La veuve de Navalny revient pour la première fois sur la mort de son mari : "Poutine ne devrait pas avoir peur de moi, mais du peuple russe"
Ioulia Navalnaïa raconte le moment où elle a appris la mort de son mari et assure vouloir continuer son combat contre Poutine.
- Publié le 17-04-2024 à 20h58
Dans un entretien fleuve réalisée pour le Time magazine à Vilnius au début du mois, Ioulia Navalnaïa, la veuve de l’opposant russe Alexeï Navalny, s’est livrée pour la première fois sur la mort de son mari et son avenir.
La dernière fois que Ioulia Navalnaïa a vu son époux en personne, c’était quelques jours avant l’invasion russe de l’Ukraine, le 15 ou 16 février 2022. À cette époque Alexeï Navalny se trouvait dans une camps de prisonniers à Pokrov, à l’est de Moscou. C’est là qu’il a été incarcéré après son arrestation en janvier 2021.
”Nous n’étions pas autorisés à lui rendre visite très souvent car il était toujours en cellule d’isolement. Mais lorsque nous avons été autorisés, nous nous y sommes rendus avec les enfants et ses parents. Nous avons mangé tous ensemble, puis ils sont rentrés le soir et Alexeï et moi sommes restés ensemble deux jours supplémentaires”, se rappelle la veuve.
Le dernier moment passé ensemble, Ioulia et Alexeï ont regardé les JO d’hiver de Beijing ensemble et discuté de l’invasion imminente de l’Ukraine. Après cela, établir le contact a été beaucoup plus difficile. Ioulia Navalnaïa a pu parler à son mari que quelques fois par téléphone. “La conversation était enregistrée et des gardes se tenaient à côté de lui. Ce n’était donc pas grand-chose". Le dernier appel a eu lieu en juillet 2023,” mais ça n’a pas marché. Il a appelé et je l’ai entendu dire 'bonjour, bonjour'”, puis la ligne a été coupée, se souvient-elle.
Lorsque l’opposant a été transféré en décembre 2023 dans la colonie pénitentiaire de Sibérie, où il est mort en février 2024, il n’a pu communiqué avec sa femme que par l’intermédiaire de ses avocats. “Il n’a jamais été malheureux. La veille de sa mort, j’ai vu sur les vidéos de surveillance du tribunal et il souriait. Mais je pense qu’il a vécu une période très difficile. Ils l’ont vraiment torturé ces deux dernières années. Il était affamé”, se désole-t-elle.
Lorsqu’Alexeï Navalny est mort, Ioulia se trouvait à Munich pour la conférence sur la sécurité. “Je me suis réveillée le matin et je me suis préparée. Mon premier rendez-vous a eu lieu vers midi. Lorsque j’ai rapidement regardé mon téléphone, j’ai vu des notifications qui commençaient par les mots 'Alexeï Navalny'”, raconte Mme Navalnaïa. Durant les premières secondes, elle ne s’inquiète pas. “Alexeï était attendu à comparaître devant le tribunal presque tous les jours”, poursuit-elle. Puis j’ai vu le troisième mot qui disait qu’il était décédé. Il m’a fallu cinq secondes pour m’en rendre compte.”
La quarantenaire ne voulait pas y croire, l’information venait de chaîne de propagande russe. “Il est difficile de décrire ce qui m’est venu à l’esprit. C’est un sentiment que je ne peux pas décrire. Et j’espère ne plus jamais ressentir cela de ma vie”, explique-t-elle au Time.
Le combat continue
Le choc passé, Iouilia Navalnaïa, ne se résigne pas et va poursuivre le combat de son mari. “Je n’en ai jamais parlé avec lui”, avoue-t-elle. “Mais je sentais que je ne pouvais pas laisser faire. S’ils pensent qu’ils peuvent simplement tuer Alexeï pour en finir, ils ont tort”, appuie-t-elle. “Je souhaite également soutenir les personnes qui sont très touchées par son décès. Leur donner un peu d’espoir. Je veux que le Kremlin comprenne que s’il tue Alexeï, je prendrai sa place. Et que s’ils me font quelque chose, quelqu’un d’autre prendra le relais”.
Navalnaïa est d'ailleurs sous protection d'un garde du corps depuis le décès de son mari.
Poutine pourrait-il avoir peur d'elle ? "Aucune idée et je m'en fiche. Je vais faire ce qui est juste. Je vais combattre Poutine. Poutine est mon ennemi. Il a tué mon mari. Il l'a lâchement assassiné alors qu'il était en prison. Soit dit en passant, je ne pense pas que Poutine devrait avoir peur de moi, mais il devrait avoir peur du peuple russe, qui se souvient d'Alexeï et qui partage ma douleur, ma tristesse et ma colère. Et cela espère vivre un jour dans un pays normal et démocratique", martèle-t-elle.