Chris Froome blanchi: La fin d’un très mauvais feuilleton
Après neuf mois, le dossier Chris Froome a enfin trouvé un épilogue : le Britannique a été blanchi, il pourra courir le Tour de France.
- Publié le 03-07-2018 à 06h48
Après neuf mois, le dossier Chris Froome a enfin trouvé un épilogue : le Britannique a été blanchi, il pourra courir le Tour de France. Le Britannique Christopher Froome pourra bien s’aligner samedi au départ du Tour de France où il visera un cinquième succès. Il a été blanchi ce lundi pour son contrôle antidopage "anormal" subi lors d’une étape de la dernière Vuelta, le 7 septembre 2017.
Le coureur de Sky avait présenté dans ses urines un taux excessif de salbutamol (antiasthmatique), un produit interdit en compétition au delà d’un certain seuil. Il présentait deux fois la norme autorisée (1.000 ng/ml).
Pendant neuf mois, une bataille a donc opposé avocats, experts juridiques et scientifiques dans un dossier qui a plombé le monde du cyclisme. Car la nature du produit incriminé autorisait Christopher Froome à courir, ce dont le Britannique ne s’est jamais privé, malgré les appels multiples à ce que lui ou son équipe l’auto-suspende pendant la procédure.
La décision de l’UCI
Dans un communiqué publié ce lundi en fin de matinée, l’Union cycliste internationale a fait savoir qu’elle avait classé sans suite l’affaire Froome . L’UCI s’est basée pour cela sur les conclusions de l’Agence mondiale antidopage, la plus haute autorité en cette matière, qui a considéré que ce contrôle ne constituait pas un "contrôle positif" .
"Le 28 juin 2018, l’AMA a informé l’UCI qu’elle acceptait, sur la base de son analyse des faits spécifiques de l’affaire, que les résultats de l’échantillon de M. Froome ne constituent pas un résultat analytique anormal , explique l’UCI dans son communiqué. Sachant que l’AMA dispose des meilleures informations sur le régime du salbutamol qu’elle a mis en place, l’UCI a décidé, sur la base de la position de l’AMA, de clore la procédure contre M. Froome."
La décision d’ASO
Dans la foulée, les organisateurs du Tour de France ont levé la récusation du Kenyan blanc qu’ils avaient introduite auprès de la chambre arbitrale du sport (français) qui devait l’examiner ce mardi. "Lorsqu’il est apparu que nous n’aurions pas une réponse avant le début du Tour , a expliqué à L’Équipe Christian Prud’homme, le patron d’ASO, nous avons décidé, il y a trois semaines, parce qu’on avait besoin de la réponse d’une autorité indépendante, d’écrire à Chris Froome, à Sky et à l’UCI pour leur dire que nous allions faire jouer l’article 29 du règlement particulier du Tour de France (dans lequel ASO se réserve expressément la faculté de refuser la participation à - ou d’exclure de - l’épreuve une équipe ou l’un de ses membres dont la présence serait de nature à porter atteinte à l’image ou à la réputation d’ASO ou de l’épreuve). Aujourd’hui, il est relaxé. Quand on nous dit qu’il n’a rien fait, on ne va pas continuer ."
Le directeur du Tour n’a pu s’empêcher d’ajouter : "Tout cela pour ça. Nous n’avons eu de cesse de répéter, depuis que nous avons eu connaissance du contrôle anormal comme tout le monde le 13 décembre, qu’il fallait une réponse rapide " et "nous n’avons pas accès au fond du dossier . Nous n’avons pas à nous prononcer là-dessus. Mais j’ai envie de dire : quel gâchis ! Il est vraiment dommage que la décision arrive si tard, moins d’une semaine avant le départ du Tour".
La réaction de Froome
Chris Froome s’est bien sûr montré enchanté. "Je suis ravi que l’UCI m’ait blanchi , a communiqué le Britannique. Cette décision est évidemment importante pour moi et l’équipe, mais c’est aussi un moment important pour le cyclisme, je n’ai jamais douté pour la simple raison que j’ai toujours su que je n’avais rien fait de mal. Je souffre d’asthme depuis mon enfance. Je sais exactement quelles sont les règles . Je connais très bien le cyclisme, ses bons et ses mauvais côtés. Personnellement, je me suis toujours tenu du bon côté. J’ai souvent dit, et c’est la vérité, que mes quatre victoires à la Grande Boucle étaient parfaitement régulières. Le point final de cette pénible affaire a maintenant été mis. On va enfin pouvoir exclusivement se concentrer sur le Tour… Je suis reconnaissant et soulagé de reléguer ce chapitre derrière moi, ça a été neuf mois très intenses."
Qu’est-ce que ça change ?
Outre le fait qu’il pourra prendre le départ du Tour de France sans une épée de Damoclès suspendue au-dessus de lui, Chris Froome sait aussi qu’il est désormais officiellement le vainqueur de la Vuelta 2017 et du Giro 2018. Deux succès qu’il aurait pu perdre rétroactivement en cas de sanction. Après Jacques Anquetil, Felice Gimondi, Eddy Merckx, Bernard Hinault, Alberto Contador et Vincenzo Nibali, le Britannique est le septième champion à avoir enlevé au moins une fois chacun des trois grands tours.
L'affaire en 10 temps
1. Le contrôle /7 septembre Maillot rouge de leader sur les épaules depuis la troisième étape de la Vuelta 2017, Chris Froome est soumis tous les jours à un contrôle en compétition ordonné par la CADF (Fondation antidopage du cyclisme) en sa qualité de leader du classement général. Comme tous les autres échantillons prélevés durant cette épreuve, celui collecté le 7 septembre, après la 18 e étape, est analysé par le laboratoire de Madrid. Celui-ci détecte une concentration de salbutamol anormale dans les urines de Christopher Froome. Avec une valeur de 2.000 nanogrammes par millilitre, le Britannique affiche en effet le double du plafond autorisé par l’AMA (1.000). Le dossier est alors transmis à l’unité antidopage du service juridique de l’UCI (LADS).
2. Froome prévenu/20 septembre Le LADS, une entité indépendante au sein de l’UCI qui ne répond pas à des instructions de la direction et instruit les dossiers en collaboration avec un cabinet d’avocats, étudie le dossier, toujours couvert par l’anonymat afin de ne pas interférer dans son jugement. Le LADS choisit d’ouvrir une procédure et notifie une contrôle qualifié d’ "anormal" à Chris Froome le 20 septembre, au matin du Championnat du monde de contre-la-montre (que le Britannique terminera 3e), ainsi qu’à sa fédération nationale, à l’AMA et à l’agence britannique antidopage.
3. Pas de suspension provisoire Considéré comme une substance dite "spécifiée" - c’est-à-dire que les instances considèrent qu’elle peut se retrouver dans l’organisme d’un sportif par inadvertance -, le salbutamol jouit d’un statut particulier dans le code mondial antidopage. C’est pour cette raison qu’on parle de contrôle "anormal", et non de contrôle "positif", et qu’aucune suspension provisoire n’est prononcée à l’encontre d’un coureur dépassant le taux autorisé lors de la procédure d’enquête. Froome et la Sky demandent une analyse de l’échantillon qui confirme le résultat.
4. L’affaire révélée/13 décembre Alors que de telles procédures sont normalement couvertes par l’anonymat jusqu’au terme de l’investigation, le contrôle anormal de Froome est révélé le 13 décembre par les journaux Le Monde et The Guardian . L’UCI confirme l’information des deux quotidiens quelques heures plus tard.
5. La stratégie de la défense Chris Froome ne conteste pas les résultats du contrôle effectué sur la Vuelta, mais nie avoir absorbé plus de salbutamol que la dose autorisée. Selon lui, les valeurs hors norme du 7 septembre s’expliquent par une métabolisation sujette à la variation de nombreux facteurs extérieurs (température, déshydratation, etc.). L’équipe Sky engage un collège d’experts scientifiques chargé d’apporter la démonstration de cette théorie et s’adjoint les services du bureau d’avocats Morgan, l’un des meilleurs (et aussi des plus chers) dans le domaine de la justice sportive (dossiers Contador, Bruyneel, Kolo Touré, Sharapova, etc.).
6. Retour à la compétition/14 février N’étant l’objet d’aucune suspension provisoire, Chris Froome choisit de faire son retour à la compétition le jour de la Saint-Valentin, à la Ruta del Sol. Au milieu d’une nuée de caméras et de journalistes, le Britannique donne ses premiers coups de pédale de la saison 2018 en Espagne au sein d’un peloton profondément divisé. Tim Wellens s’oppose, par exemple, fermement à la présence du Britannique. Froome, lui, confie "ne rien avoir fait de mal" : "j’ai donc le droit d’être là."
7. Victoire au giro/27 mai Alors que la procédure lancée à son encontre semble s’enliser et que le président de l’UCI se dit peu optimiste quant aux chances de régler le dossier avant le début du Tour de France, le leader de la Sky s’impose sur le Giro après un exploit et un solo de plus de 80 kilomètres lors de la 19e étape. Il devient ainsi le 7e coureur à avoir remporté chacun des trois grands tours dans sa carrière.
8. Dépôt du dossier/4 jui n Après le très long travail des experts engagés par le team Sky, le dossier de défense de Chris Froome quant à l’explication de son contrôle anormal sur la Vuelta est déposé auprès de l’Agence mondiale antidopage.
9. L’AMA accepte les arguments du clan froome/28 juin Après analyse des arguments avancés par le clan Froome et sur base de l’étude des faits spécifiques de l’affaire, l’AMA a communiqué à l’UCI que les résultats de l’échantillon du 7 septembre ne constituaient pas un résultat d’analyse anormal.
10. L’uci blanchit froome/2 juillet Au lendemain de l’interdiction envoyée par ASO au team Sky d’aligner Chris Froome au départ du Tour de France le 7 juillet (de laquelle la formation britannique avait fait appel), l’UCI décide de blanchir le quadruple vainqueur de la Grande Boucle. "Sachant que l’AMA dispose des meilleures informations concernant le régime du salbutamol qu’elle a mis en place, l’UCI a décidé, sur la base de la position de l’AMA, de clore la procédure contre M. Froome", signale ainsi la Fédération internationale dans un communiqué.
Un test remis en question
L’affaire Froome a mis en lumière le manque de fiabilité du contrôle de l’utilisation de salbutamol.
Si ni l’UCI ni l’AMA n’ont détaillé les "circonstances particulières" qui ont amené au classement de l’affaire Froome, il ne fait aucun doute que c’est la ligne de défense choisie par le Britannique, son équipe et le cabinet Morgan qui a fait plier les instances internationales.
Les experts, engagés par le clan du quadruple vainqueur du Tour de France, sont ainsi parvenus à prouver que le test urinaire visant à déterminer le taux de concentration de salbutamol (limite de 1.000 ng/ml) était sujet à la variabilité de certains facteurs extérieurs à la prise par inhalation. Une démonstration qui pose la question de la fiabilité même de cette opération de contrôle.
Début mai, des scientifiques néerlandais, qui ont certifié n’avoir aucun intérêt dans la publication de leur étude, avaient déjà remis en cause ce test dans un article paru dans le British Journal of Clinical Pharmacology. Après avoir fait inhaler à un échantillon d’individus un nombre de bouffées de salbutamol qui aurait dû déboucher sur un taux de concentration dans les urines ne dépassant pas les 1.000 ng/ml (la limite fixée par le code mondial antidopage), 15,4 % des sujets étaient positifs.
Jean-Pierre de Mondenard, médecin du sport, ex-médecin sur le Tour et auteur de nombreux ouvrages sur le dopage, avait, lui aussi, déjà posé la question de l’exactitude. "Il y a quelques années, j’ai défendu un cycliste qui présentait un taux de salbutamol de 1.879 ng/ml, donc très proche du résultat de Froome. Mais nous avons prouvé qu’il était propre et il a été blanchi par la commission antidopage de la Fédération… Pourquoi ? Car sa densité urinaire était très très élevée, il était complètement déshydraté et, forcément, cela avait joué sur les résultats du contrôle."
Suspendu en 2007 pour un contrôle anormal à cette même substance, Alessandro Petacchi nous a confié que les valeurs renseignées lors des multiples contrôles qu’il a subis durant sa carrière étaient toujours différentes alors qu’il s’administrait pourtant chaque jour le même nombre de bouffées par l’intermédiaire de son inhalateur.