La Pologne prête à déployer l’arme nucléaire sur son territoire : “Si on met le doigt dans l’engrenage nucléaire, on risque l’Armageddon”
Depuis les propos de la Pologne, soutenant souhaiter accueillir l’arme nucléaire sur son sol, des tensions semblent apparaître avec la Russie. Mais y a-t-il lieu de s’inquiéter ? Réponse avec Jean-Paul Perruche.
- Publié le 23-04-2024 à 21h25
Ce lundi, la Pologne a déclaré être prête à accueillir l’arme nucléaire sur son territoire si l’Otan décidait de renforcer son flanc Est pour faire face au déploiement d’armes russes à Kaliningrad, ville proche de la Pologne, ainsi qu’au Bélarus. “Si nos alliés décidaient de déployer des armes nucléaires dans le cadre du partage nucléaire sur notre territoire afin de renforcer la sécurité du flanc oriental de l’Otan, nous sommes prêts à le faire”, a assuré Andrzej Duda, président polonais, dans les colonnes du quotidien populaire Fakt. “La Russie militarise de plus en plus l’enclave de Kaliningrad. Elle est en train de transférer ses armes nucléaires au Bélarus”, redoute le président.
De son côté, la Russie n’a pas attendu pour répondre à cette possibilité. “Les militaires analyseront bien sûr la situation et, dans tous les cas, prendront toutes les mesures de rétorsion nécessaires pour garantir notre sécurité”, a surenchéri Dmitri Peskov, porte-parole du Kremlin.
Bien qu’Andrzej Duda ait “abordé ce sujet à plusieurs reprises” avec les États-Unis, le déploiement potentiel d’armes nucléaires en Pologne semble plus qu’incertain, selon Jean-Paul Perruche, ancien directeur général de l’État-major militaire de l’Union européenne.
Un déploiement contestable et contesté
Bien que le président polonais déclare que la question du déploiement potentiel d’armes nucléaires sur son territoire fasse l’objet de discussions avec les États-Unis, les chances que Joe Biden passe à l’acte sont plus que minces. “Les États-Unis n’ont aucun intérêt au stade actuel à faire monter la pression nucléaire, au contraire ils s’en défendent, donc ils ne vont pas le faire”, argue Jean-Paul Perruche. Pour l’expert, on est donc “dans la communication mais pas dans la guerre”.
”Il n’y a aucun aucun pays de l’OTAN qui souhaite ce déploiement”, assure-t-il également. L’ancien directeur général de l’État-major rappelle que, même si les pays baltes, la Roumanie ou la Bulgarie désiraient la présence du nucléaire en Pologne comme dissuasion, les États-Unis seraient maîtres de la décision. “C’est une question américaine, ce ne sont pas les Européens qui décident là-dessus, ce sont les Américains qui mettent en place les moyens.”
La Pologne, si elle venait à déployer des armes nucléaires sur son territoire, pourrait menacer l’écosystème de l’OTAN, dont elle est membre, et créer le risque de faire déborder le conflit au-delà des frontières ukrainiennes. “Le fait de déployer des moyens nucléaires sur le sol polonais n’aurait aucun intérêt opérationnel, ne renforcerait pas la dissuasion de l’OTAN, qui est américaine, et en revanche suscitera des aigreurs du côté russe”, souligne l’expert. Cet argument seul suffit à beaucoup pour ne pas concevoir cette hypothèse, d’autant plus que les États-Unis, à l’heure actuelle, ne manquent pas de moyens dissuasifs face à la Russie.
De plus, aujourd’hui, il est possible de faire du mal à une nation depuis n’importe quel pays grâce aux missiles et autres armements de distance. “Les Américains, pour faire jouer leur dissuasion, n’ont absolument pas besoin d’avoir des avions en Pologne”, appuie Jean-Paul Perruche. Une référence à la Guerre froide, durant laquelle les États-Unis faisaient planer leurs menaces à bord d’avions comportant des bombes à larguer sur le territoire de l’URSS.
”Les Russes ne feront rien”
Reste la question de la réaction de la Russie face aux déclarations du président polonais. Comme souvent, les propos du Kremlin se veulent teintés de menaces mais sont plus souvent le signe d’une “gesticulation dissuasive”. “La Russie ne fera rien du tout, parce qu’elle l’a déjà fait. Elle a déjà dit qu’elle déployait des armements nucléaires au Bélarus et a renforcé ses moyens à Kaliningrad”, rappelle le militaire.
D’ailleurs, pour lui, même si les États-Unis venaient à accéder à la demande de la Pologne, il ne faudrait pas s’inquiéter de la réponse russe. “Que voulez-vous que fassent les Russes à part gesticuler eux aussi en déployant du nucléaire au Bélarus et à Kaliningrad ?”, demande l’expert. “Ça n’irait pas plus loin, ça ne changerait pas la donne”, assure-t-il. “L’armement nucléaire au Bélarus n’y changera rien du tout. Ce sont des moyens nucléaires de dissuasion de différents types, y compris des missiles intercontinentaux, des missiles supersoniques”, explique Jean-Paul Perruche. “Ils en ont 5 000, un peu plus de 5 000. Donc de quoi détruire la planète. Les Américains ont la même chose.” La dissuasion a déjà lieu entre la Russie et les États-Unis, assure ainsi l’ancien directeur général de l’État-major, soutenant que rien ne laisse présager plus que des menaces. “Il n’y a pas de raison de s’inquiéter outre mesure de ce qui se passe à l’Est. C’est de l’agitation, ce n’est pas du mouvement.”
Une guerre conventionnelle pour éviter une guerre nucléaire
Depuis la Guerre froide, la menace du nucléaire continue d’en inquiéter beaucoup. Mais l’OTAN comme la Russie savent qu’elle ne doit être que dissuasive. Pour ne pas céder à la dangereuse escalade nucléaire, la réponse, tant en Russie que chez les pays membres de l’OTAN, est bien souvent conventionnelle. “Lorsque les Russes ont émis l’idée, après leur reculade en 2022, d’envoyer une petite bombinette tactique, comme ils disaient, sur les Ukrainiens, la réaction des États-Unis n’avait pas été de dire 'on va pulvériser Saint-Pétersbourg et Moscou'”, se souvient Jean-Paul Perruche. En effet, la réponse américaine avait été “conventionnelle”, déclarant être prête à “détruire toutes les forces qui sont déployées, celles de la mer Noire, etc. avec des moyens conventionnels”, comme le déclare l’expert. Il s’agit là d’une “réponse de dissuasion conventionnelle à une menace de chantage nucléaire”. “Ça montre bien que les États-Unis ne veulent pas entrer dans une escalade qui pourrait conduire au nucléaire.”
Il faut donc bien distinguer les deux types de guerre qui sont en jeu. “La guerre conventionnelle, qui, elle, va souvent aux extrêmes. Et puis, la guerre nucléaire, qui conduit inéluctablement à la destruction du monde”, précise Jean-Paul Perruche. “Donc là, il n’y a plus aucun intérêt à faire une guerre comme ça, puisqu’on n’en réchappe pas.”
Pour l’ancien directeur général de l’État-major, ce qui se passe entre la Pologne et la Russie n’est donc qu’une “guerre de communication pour terroriser, faire peur aux populations”. “On est conscients que si on met le doigt dans l’engrenage nucléaire, même au niveau tactique, on risque d’aller au cataclysme généralisé”, soutient-il. “Les gens sont beaucoup plus prudents qu’avant.”
”Le danger viendrait d’un petit pays”
Face au risque que comporte la menace nucléaire, la prudence et la retenue sont donc établies. Mais, pour Jean-Paul Perruche, c’est le risque qu’un petit pays en guerre soit un jour en possession de l’arme nucléaire qui devrait inquiéter. “Si par exemple l’Iran, qui a quand même dans sa religion un peu des tendances suicidaires, se dotait du nucléaire et envoyait une bombe sur Israël ou sur d’autres pays, ce serait problématique”, avance l’expert.
”Il faudrait bien répondre rapidement. Et après, on rentre dans une logique d’emploi qui peut conduire à Armageddon, à la fin du monde”, poursuit-il. “C’est pour ça que tout le monde s’en méfie.”