Les 12 temps forts de la carrière de Boonen (3/12): le passage de témoin du 14 avril 2004
Alors que Johan Museeuw prend sa retraite au G.P. de l’Escaut, Tom Boonen ouvre ses ailes et amorce son envol définitif.
- Publié le 29-03-2017 à 14h54
- Mis à jour le 11-04-2017 à 10h33
Alors que Johan Museeuw prend sa retraite au G.P. de l’Escaut, Tom Boonen ouvre ses ailes et amorce son envol définitif. Dans la tente qui, à Schoten, borde la ligne d’arrivée du G.P. de l’Escaut, deux hommes s’étreignent. À côté de Johan Museeuw, pourtant costaud, Tom Boonen semble un géant. Le premier est ému, il ne peut masquer ses larmes, plus tard lorsque Karl Vannieuwkerke, le journaliste de la télévision flamande, l’interroge. À ses côtés, Tom Boonen sourit, un peu gêné, tandis que Dirk Nachtergaele, le soigneur de la Quick Step, s’occupe à les rafraîchir. Boonen vient de gagner, mais ce n’est pas lui, le héros du jour.
Ce mercredi 14 avril 2004, Johan Museeuw tire sa révérence et cède définitivement à son cadet le sceptre de chef de file du cyclisme belge. Au printemps 2004, la carrière de Frank Vandenbroucke s’est enlisée pour toujours, celle de Peter Van Petegem et de Tom Steels vont déclinantes, alors que le Lion des Flandres prend sa retraite, à 38 ans bien sonnés. Son jeune équipier en a quinze de moins, mais plus personne ne doute qu’il va prendre sa suite.
"Je suis content d’avoir été son équipier", dit Johan Museeuw. "Sa première année chez Quick Step n’avait pas été exceptionnelle mais ensuite, il a pris son envol au printemps 2004. Il a commencé à gagner de belles courses et en série. Il était très jeune et ça, c’était le signe d’un futur phénomène. Deux ans plus tôt, dès la première course où nous nous sommes retrouvés ensemble dans une échappée (NdlR : la Classic Haribo 2002), je me suis mis derrière lui pour bien le regarder. À sa posture, à son coup de pédales, à son attitude, sa vista, j’avais déjà compris qu’il deviendrait un très bon coureur. Deux mois plus tard, le Paris-Roubaix que je gagne où il finit 3e a confirmé cela. Évidemment, ni lui ni moi n’imaginions alors tout ce qui allait suivre."
En deux saisons, Tom Boonen n’a encore enlevé que deux courses lorsque débute 2004. Douze mois plus tard, il en a ajouté près de vingt et s’est hissé à la 10e place du classement mondial.
"Il a vraiment percé cette année-là", confirme Patrick Lefevere. "Je pense qu’il aurait pu le faire un peu plus tôt, mais la première année où il est arrivé chez nous, il a eu des soucis physiques et puis, il a sans doute affiché un peu trop de respect pour Johan Museeuw. Dans les courses où Johan voulait briller, le Tour des Flandres ou Paris-Roubaix, Tom s’est mis, comme on le lui demandait d’ailleurs, entièrement à son service. Sans la crevaison survenue à Hem, près du vélodrome, Johan aurait d’ailleurs sans doute enlevé son dernier Roubaix et il l’aurait dû en grande partie au travail de Tom. C’était une marque de respect de sa part et parce qu’il voulait vraiment offrir à Johan la plus belle fin de carrière possible."
Mais l’inverse fut vrai aussi, à l’image du vieux Lion menant grand train dans la finale des trois classiques flamandes, le GP E3, Gand-Wevelgem et le GP de l’Escaut, que le jeune Campinois va remporter en un peu plus de deux semaines, chaque fois au terme du sprint d’un grand groupe que les Quick Step ont cadenassé à son profit.
Des profils comparables et différents
Les deux champions sont tout à la fois comparables et différents. Ils ont brillé dans les classiques pavées, mais Museeuw, à une époque moins spécialisée il est vrai, a gagné sur d’autres terrains, tandis que le tableau de chasse de son cadet recense beaucoup plus de succès.
"Il était aussi moins rapide que Tom qui a remporté plus de victoires, mais on ne peut pas comparer des générations différentes", dit Lefevere, qui connaît particulièrement bien les deux hommes. "C’est vrai qu’ils ont chacun constitué un chapitre important dans l’histoire de mes équipes. Johan a couru onze ans avec moi, Tom quinze. Juste quand Johan a arrêté, Tom a éclos. Il a été ensuite le fil rouge de notre équipe, comme Museeuw l’avait été auparavant. Mais Johan avait moins de charisme que Boonen en dehors des courses et sans doute plus de concurrents au sein même de l’équipe. Athlétiquement, ils sont plus ou moins les mêmes et leur itinéraire respectif est relativement semblable. Si tous les deux ont fait souvent preuve d’une énorme force de caractère pour revenir après des accidents, à ce sujet, je donnerais un avantage à Johan."
Le manager flandrien poursuit son décryptage.
"Tom est super important dans l’équipe", ne peut-il nier. "Il possède cette capacité d’entraîner les gens sans être autoritaire. Il a naturellement du charisme. Il y a des coureurs qui cherchent des excuses à une défaite, lui pas ! S’il dit quelque chose à propos du matériel par exemple, on a intérêt à l’écouter, car c’est sûrement vrai et important. Bien sûr, il ne rigole pas toujours après toutes les courses, mais je ne l’ai jamais vu se disputer avec un membre de l’équipe, coureur ou personnel. Au contraire, il montre toujours beaucoup de respect envers ses équipiers. Je ne me souviens pas qu’il ait fait des reproches à l’équipe, alors que, sincèrement, elle n’était parfois pas à sa hauteur."
Museeuw parti, Boonen devient petit à petit Tornado Tom. Les victoires, petites et grandes, s’enchaînent. Dix-neuf au total, plus cinq critériums. En février, il a levé pour la première fois les bras au Qatar où l’habitude va tourner quasi à l’obsession.
Deux étapes pour son premier Tour
Cette année-là, il s’impose à nouveau au Tour de Belgique et en septembre au Mémorial Rik Van Steenbergen, un champion de sa trempe, de sa classe et de son caractère, Anversois comme lui, décédé un an plus tôt et auquel le Boonen à venir aurait énormément plu. Ce n’est pas un hasard d’ailleurs, si Jan Wauters, le Luc Varenne flamand, dépeindra Tom Boonen comme "le croisement entre Rik Van Steenbergen et Rik Van Looy", deux de nos plus grands champions derrière Eddy Merckx, bien sûr, et avec Roger De Vlaeminck. Un cercle restreint dans lequel il va prendre place dans les années qui suivront.
"La première fois que je l’ai massé, c’était au Mondial 2001, il était encore espoir", raconte Dirk Nachtergaele, qui allait le retrouver deux ans plus tard chez Quick Step. "À l’époque, c’était encore un gamin, il avait des jambes enrobées, comme par de la pape ! Cela a changé quand il est arrivé chez nous. Il s’est musclé, ses jambes se sont effilées, les cuisses ont pris du volume, les chevilles se sont affinées. Il était déjà très mature et à l’écoute de tous ceux qui avaient de l’expérience."
En juillet 2004, Tom Boonen est à Liège pour le grand départ du Tour de France. Ses débuts sont difficiles. Après un honnête prologue, il est victime d’un saut de chaîne dans les rues de Marcinelle où se termine la 1re étape. Il est 116e… Le lendemain, à Namur, il n’est que 12e, son sprint encore manqué ! Et ce n’est pas la 4e place obtenue à Wasquehal, vingt-quatre heures plus tard, après l’étape des pavés, qui peut le satisfaire. Tom Boonen ronge son frein.
Le Tour a déjà sept jours quand, à Angers, il s’impose en force, enlevant son premier succès sur les routes du Tour, devant O’Grady, Zabel, Hondo… "Enfin", clame-t-il. "Le Tour n’a pas une semaine et il est déjà réussi."
Le Belge devra attendre quinze jours pour ajouter un second succès d’étape, mais pas n’importe lequel. À Paris, sur les Champs Elysées, il devance cette fois Nazon, Hondo, McEwen et Zabel. L’Aigle s’est envolé…