckx diminué (mâchoire fracturée au Tour) tombe en début de course. Roger De Vlaeminck devient leader des Belges dans un Mondial couru à Yvoir. Hennie Kuiper profite de la rivalité de nos compatriotes et, derrière le Néerlandais en fuite, personne ne veut collaborer réellement. Jamais, De Vlaeminck, 2e, ne sera champion…
1982: À 500 mètres de l’arrivée, Greg LeMond bouche un trou derrière son compatriote Jonathan Boyer échappé. Giuseppe Sarroni en profite…
2013: à Florence, Rui Costa profite de la rivalité des favoris, Vincenzo Nibali, qui est revenu après une chute, et les Espagnols Alejandro Valverde et Joaquin Rodriguez, assurément le plus fort de la course, pour revenir sur ce dernier qui s’est échappé. Quand Costa part en contre, Valverde laisse s’enfuir son équipier chez Movistar et refuse d’aider Nibali en poursuite du Portugais. Au sprint, ce dernier s’impose face à un Rodriguez effondré sur le podium.
2015: À Richmond, dans la finale de l’épreuve, Simon Gerrans refuse de sacrifier ses chances dans la poursuite derrière Peter Sagan, échappé. Personne ne reverra le Slovaque et Michael Matthews doit se contenter de la 2e place à quelques secondes, alors que Gerrans, son équipier chez Orica et compatriote, finit 6e du sprint… Plus rien ne sera ensuite comme avant entre les deux Australiens.